lundi 18 mai 2015

A méditer, si besoin est ...

« J’ai perdu le goût de vivre, pouvez-vous m’aider ? » C’est la question insolite que le philosophe Michel Lacroix a posée à trois de ses collègues… du passé. Il a imaginé leurs réponses.

  << Nous sommes les créateurs des idéaux auxquels nous croyons ! Si trop peu d'hommes les nourissent... nous vivons alors dans le chaos. >> F.T

 
Question aux maîtres philosophes : << Cher Kant, cher Nietzsche, cher Sartre, C’est inhabituel et un peu irrespectueux de s’adresser directement à de grands philosophes pour leur demander de se transformer en guides de la vie. Mais je suis sûr que vous pouvez m’aider. Voilà de quoi il s’agit. J’ai l’impression d’errer sans but dans l’existence, alors que j’ai « tout pour être heureux » : une famille, des amis, un métier… Je ne crois en rien, et surtout pas en l’humanité qui me semble aller tout droit à la catastrophe. Je suis gagné par une sorte de melancholia. Aidez-moi à retrouver le moral. Eclairez-moi sur le sens de l’existence – si toutefois il y en a un ? >>
 
La réponse d’Emmanuel Kant
 
Pour ce philosophe allemand (1724-1804), notre connaissance du monde est limitée aux phénomènes naturels étudiés par les sciences. Mais notre raison peut être le moteur de l’action et de l’avènement moral.

"Aide l’humanité à devenir meilleure"
 
Cher Michel, rassure-toi. Je n’ai pas l’intention de te parler de la loi morale et de l’impératif catégorique. Je ne suis pas seulement le philosophe austère que l’on décrit. Je suis aussi un philosophe de l’histoire. C’est de cet aspect de ma doctrine que je veux t’entretenir, car je vois bien que tu désespères non seulement de ta propre vie, mais du genre humain tout entier.

Sache que je crois dans le progrès de l’humanité, pour des raisons que je n’ai pas le temps de t’exposer ici. Je crois en l’avènement d’un monde meilleur, où les individus seront des personnes, c’est-à-dire des êtres libres, considérés comme des fins et non simplement comme des moyens.

Dans ce monde futur, la dignité de chacun sera reconnue, la politique sera subordonnée à la morale, la paix régnera entre les nations. Ton pessimisme n’est donc pas justifié. Seulement, ce progrès ne s’accomplira pas de façon automatique. Le « règne des fins », comme je l’appelle, n’est qu’un germe déposé dans la nature humaine. Il appartient aux hommes de bonne volonté de le faire fructifier. C’est là que tu as un rôle à jouer. Contribue à réaliser ce progrès. Aide l’humanité à devenir meilleure. Mets ton énergie au service de la liberté, de la justice, de la dignité, de la paix. Ainsi, tu iras dans le sens de l’histoire. Et le sens de ta propre vie te sera donné par surcroît.
 
La réponse de Friedrich Nietzsche
 
Ce philosophe et écrivain allemand (1844-1900) a exalté la création de nouvelles valeurs, telles que la volonté de puissance ou la joie au contact du réel… censées promouvoir l’avènement du surhomme.

"Tends le ressort de ton être"
 
Michel, ne compte pas sur moi pour jouer les docteurs en sens de la vie. Je hais les philosophes qui prétendent connaître le pourquoi des choses. Ne va pas non plus t’enthousiasmer pour quelque idéal. Les idéaux de justice, de démocratie, de dignité ne sont que des mensonges (à ce propos, j’ai lu la réponse de Kant : elle est consternante). Quant aux religions, tu sais ce que j’en pense. Fuis comme la peste les prêtres, les rabbins et autres imams. Il n’y a qu’une chose qui doit compter pour toi : la vie. Ta vie.

Mais prends garde. Il y a deux sortes d’individus. Les uns vivent une existence diminuée, ils se sentent coupables de vivre, ils sont esclaves de la morale. Les autres osent vivre vraiment. Ils affirment la force vitale qui est en eux. Ils laissent parler leurs plus profonds désirs. Sois de ceux-là. Tends le ressort de ton être. Vis intensément. Passionne-toi pour tout ce qui peut augmenter ta puissance. Sera-ce le sport, la musique, les voyages, l’écriture, le travail, la méditation, le plaisir, l’amour, la science ? Peu importe. L’essentiel est que tu suives ta vocation jusqu’au bout. Alors tu seras un surhomme, mon fils.
 
La réponse de Jean-Paul Sartre
 
Chez ce philosophe et écrivain français (1905-1980), il y a la nécessité d’une prise de conscience aiguë de l’absence de sens a priori. Mais à partir de cette angoisse, chacun a la liberté de rebâtir un sens.

"Assume ta liberté "
 
Michel, dans ta lettre, tu exprimes ton désarroi. Tu écris que ta vie n’a pas de sens. Je tiens d’abord à te dire ceci : cette lettre témoigne de ta lucidité. Oui, la condition humaine est bien telle que tu la décris. Nos vies n’ont pas de sens a priori. Nous sommes jetés dans le monde sans raison. Il n’y a pas de transcendance. Il n’y a rien à quoi se raccrocher, ni Dieu, ni bien en soi, ni vérité, ni salut. Seulement, il ne faut pas que tu en restes à ce constat. Ce vide de sens doit t’inciter à exercer ta liberté. Ta vie n’aura d’autre sens que celui que tu choisiras de lui donner. J’insiste sur ce mot : « choisir ». La question n’est pas de savoir si tu dois décider ceci ou cela. Il s’agit pour toi d’abord de choisir… le choix.

Assume ta liberté, fais des projets, pose des actes libres. Les associations, les organisations non-gouvernementales, les syndicats, les partis politiques, la démocratie locale offrent assez d’occasions de s’engager aujourd’hui, ne trouves-tu pas ? Ainsi, tu forgeras toi-même ta raison de vivre.Encore un mot : tu es libre, mais tu ne peux pas faire n’importe quoi. Tu es responsable de ce que tu es, mais aussi responsable de tous les autres hommes. Il n’est pas un de tes actes qui, en créant l’homme que tu veux être, ne créera en même temps une image de l’homme tel que tu estimes qu’il doit être. En te choisissant, c’est l’être humain en général que tu choisiras.

A lire :

Emmanuel Kant
• Opuscules sur l’histoire (GF Flammarion, 1990).
• Vers la paix perpétuelle (GF Flammarion, 1991).
• Fondements de la métaphysique des mœurs (Le Livre de poche, 1993).
 
Friedrich Nietzsche
• Humain, trop humain (Hachette Littératures, Pluriel philosophie, 2004).
• Par-delà le bien et le mal (Hachette Littératures, Pluriel philosophie, 2004).
• Nietzsche de Jean Granier (PUF, Que sais-je ?, 2004).
 
Jean-Paul Sartre
• La Nausée (Folio Gallimard, 1978).
• L’existentialisme est un humanisme (Folio Gallimard, 1996).

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