samedi 30 janvier 2016

Discours d’Ara Toranian au dîner du Ccaf du 28/01/2016 en présence de François Hollande

Discours d’Ara Toranian : « Il faut renforcer et non pénaliser le Haut-Karabagh »


Monsieur le Président de la République,
Mesdames et Messieurs,
Nous pressentions que l’année 2015, celle des cent ans du génocide, allait être difficile à vivre. Nous appréhendions d’autant plus ce rendez-vous avec nos 1,5 million d’aïeux assassinés que la persécution actuelle des minorités d’Orient (des Assyro-chaldéens, des Kurdes, des Yézidis des Arméniens et des Grecs) faisait écho, toute proportion gardée, au crime contre l’humanité que nous nous apprêtions à commémorer. Mais nous ne savions pas que ce« tragique de répétition », pour reprendre l’expression d’Alain Finkielkraut, viendrait nous rattraper jusqu’en France. Et que le fanatisme djihadiste irait frapper d’une manière aussi terrifiante nos concitoyens, et plus particulièrement la jeunesse, notre jeunesse, toutes confessions et opinions confondues, à la terrasse des cafés, dans un train, ou dans une salle de concert.
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Pouvait-il en être autrement ? Ce terrible télescopage entre les atrocités d’hier et celles d’aujourd’hui, toutes choses égales par ailleurs, nous a confortés dans la conviction que le combat contre la barbarie ne se divisait pas. Et qu’il y avait bien un fil conducteur entre nos combats pour la reconnaissance par la Turquie du génocide de 1915, notre lutte contre le négationnisme, notre attachement à l’Arménie et à la République du Haut-Karabagh toujours menacé, et notre appartenance à la France et à la République.
Ce dénominateur commun, c’est l’adhésion à ce socle de valeurs qui s’enracine dans la promotion du progrès et la défense des droits de l’homme, au premier rang desquels figure le respect de la vie humaine.
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Des droits encore à conquérir, hélas !, pour le monde arménien qui paye très chèrement, au Caucase comme au Moyen-Orient, une identité culturelle assimilée à tout ce que l’obscurantisme déteste : l’aspiration au progrès, à la liberté, à la démocratie, à l’égalité homme femme, n’est-il pas étrange de devoir le préciser ? Cela est notamment vrai pour notre République du Haut Karabagh, terre de résistance qui ne représente pas seulement un des tout derniers territoires arméniens en vie de la région, mais qui est aussi, du point de vue de nos valeurs et de notre défense, au sens large, un véritable verrou géostratégique qu’il faut renforcer et non pénaliser avec des mesures, ou je ne sais quelle circulaire, qui tendrait à accroître son isolement.
Car comment ne pas l’évoquer ? Cent après le génocide, les forces qui avaient concouru à la disparition du peuple arménien conspirent toujours à sa perte. Le négationnisme reste une priorité de la politique étrangère de la Turquie. Et l’Azerbaïdjan, qui affirme former avec cette dernière deux Etats pour un même peuple, s’est engagé avec l’argent du pétrole dans une course folle aux armements qui ne fait pas mystère de sa finalité.
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Les mêmes causes produisant les mêmes effets, 100 après le génocide, une épée de Damocles reste suspendue au-dessus de la tête des Arméniens. Le temps, ce grand maître qui règle bien des choses, disait Corneille, ne s’est en l’occurrence avéré d’aucun secours. Le temps, n’a pas le pouvoir de changer la nature des crimes imprescriptibles, ni d’effacer ce qui a été. Il ne fait au contraire qu’envenimer les conflits non résolus, et rendre plus impérieuse encore l’exigence de justice. Notre ami Serge Klarsfeld a déclaré que l’impunité de la Turquie pour le génocide de 1915 a rendu possible l’extermination des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. On pourrait ajouter qu’elle n’est pas étrangère non plus aux atrocités d’aujourd’hui.
Nous sommes inquiets. Et comment ne le serions-nous pas quand il semble que l’Europe, non seulement ne s’instruit pas des leçons du passé, mais va même jusqu’à confier la garde de ses frontières à une Turquie qui ne cesse de s’éloigner de ses valeurs ? On nous annonce même une relance des négociations pour l’adhésion de cet Etat à l’Union européenne. Le CCAF s’est exprimé sur cette question, en soulignant l’incompatibilité irréductible entre l’existence en Europe de communautés arméniennes issues des rescapés du génocide et l’intégration à ses structures dirigeantes, à ses centres de décision, d’une Turquie négationniste et donc complice et solidaire du génocide. Pourrait-il en être autrement ?
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Monsieur le Président de la République,

Le CCAF ne peut prétendre peser d’un poids exceptionnel sur le marché, même si l’horizon semble s’éclaircir de ce côté-là avec la levée des sanctions contre l’Iran, mais il a peut être quelque légitimité à en appeler aux droits de l’homme, en particulier à propos du combat contre le négationnisme du génocide arménien, qui en est le stade suprême pour reprendre l’expression de Bernard Henri-Levy.
En ce domaine, la pénalisation de ce fléau répondra non seulement au besoin de mieux protéger notre communauté en France, mais elle permettra aussi d’élever la norme de résistance au phénomène génocidaire. Le message qui en découle est loin d’être insignifiant dans le contexte géopolitique actuel, tant en ce qui concerne les enjeux moyen-orientaux qu’européens à l’égard d’Ankara.
D’autant que tout est lié et que la voix de la France, cet héritage que nous sommes reconnaissants d’avoir reçu et fiers d’endosser, cette voix à laquelle nos anciens du groupe Manouchian, morts pour elle, avaient prêté leurs accents étrangers - ces Arméniens, ces Juifs polonais, ces Espagnols, ces Italiens, - d’autant que cette voix de la France disais-je en pensant à Jaurès, n’est jamais plus écoutée et puissante que lorsqu’elle combat pour la justice. Je vous remercie.
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samedi 30 janvier 2016,
Claire ©armenews.com



Puisses-tu être entendu, Ara




2 commentaires:

  1. c'est un discours qui m'a beaucoup ému en tant qu'arménien, j'espère que la France en prendra compte pour qu'il y ait enfin une politique étrangère, mais aussi intérieur, juste et équitable au sein de l'Union européenne. C'est une question qui concerne l'humanité entière et c'est bien un stade suprême qu'il faut atteindre. La position que chaque nation adopte pour le génocide arménien montre son attachement à la dignité de la vie humaine. Merci pour ce discours ainsi que pour la publication.

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  2. Très beau discours en effet - suivi de peu d'effet malheureusement car la France (ambiguë) semble ouvrir une voie royale à l'Azerbaïdjan ... Quelle tristesse !

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Dzovinar