Denis Donikian - 4 avril 2013 - "VIVRE EN ECRITURE"
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En guise de conclusion
Mon travail d’écriture n’est pas terminé puisque je suis attelé à un nouveau roman.
De nombreux textes expérimentaux sont restés inédits, qui ont servi à la maturation de ma propre manière d’écrire.
De fait, j’ai beaucoup exploré et dans tous les genres ( poésie, essai,
aphorisme, texte de voyage, théâtre, récit, roman, textes d’histoire,
etc.), guidé par le refus de me répéter et la fascination de l’inconnu. A
chaque livre, nouveau défi. Pour éviter de tomber dans l’ornière d’une
manière unique d’écriture, j’ai cherché soit à mélanger les genres au
sein d’un même livre, soit à inventer des formes nouvelles. En ce sens,
mes livres ne rentrent pas dans les formatages habituels attendus par
les éditeurs ou les journalistes. Peu importe, l’important étant que
j’ai réussi à écrire et même à publier, fût-ce pour un cercle
confidentiel, les textes que je voulais vraiment faire.
Internet a
joué un grand rôle mon travail. Certains livres ont été conçus
uniquement avec ce support (mes aphorismes, mes essais, Hayoutioun,
Petite encyclopédie du génocide arménien…). L’avantage étant qu’en
publiant un texte chaque jour sur un forum ou moins régulièrement sur un
blog, un retour de lecteur était immédiatement assuré.
Mes textes
portent pour l’essentiel, mais pas exclusivement, sur la « chose
arménienne » ( Arménie et diaspora). Elle me sert d’étalon pour explorer
le monde, pour comprendre les problématiques liées à la démocratie,
déconstruire les mythes, révéler certaines hypocrisies, dénoncer des
injustices, expliquer la barbarie, promouvoir la compassion… Je pense
que pour qui voudra comprendre les Arméniens, mes livres ne seront pas
inutiles.
J’ajoute que je n’ai aucune réelle notoriété en dehors
d’un petit groupe de Happy few. Mais même parmi eux, aucun, à ma
connaissance, n’a une vue d’ensemble de ma production. Pour beaucoup de
ceux qui me lisent un peu, il existe encore bien des coins et recoins à
explorer. Ce qui est regrettable, c’est qu’aucun étudiant en lettres,
qui soit d’origine arménienne, n’a encore reconnu l’intérêt d’explorer
mon travail comme expression d’une diaspora en lutte dans son agonie, à
un moment critique de son histoire.
C’est que je suis, dans mon
genre et sans l’avoir cherché, le dernier écrivain de la diaspora en
France à écrire principalement et dans toutes les directions sur
l’actualité vivante de l’arménité. ( On le comprend. Quel écrivain
d’origine arménienne voudrait condamner d’avance son travail en
s’adressant à des lecteurs dont le nombre se réduit de plus en plus ou
qui appréhendent de se découvrir tels qu’ils sont ?) J’ai toujours pris
soin de rester au cœur de cette actualité, contrairement à d’autres qui
trouvent dans le génocide et dans le passé l’essentiel de leur
inspiration. Une aberration que j’ai toujours pris soin de dénoncer.
On aura compris à la lecture de cette rétrospective que je ne pouvais
pas faire mieux que d’écrire à partir de mon identité d’origine. La
pression du génocide, les pathologies d’une diaspora humiliée, les
souffrances d’une Arménie soumise au joug soviétique, aux impératifs de
la guerre, à l’accouchement douloureux de son indépendance démocratique,
mes engagements et mon éducation ne pouvaient pas me donner d’autres
sources d’inspiration. Cela n’a pas toujours été de gaieté de cœur. J’ai
beaucoup perdu si je me compare aux autres écrivains de ma génération
ayant pris une direction exclusivement française, mais gagné en
profondeur et en interrogations.
Ainsi, mon isolement littéraire
peut être sans nul doute lié à ces circonstances dans la mesure où
j’écris sur l’Arménie dans une langue, le français, que les citoyens
arméniens ne lisent pas, et que je m’adresse à une diaspora qui n’habite
pas le pays. A cet isolement ne sont pas étrangères les mentalités qui
sévissent en diaspora. Mon franc parler me vaut d’être tenu éloigné des
radios arméniennes et des maisons de la culture ( pas de certains
journaux). Quant aux divers salons du livre arménien, ils sont de plus
en plus désespérants en dépit du dévouement de leurs organisateurs.
C’est pourquoi j’ai voulu entrer dans l’édition française en écrivant un
roman. Or, grâce à Vidures, je reçois aujourd’hui des lettres de
lecteurs comme jamais je n’en ai reçu en 40 ans avec les Arméniens.
Terminons par un de mes aphorismes : « Ecrire. Etre à la croisée du
possible et de l’impossible. Travaux d’approche faute de s’atteindre
jamais. Nous tournons autour d’un mal dont l’horreur même nous interdit
son évocation.»