jeudi 31 mars 2022

LA REVANCHE DU PETIT-FILS DU CUISINIER DE STALINE - Michel ONFRAY

 


LA REVANCHE DU PETIT-FILS DU CUISINIER DE STALINE

C'est fou comme les hommes qui clament qu’il faut retenir les leçons de l’Histoire n'en font jamais rien! Hitler et le III° Reich fonctionnent en Europe comme un répulsif idéologique et politique depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale. Malgré tout, ce qui a rendu possible la tragédie nazie recommence peu ou prou sous le signe de l'éternel retour.


Car, dans les années 80 du XXème siècle, le mépris dans lequel l'Europe de l'ouest, via le président de la république française François Mitterrand, a tenu Gorbatchev et son projet de glasnost et de   perestroïka qui aurait permis une Europe civilisationnelle de l’Atlantique à l'Oural,  la complicité avec laquelle il avait accueilli le putsch du 19 août 1991 qui avait contraint Gorbatchev à la résidence surveillée, la dilection publique dont il fit montre pour le libéral Eltsine, alcoolique et corrompu notoire, en lieu et place du projet gorbatchévien, la chute devenue de ce fait inévitable de l'empire soviétique le 25 décembre 1991, la vente à l'encan qui s'en est suivie des fleurons de cette ancienne puissance qui a si longtemps fait peur avant de se faire moquer d'être devenue si impuissante, le rachat au rabais des rogatons de l'empire par les agents du Fond monétaire international, la création de ce fait d'une oligarchie mafieuse placée aux affaires qui s'est enrichie en appauvrissant le peuple russe, le mépris d'une parole donnée par l'ouest de geler la carte européenne aux frontières de 1992, la militarisation des pays perdus de la Russie soviétique au profit de l'OTAN, l'occidentalisation forcée de ce qui fut une Europe de l'est et qui s’avère une Europe contaminée par le nihilisme occidental (l’égotisme, le narcissisme, l'hédonisme consumériste, la marchandisation des corps, la location des utérus, l'achat des enfants, le wokisme, la cancel culture, le lobbyisme LGBTQ+, etc), tout cela rappelle étrangement ce qui s'est passé en Allemagne: défaite de 14-18, humiliation du traité de Versailles, confiscation de ce qui aurait permis au pays vaincu de rembourser ses dettes, économie de guerre, donc réarmement, culte nationaliste, et surtout théorie de l’espace vital à conquérir par les armes, c'est-à-dire impérialisme, montée des périls, élection d'Hitler en janvier 1933 et envahissement de la Pologne début septembre 1939. Nous y sommes...


Tout à sa suffisance, l'Occident d'après la chute du mur de Berlin en 1989 a estimé que c'en était fini de la guerre froide et que le libéralisme allait triompher de manière planétaire! Francis Fukuyama ne publie pas par hasard en 1992 La Fin de l'Histoire et le dernier homme (un texte dont l’esquisse sous forme d'article date de l'été 1989. C'est la bible des néo-conservateurs américains et de leurs affidés en Europe), BHL en tête...


Samuel Huntington lui répond avec Le Choc des civilisations en 1996 en affirmant que le libéralisme ne va pas triompher en arrêtant l'Histoire dans sa réalisation, dans son accomplissement, et ce sur le mode hégélien, mais que des blocs de civilisations spirituels et religieux seront dans les temps à venir les moteurs d'une Histoire qui continuera. Le 11 septembre donne tort à Fukuyama et raison à Huntington: l'Histoire continuait en opposant l'islamisme et le judéo-christianisme de façon planétaire.


L’envahissement de l'Ukraine, pays indépendant et souverain, par Poutine, donne une fois encore raison à Huntington. "C'est un conflit intra-européen" disent ceux qui résistent aux thèses du Choc des civilisations! Ils ont raison sur le caractère intra-européen de l'affaire, ce qui est regarder les choses par le petit bout de la lorgnette, mais tort de croire qu’elle ne relève pas des conflits de civilisations. C'est même très exactement un cas d'école.


Car, s'il existe une tectonique des grandes plaques civilisationnelles, il existe également des mouvements sismiques à l'œuvre dans ces mêmes plaques - une tectonique des petites plaques si je puis dire... Il existe bel et bien une Europe judéo-chrétienne, mais il y a trois façons d'être européen dans cette même Europe suivant que l'on est catholique, protestant ou orthodoxe. Ce qui a travaillé le christianisme en ses premiers temps (montanisme, arianisme, donatisme, marcionisme, monophysisme, mais surtout filioque..) a laissé des traces dans la psyché spirituelle des peuples.


Ce qui se joue entre les Ukrainiens et les Russes renvoie donc à de vieilles questions qui opposent les uniates ukrainiens rattachés au Vatican et l’église orthodoxe autocéphale russes. Par ailleurs, ces deux pays rejouent la vieille opposition qui voit le jour au XIX° siècle entre les occidentalistes et les slavophiles - autrement dit: entre les Ukrainiens occidentalistes qui regardent vers l'ouest et les Russes slavophiles le regard tourné vers l'est.  


Dans les années 90, Poutine arborait un portrait de Pierre le Grand dans son bureau, le tsar était très occidentaliste, Poutine aussi... A l'époque, il a joué cette carte mais l'occident lui a signifié une fin de non-recevoir. Une vexation parmi d’autres. Celui qui est devenu le maître du Kremlin a donc joué la carte slavophile avec un projet alternatif: il ne regarderait plus vers Paris mais... vers Pékin! D'où son projet eurasien qui s'avère bien utile ces temps-ci dans sa logique de guerre contre "l'occident" comme il dit.


L'idéologie marxiste a longtemps fait la loi en matière de philosophie de l'Histoire, et pas seulement dans les pays marxistes. La plupart ont longtemps souscrit à cette idée fausse que "les masses font l'histoire". En fait, non... Le Grand Homme hégélien peut la faire, animé par des passions tristes, ainsi avec le ressentiment qui joue un rôle majeur dans la généalogie de l'Histoire.


C'est le ressentiment qui, à cette heure, conduit Poutine qui pense en termes de vengeance à prendre sur l'occident qui a fait de cet ancien officier du KGB, dont le père avait été cuisinier de Lénine et de Staline, un homme qui, un temps, avec sa propre voiture, pour survivre, faisait le taxi...


Le voilà à la tête de la Russie. L'ancien chauffeur de taxi prend sa revanche sur ce que l'occident a fait à son pays et de son pays - et, un temps, à lui et de lui. On n'humilie jamais impunément un homme ou un peuple.


Michel Onfray


lundi 28 mars 2022

Semaine du 28 MARS 2022 - PENSER POUTINE par MICHEL ONFRAY

SEMAINE DU 28 MARS 2022

Au lieu de se complaire dans un exercice facile et stérile de diabolisation du président russe, Michel Onfray se demande plutôt si l'Occident est intellectuellement armé pour anticiper et affronter la politique du maître du Kremlin.

PENSER POUTINE

Le souverainiste que je suis ne peut que déplorer sans condition l’invasion de l’Ukraine, un pays libre et autonome, par la seule volonté de Poutine qui retourne le gant occidental en revendiquant à son tour, comme BHL et ses amis, un droit d’ingérence pour légitimer son impérialisme! Toute la thématique souverainiste se trouve validée par ce qui advient. Car, qu’est-ce que le combat des Ukrainiens sinon celui d’un pays et d’un peuple qui ne veulent pas perdre leur souveraineté et ne souhaitent nullement leur vassalisation par la Russie de Poutine?

Les Ukrainiens ont raison contre Poutine qu’il ne faut pas confondre avec le peuple russe - voire avec tout ce qui est russe: Dostoïevski ou Tchaïkovski stigmatisés, les footballeurs et les musiciens russes interdits de compétitions ou de concerts, les chats russes privés de concours félins, la vodka russe ou le bœuf Strogonoff frappés d’interdit, quels délires! C’est fou comme les mondialistes sont devenus des xénophobes de la plus sale eau d’un seul coup d’un seul en associant dans une même haine tout ce qui est russe depuis le début de la Russie! Au feu Tolstoï et Chostakovitch, Pouchkine et Eisenstein, au feu Pierre le Grand et Catherine de Russie, au feu l’Ermitage et la place Rouge! Pourquoi pas même : haro sur le cornichon sucré! Que va bien pouvoir manger la gauche caviar?

Tous ceux qui haïssent le souverainisme en France au nom de la mondialisation heureuse se retrouvent clairement du côté du souverainisme quand il s’agit de l’Ukraine! Éloge des frontières ukrainiennes, du drapeau ukrainien, des couleurs ukrainiennes, de la résistance ukrainienne, du patriotisme ukrainien, de l’armée ukrainienne, du peuple ukrainien, de l’armée ukrainienne! Quel bonheur de voir cette clique, BHL en tête, ces Déroulède en jaune et bleu, valider le souverainisme et fustiger la vassalisation [1].

Quelques crétins idéologues partisans de cette fameuse mondialisation heureuse s’accrochent encore aux thèses que Fukuyama développe dans La Fin de l’Histoire et Le Dernier Homme pour affirmer que ce qui advient en Ukraine témoigne qu’Huntington a tort! Faut-il être aveugle et vouloir désespérément le demeurer pour proclamer devant un champ de ruines où se mène une guerre de civilisation que la thèse du choc des civilisations s’avère nulle et non venue ? Serait-ce alors plutôt le spectacle de la fin de l’histoire avec la réalisation du libéralisme partout sur la planète auquel nous assistons? Allons, soyons sérieux…

Pour penser ainsi, ou plutôt: pour ne pas penser ainsi, c’est-à-dire ne pas penser du tout, il faut bien proposer une thèse alternative. Laquelle? Poutine est fou. Ce qui explique tout! Il est paranoïaque, il se botoxe le visage, il craint le covid comme un enfant, il était un piètre agent du KGB, il est mégalomane, psychotique, paranoïaque, il est enfermé au Kremlin seul depuis des années, il ne voit que cinq ou six personnes - n’aurait-il pas par hasard les pieds un peu fourchus et les oreilles franchement pointues et poilues?

J’avais lu en son temps l’excellent livre de Michel Eltchaninoff, Dans la tête de Poutine, paru en 2015. Cet ouvrage montre bien qu’il existe une pensée Poutine qui ne relève aucunement du délire, de la folie ou d’une autre pathologie. Rappelons que la criminalisation par un pouvoir de ce qui lui résiste par la maladie mentale fut une grande spécialité soviétique…

J’ai relu il y a quelques jours ce livre plume à la main [2]. Il en ressort que Poutine offre comme cadeau de nouvel an des livres aux gens avec qui il travaille, qui plus est des livres de philosophie: Philosophie de l’inégalité de Berdiaev, La Justification du bien de Soloviev, Nos missions d’Ilyine par exemple… Est-ce la façon d’un fou? Je n’en suis pas bien sûr. C’est celle d’un homme qui fait de la politique, sait ce qu’il veut et va où il a décidé d’aller. Ce projet n’est pas neuf chez lui.

Certes Poutine n’est pas un philosophe professionnel et il fait un usage, disons éclectique et pragmatique de la philosophie russe. Il n’a pas fait d’études de philosophie à proprement parler, ce qui de toute façon ne garantirait de rien, mais des études de droit au cours desquelles il a lu Locke, Hobbes et Kant qu’il a souvent cité dans une première époque, celle dont on peut dire qu’elle était occidentaliste.

Hier et aujourd’hui, Poutine s’inscrit dans un très ancien débat russe qui oppose les occidentalistes aux slavophiles [3]. Jadis en quête d’identité, les intellectuels, penseurs et philosophes russes estimaient qu’il fallait choisir entre se tourner vers l’est ou regarder vers l’ouest.

Les premiers, les slavophiles, font entrer la philosophie en Russie: ils sont influencés par Schelling et Hegel; ils croient à la puissance de l’identité russe; ils défendent l’existence d’un génie national propre; ils donnent à la religion et aux valeurs de l’aristocratie une importance généalogique capitale; ils critiquent l’individualisme, le mode de vie occidental; ils célèbrent la communauté organique du peuple russe ; ils sont romantiques; ils refusent de faire partie de l’Europe en estimant qu’ils ne sauraient être une partie de ce petit tout alors qu’ils sont géographiquement les plus importants; ils s’opposent à l’Occident; ils croient que les Slaves pourraient initier un nouvel ordre mondial alternatif au mode de vie occidental. N’y sommes-nous pas?

Les seconds, les occidentalistes, regardent vers Paris qui passe pour la capitale des élégances européennes; ils veulent abolir l’arbitraire impérial qui limite les libertés, s’appuie sur la religion orthodoxe et défend un nationalisme impérieux; ils lui préfèrent un socialisme français et sont influencés par Saint-Simon, Charles Fourier, Louis Blanc, Etienne Cabet, George Sand; l’un d’entre eux, Herzen, fréquente Proudhon et correspond avec Bakounine; ils défendent le matérialisme, donc l’athéisme.

On se doute, bien sûr, que les occidentalistes ont la faveur des intellectuels et les slavophiles celles du peuple. Poutine inscrit donc sa politique dans ce vieux combat idéologique, intellectuel, philosophique: il veut une Russie slavophile et combat une Ukraine occidentaliste. A leur manière, c’est du moins ce que pense Poutine, Lénine était occidentaliste, son marxisme hégélien témoigne, pendant que Staline était plus proche des slavophiles, sa grande guerre nationale contre le nazisme en fait foi.

Pour justifier la guerre impérialiste de Poutine contre l’Ukraine, les références faites à l’OTAN, à l’installation des missiles dans des pays frontaliers de la Russie qui, au temps de l’Union soviétique, en faisaient partie, à leur adhésion à l’OTAN, sont un leurre: il ne s’agit que de la partie émergée du problème, sa formulation médiatique. Poutine ne saurait vraiment craindre les armes de l’OTAN basées sur les pays acquis à la cause occidentaliste depuis la fin de l’URSS, car l’armement russe peut, venu du ciel via les bombardiers et les chasseurs, ou des fonds marins, via les sous-marins, sinon de la terre à la frontière ouest de la Russie, le tout conduit via l’espace qu’il maîtrise, à quoi bon sinon le tir contre un satellite il y a peu [4], riposter sans problème à des attaques venues de batteries de missiles situées sur les pays de l’ancienne URSS qui ont choisi l’ouest pour son mode de vie individualiste, hédoniste, consumériste, postchrétien [5]. C’est leur façon à eux, sans peut-être vraiment le savoir, de jouer la carte occidentaliste, ce que Poutine le slavophile ne peut pas supporter. Poutine pourra bien faire, il aura toujours une frontière commune avec l’Europe occidentaliste. Plus ou moins à l’est n’est pas le problème.

Le problème, c’est son désir impérialiste d’étendre son espace vital slavophile anti-occidentaliste. C’est désormais le nôtre aussi puisque la France prend position contre la Russie au nom de la décision de son chef de l’État, pourtant à une poignée de jours d’une élection qui décidera de sa reconduction ou non, d’engager notre pays dans la guerre sans consultation du Congrès.

Une fois de plus, le souverainiste que je suis voit dans ce conflit la validation de ses thèses: j’ai toujours dit que la jurisprudence Mitterrand qui, le 17 janvier 1995, annonce au Bundestag que «le nationalisme c’est la guerre», était fautive et délirante – c’était un propos électoraliste pour cet europhile paradoxalement devenu giscardien depuis son renoncement au socialisme en 1983. Ce n’est pas le nationalisme qui pose problème, mais l’impérialisme, ce qui n’est pas la même chose.

Une nation n’aspire pas de façon automatique à l’étendue de son espace vital - ce qui définit l’impérialisme, mais aussi le fascisme, qu’on se souvienne du Lebensraum nazi. La Première Guerre ne commence pas par hasard avec l’assassinat de l’archiduc de l’Empire austro-hongrois à Sarajevo. Cette guerre a fondamentalement opposé des Empires qui luttaient pour l’extension de leur espace vital via le colonialisme. L’Autriche-Hongrie, le II° Reich de l’Allemagne, l’Empire français, l’Empire anglais, l’Empire ottoman, l’Empire russe, voilà les belligérants de l’époque. L’Alsace-Lorraine, c’est juste pour l’image d’Épinal localo-locale qui mobilise la troupe française d’un peuple qu’on envoie se faire trouer la peau pour sauver les Empires…

Poutine a hérité d’un pays qui fit peur au monde entier pendant des décennies et qui, après la chute de l’URSS, s’est retrouvé comme une friche industrielle traversée par les vents mauvais de l’histoire qui se faisait désormais sans lui. Le traumatisme de Poutine est là. Il l’a dit, on l’a beaucoup répété sans en tirer les conséquences pour l’avenir de l’Europe: la chute de l’URSS fut «la plus grande catastrophe géopolitique du XX° siècle». Vingt-cinq millions de Russes ethniques se sont retrouvés en dehors de la frontière de la nouvelle Russie, soit l’équivalent d’un gros pays d’Europe éparpillé. Le destin de ces miettes structure notre avenir. Poutine souhaite les réunir. De ce fait, il russifie à tout va et affirme de l’Ukraine et de la Russie: «Nous sommes un seul et même peuple.» L’Ukraine n’est donc pas pour lui un État souverain, ce qu’il est pourtant, mais une partie de la Russie. Il ne veut pas perdre ces « russes »-là et souhaite les récupérer alors que l’OTAN entend bien les ancrer à l’ouest. Ce projet de reconquête impérialiste doublé d’un projet impérialiste américain d’étendre son influence dans ces mêmes pays grâce à l’OTAN, qu’on se souvienne des bombardements de la Serbie effectués par l’OTAN en 1999 durant la guerre du Kosovo (territoire toujours revendiqué par Belgrade), que Poutine a pris comme une offense, c’est ni plus ni moins un conflit de civilisation.

Dans son option géopolitique, Poutine pèse ses mots et ne parle ni des totalitarismes rouges et bruns, encore moins de la Shoah qui, à l’ouest, joue le rôle d’axe spirituel du monde post-nazi [6], mais de la seule chute de l’Empire soviétique. On ne peut plus slavophile comme lecture du monde au XX° siècle.

Personnellement, dans les années 90 du siècle dernier, cet ancien officier du KGB qu’est Poutine, dont le grand-père fut cuisinier chez Lénine puis chez Staline, est devenu chauffeur de taxi avec sa voiture personnelle pour vivre dans son pays en ruines.

La mainmise marxiste sur la philosophie de l’histoire a longtemps empêché de la penser en dehors de cette idéologie. C’est dommage, car, autre moteur que les masses, le ressentiment joue un rôle majeur dans la fabrication de l’Histoire [7]. Il est acquis désormais que l’humiliation du Traité de Versailles n’est pas pour peu dans le trajet victorieux d’un certain Adolf Hitler et sur le déploiement européen de l’Histoire qui s’en est suivie jusqu’à aujourd’hui – Poutine parle encore des nazis en Ukraine! On n’humilie pas impunément un homme ou un peuple.

J’ai l’âge de me souvenir avec quel mépris le président de la République François Mitterrand a accueilli les demandes d’aide de Gorbatchev qui voulait, avec Glasnost et Perestroïka, libéraliser l’URSS, la moderniser, autrement dit : l’ancrer dans le camp occidentaliste. C’était l’occasion adéquate de réaliser le fabuleux projet gaulliste d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural. C’eut alors été une véritable Europe, géopolitique et géostratégique, civilisationnelle, ce que l’Europe déjà avachie qui deviendra celle de Maastricht ne pouvait accepter.

Je me rappelle également du cynisme avec lequel le même Mitterrand avait accueilli le putsch effectué par des communistes purs et durs en août 1991 avec l’arrestation de Gorbatchev mis en résidence surveillée. Mitterrand prenait fait et cause contre l’homme de la Perestroïka et pour les putschistes de l’URSS - ce Florentin pour les seules petites choses était incapable de penser le monde, que ce fut celui du pays qu’il dirigeait, mais également le restant de la planète. Gorbatchev fut ainsi vite fait sorti de l’Histoire. Ce fut un alcoolique notoire, corrompu, grossier, vulgaire, Boris Eltsine, qui prit la tête de cet Empire effondré. C’était l’homme ad hoc pour l’Europe franco-allemande qui mit la Russie au ban des peuples et des pays.

Je me souviens également d’un diner chez un ami éleveur de chevaux en Normandie. Il avait invité un couple de parisiens propriétaires d’une maison dans l’Orne. La discussion a dérapé rapidement avec la quadragénaire : elle travaillait au FMI et racontait comment elle arrivait dans les vastes entreprises soviétiques après la chute de l’URSS. Elle demandait le patron. C’était la plupart du temps le plus idéologique, le plus corrompu, le plus cynique, le plus opportuniste que son grenouillage dans le Parti avait installé à ce poste : patron d’une mine d’or, directeur d’un condominium, chef d’une immense aciérie. Pour une somme symbolique que lui rétrocédait cet apparatchik soviétique, elle lui délivrait un titre de propriété du bien en question. Elle a fait partie de cette équipe de soudards qui a vendu à l’encan l’ancien patrimoine industriel, les mines d’or et de charbon, les ressources du pays, à des privés en créant une mafia - les fameux oligarques dont la vulgarité est bien connue partout où l’on peut les voir en France…

C’est cette humiliation de la Russie signifiée par l’Europe de l’Ouest qu’il nomme «l’Occident» (lui et ses amis comme les Serbes) que Poutine a décidé de venger. Chacun jugera qu’il ne s’agit pas du projet d’un fou, mais d’un homme qui a la mémoire longue et mauvaise. C’est celui d’un fasciste impérialiste, je reviendrai sur cette expression plus loin, mais pas celui d’un fou. Poutine prépare cette revanche depuis des décennies. C’est donc très exactement le projet d’un chef de guerre qui a organisé depuis longtemps la bataille qu’il mène depuis un certain temps, mais qui se fait médiatiquement planétaire ces temps-ci. Depuis des années, il conduit une économie de guerre ce qu’aucun de nos économistes de salon n’a remarqué...

Rappelons que la guerre dans le Donbass dure depuis 2014, autrement dit depuis sept ans, et qu’elle n’a surpris que les abrutis qui se remplacent à la tête de l’État français et des instances européennes dont le métier consiste pourtant à regarder ces choses-là de près et à travailler à leur prévention. Cette guerre signale l’impéritie de l’Europe et non son triomphe comme il est parfois dit. Une fois de plus, les cerveaux de l’Europe maastrichtienne montrent leur inculture crasse, obsédés qu’ils sont par les seuls coffres-forts.

Poutine dit depuis vingt ans qu’il va faire ce qu’il fait actuellement et les dirigeants français et européens regardent ailleurs tout aux projets minables de leurs carrières et de leurs réélections…

Les politiciens professionnels n’ont aucunement le sens de l’Histoire. Ils servent les intérêts du marché planétaire et croient que cela suffit pour écrire l’Histoire. Ils sont tellement incompétents et idéologisés que, devant les images mêmes de ce conflit qui oppose la Russie et l’Ukraine, j’y reviens, ils nient qu’Huntington ait raison ! Cette guerre serait donc le signe de la fin de l’histoire et du triomphe planétaire de l’idéologie libérale sur la totalité de la planète? Les projets impérialistes de l’État islamique, ceux de Poutine, mais également ceux de la Chine, de la Turquie, sinon de l’Inde, prouvent que le choc des civilisations est plus que jamais d’actualité. N’oublions pas dans ce bal des maudits le projet de l’impérialisme maastrichtien arrimé à celui des États-Unis.

Les naïfs diront: mais l’Europe n’est-elle pas une seule et même civilisation? Oui si l’on pense en termes de religion, elle est judéo-chrétienne. Mais non si l’on pense plus finement en termes théologiques, il y a dans cette même Europe, trois façons d’être chrétien: une catholique, une protestante, une orthodoxe. Ce sont trois façons d’être européens. Il y a des uniates en Ukraine, ils sont orthodoxes, mais ils reconnaissent l’autorité du pape ce qui en fait des occidentalistes, pendant que les orthodoxes russes constituent une église autocéphale, donc slavophile.

En pragmatique, Poutine a d’abord cherché comment relever la Russie après la chute de l’URSS. Dans son bureau de Saint-Pétersbourg, au début des années 90, il affiche un portait de Pierre Le Grand, un clair aveu d’occidentalisme. C’est l’époque où il cite Kant avec ferveur. Il souhaite alors «une unification juridique avec l’Europe». Ni les États-Unis, ni l’OTAN, ni l’Occident ne sont alors des ennemis: il veut en faire des alliés. L’Europe s’est à nouveau moquée de cette sébile tendue.

Arrogante, cette Europe maastrichtienne demande qu’on partage ses valeurs. Quelles sont-elles? Emmanuel Macron, récent président de cette Europe-là, a fait de l’avortement un marqueur civilisationnel occidentaliste [8]. Il a en effet souhaité, dès sa prise de fonction, inscrire le droit à l’avortement dans la charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne.

Poutine n’a pas souhaité remettre la Russie debout avec ces valeurs -là, celles de ce qu’il nomme l’Occident! Il a renoncé à la voie occidentaliste parce qu’il ne veut pas occidentaliser la Russie, car il sait que russifier l’Europe maastrichtienne s’avère impensable dans le cadre légal.

Tenté par l’occidentalisme pour sauver la Russie, Poutine a vite compris que le pays ne serait sauvé que s’il renonçait à être lui-même, que s’il passait son identité, l’identité de son pays, par-dessus bord. S’il optait pour l’occidentalisme, alors il pourrait compter sur l’Europe maastrichtienne, sinon, non. Il n’a pas souhaité brader son pays à l’Europe maastrichtienne dont l’horizon consiste à abolir les pays, les peuples, les nations, les cultures, au profit d’un immense marché planétaire gouverné par l’État total d’un gouvernement universel dont le pilotage ne sera sûrement pas européen et encore moins russe. Les Américains y veillent: c’est leur projet [9]. Ça n’est évidemment pas celui de Poutine qui commence en Ukraine la guerre de civilisation afférente.

Revenu de cette stratégie occidentaliste, Poutine a changé de cap. Il est également passé de la paix perpétuelle de Kant à la guerre de Clausewitz. La slavophilie exige une bascule vers l’est de cette Russie partiellement européenne dans sa partie ouest - qu’on se souvienne: de l’Atlantique à l’Oural…

C’est désormais le projet eurasien qui l’intéresse. La résolution de la tension entre occidentalistes et slavophiles ne s’effectue plus de manière dialectique par une synthèse qui rendrait possible une dynamique occidentaliste et slavophile, mais par un mouvement slavophile oriental anti-occidentaliste. L’Occident, c’est-à-dire l’Europe de l’Ouest, est désormais clairement l’ennemi de Poutine.

En vertu de ce nouveau cap civilisationnel, Poutine a choisi la Chine comme amie. C’est une alliance de combat contre un ennemi commun: l’Occident. Mais cette union ne saurait durer au-delà du temps de l’adversaire partagé, car la Chine elle aussi a un projet impérial et impérialiste planétaire. Amis pour l’heure, ils auront pourtant à devenir et à être ennemis. Leurs projets impérialistes respectifs les y contraindront.

Poutine a longtemps préparé cette guerre en Ukraine. On sait qu’il a désindexé sa monnaie du dollar pour l’indexer sur l’or ce qui le rend inaccessible aux spéculations américaines donc européistes. On n’ignore pas non plus qu’il a préparé un débouché commercial chinois pour son gaz qui ne restera pas sans acheteur. Il a prévu le boycott international qui ne manquerait pas de surgir après son entrée en Ukraine, il l’a enjambé en se créant souverain, donc indépendant. Le pôle eurasien est donc tactique. A-t-il vocation à devenir civilisationnel ? Je crains que la slavophilie ne soit pas soluble dans le confucianisme, ni le marché libéral russe dans le communisme chinois.

Pour l’heure, on ne sait ce qui se trouve dans la tête de Poutine : après l’Ukraine, quels sont ses projets? Un homme qui a clairement annoncé aspirer à restaurer la grandeur russe avec les valeurs du christianisme orthodoxe et qui a clairement choisi la force, la violence, la guerre pour réaliser son projet, devient un adversaire armé, casqué et botté de l’Occident comme il dit- pour ma part, je dirais: d’une Europe slavophile de l’est contre l’autre occidentaliste de l’ouest.

Comment nommer Poutine? Démocrate autoritaire? Dictateur? Tyran ? Illibéral? Je pose pour ma part qu’avec son entrée militaire dans l’Ukraine il incarne désormais le fasciste.

Un problème sémantique se pose avec ce mot et je le signale depuis des années. Staline a introduit l’usage du mot «fasciste» pour caractériser quiconque ne pensait pas comme lui. On voit bien que Poutine fait de même en traitant de «nazis» les Ukrainiens. Si un fasciste ou un nazi est juste une personne qu’on insulte, les mots ne veulent plus rien dire. J’ai moi-même si souvent fait les frais de cette insulte que la preuve est donnée que le mot se trouve désormais vidé de son sens, de sa substance. Chacun connait la fable d’Ésope qui met en scène un berger seul dans la montagne qui crie au loup si souvent et sans raison que le jour où les bêtes sont là, il voit périr son troupeau.

Et pourtant.

On doit pouvoir l’utiliser à nouveau dans son sens véritable. Historiquement, le fascisme est une idéologie qui méprise la démocratie parlementaire pour lui préférer le César qui tient le pouvoir dans ses seules mains au nom du peuple: qui dira que Poutine n’est pas César en Russie? Pour ce faire, il se passe d’élection ou il bourre les urnes: on sait que tel est le cas, que Medvedev a été son homme de paille pendant qu’il gouvernait alors que les textes ne le lui permettaient pas; la loi et le droit, c’est lui, pas question dès lors qu’il existe une opposition: nul n’ignore qu’il emprisonne ses opposants ou les supprime en les empoisonnant ; il ne croit pas que la souveraineté populaire soit le moteur de l’histoire, mais, en bon hégélo-marxiste, il pense que seule la violence obtient cela, et que la guerre est une hygiène civilisationnelle: la Géorgie avant-hier, la Crimée hier, l’Ukraine aujourd’hui; il crée un culte de lui-même sur le principe viriloïde, il est l’athlète, le héros, le soldat, le guerrier : qui ne l’a vu torse nu, à cheval, chassant à l’ours, à la pêche , en judoka, en pilote de bombardier, de moto, de camion? Il est sans femme et sans enfants, sans amis, sans vie privée, il a donné son corps et son existence à la patrie. Mais ce qui définit le plus le fasciste, au-delà du banal César, c’est la considération que la violence doit être mise au service non pas du nationalisme, mais d’un impérialisme qui exige l’extension du domaine vital d’un peuple. Avec l’Ukraine, Poutine franchit la barrière qui le fait entrer dans le mode fasciste. Et nous avec lui…

Car l’Europe maastrichtienne, entièrement préoccupée de fixer les prix du clou et du boulon, mais aussi et surtout de permettre aux petites filles de huit ans de changer de sexe, de financer les gayprides et de célébrer le port du voile, de vendre des enfants et de louer des utérus, d’imposer l’écriture inclusive et de relayer la folie wokiste de la cancel culture américaine, a proclamé pendant des années qu’elle était le seul modèle de civilisation possible et, dixit Fukuyama, qu’il fallait travailler à uniformiser la planète pour en faire un vaste supermarché destiné à célébrer ces valeurs nihilistes, si je puis dire, destinées à faire place nette un jour pour le transhumanisme. Pendant qu’elle jouissait de sa puissance factice, cette Europe nihiliste ne voyait rien venir…

Pour finir, je voudrais rappeler l’anecdote rapportée par Julien Freund après sa soutenance de sa thèse en 1965. Au philosophe Jean Hippolyte qui s’offusque que Freund pense que l’opposition ami/ennemi est une catégorie majeure de la philosophie politique parce qu’elle structure le champ politique, Freund répond: «Vous pensez que c’est vous qui désignez l’ennemi, comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d’ennemis, nous n’en aurons pas, raisonnez-vous. Or c’est l’ennemi qui nous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitiés. Du moment qu’il veut que vous soyez son ennemi, vous l’êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin.»

Poutine a choisi que nous soyons ses ennemis, et il est bien décidé à nous empêcher de cultiver notre jardin.

L’Europe maastrichtienne intervient sans intervenir tout en intervenant - c’est la fameuse théorie du «en même temps» macronien. Officiellement, nous ne sommes pas en guerre, mais nous fournissons des armes antichars aux Ukrainiens, ce qui veut dire que nous sommes en guerre et pas seulement économique - ce dont Poutine se moque éperdument: la guerre économique ne gêne que son peuple et il n’a aucun souci de son peuple. S’il se rebellait, il le materait par la troupe.

Poutine ne va pas laisser en paix ceux qui luttent contre son projet d’annexer l’Ukraine. La France en fait désormais partie et avec elle l’Europe sans qu’aucune consultation électorale n’ait légitimé ces choix bellicistes et belliqueux qui engagent des peuples. Emmanuel Macron, qui n’a plus que quelques jours de légitimité à son quinquennat remis en jeu lors des prochaines élections présidentielles, agit lui aussi en César. Il n’hésite pas à faire du risque d’une Troisième Guerre mondiale un argument de campagne.

S’il est réélu, ses engagements personnels bellicistes et belliqueux vont coûter cher aux Français : hausse des prix des biens de première nécessité (pain, pâtes, farine), raréfaction des matières premières de l’industrie, fermetures d’usines, ravage de la filière agricole, essence inabordable, paupérisation généralisée, sans compter sur la possibilité non pas que des chars russes arrivent à Paris, mais que des hackers russes mènent à la France une cyberguerre qui pourrait paralyser tout ce qui fonctionne à l’électricité et toute l’informatique - du téléphone ou de l’ordinateur portable au pilotage de nos centrales nucléaires en passant par nos tours de contrôle aéroportuaires ou portuaires, sans oublier les voitures dotées d’ordinateurs dont elles dépendent. Et ce sans parler des hôpitaux, des prisons [10]…

L’impéritie de tout ce personnel politique maastrichtien est donc visible dans les pleins phares braqués par Poutine sur l’Occident en général et sur l’Europe en particulier, donc, sur la France. Notre rogaton de force procède de l’impuissance de Poutine - une armée russe rebelle, sa population qui se soulève, un attentat qui ôte la vie du tyran, mais rien qui vienne de l’Europe décadente dont parlait Raymond Aron. Nous sommes donc à sa merci.

Il est bien évident que Poutine va nous empêcher de cultiver notre jardin. La question est: quand?

Michel Onfray


[1] Pourquoi pas la même logique en France? Souverainiste à Kiev mais vassalisé à Paris, voilà un vrai sujet - mais c’en est un autre…

[2] Mon texte n’engage que moi et ce ne sont pas les analyses de l’auteur que je reproduis.

[3] Alexandre Koyré, La Philosophie et Le Problème national en Russie au début du XIXème siècle (1929, éd. Gallimard)

[4] Le lundi 15 novembre 2021, les Russes ont pulvérisé une ancienne station soviétique qui datait de 1982. Aucun chef de l’Etat européen n’a voulu voir dans cet acte l’un des petits cailloux semés par Poutine sur le chemin de sa guerre impérialiste. La France a dit que Thomas Pesquet était dans l’espace au moment du tir et que ça n’était pas gentil pour lui…

[5] Estonie, Lettonie, Lituanie, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Slovénie, Croatie, Roumanie, Bulgarie, Monténégro, Albanie, Macédoine du Nord.

[6] Mein Kampf (1925) va avoir cent ans et notre Europe est toujours intellectuellement structurée par cette période de l’histoire avec un usage perpétuel de la sémantique de cette époque : fasciste, nazi, pétainiste, vichyste, maréchaliste, collabo, résistant, voire «vichysto-résistant», antisémite - comme si l’antisémitisme était aujourd’hui le fait de nazis ou de gens qui se réclament du national-socialisme. A Paris on croit toujours qu’Hitler n’est pas mort; à Stalingrad, on sait que les soldats russes ne sont pas pour peu dans son trépas.

[7] Voir l’excellent petit livre de Marc Ferro, Le Ressentiment dans l’Histoire (éd. Odile Jacob, 2007)

[8] Précisons en passant que l’Ukraine, fortement occidentalisée, dirigée par un homme qui vient de la clownerie médiatique (je l’ai vu récemment dans un reportage simuler avec un comparse l’exécution d’une pièce de piano avec son pénis…), est le centre mondial de la gestation pour autrui. Un quart des enfants achetés et vendus sur la planète viennent de ce pays. Des jeunes filles pauvres entre 18 et 25 ans n’ont pas d’autre solution pour vivre que de vendre leurs ovocytes ou louer leur utérus. Pour 50.000 euros, de riches occidentaux peuvent commander un enfant, le choisir sur catalogue, le faire porter par un tiers rémunéré, contraint à une existence d’esclave dont la servitude se trouve clairement détaillée dans un contrat juridique, et repartir avec comme si c’était une voiture d’occasion. Ce nouveau Code noir dans son genre émeut assez peu dans les milieux qui se disent progressistes, les occidentalistes d’aujourd’hui… Il est plus facile d’accabler Colbert qu’Ursula von der Leyen qui a bidouillé ses CV en revendiquant des études qu’elle n’a pas faites…

[9] Jacques Attali, Demain qui gouvernera le monde? (éd.Fayard, 2011)

[10] Il est temps de relire Paul Virilio. Par exemple La Bombe informatique paru en 1998 aux éditions Galilée. Il m’avait fait l’amitié d’un envoi avec cette dédicace: «Pour Michel Onfray qui devine la suite.» Le bug qu’il avait annoncé pour l’an 2000 n’avait pas eu lieu, mais celui qu’il n’a cessé d’annoncer au-delà de cette date pourrait bien advenir alors qu’on ne l’attendait plus…


dimanche 20 mars 2022

"Les représentants des agences de #ONU (#UNESCO etc...) ont célébré leur 30e anniversaire en Azerbaïdjan dans CHOUCHI" par Hilda TCHOBOIAN


Les représentants des agences de #ONU (#UNESCO etc...) ont célébré leur 30e anniversaire en Azerbaïdjan dans CHOUCHI OCCUPÉE par l’armée de cette dictature raciste qui a employé des armes au phosphore contre les Arméniens ,  et qui continue de détruire le patrimoine culturel arménien ou au mieux, de se l’approprier. 

Question: ont-ils visité la cathédrale arménienne profanée par leurs hôtes après avoir été bombardée. On aurait souhaité les voir constater la destruction complète de « l’Eglise Verte » (Ganatch Yegueghetsi) de Chouchi. 

Bientôt deux ans que l’UNESCO EST ATTENDUE EN ARTSAKH POUR CONSTATER LES DESTRUCTIONS DES MONUMENTS ARMÉNIENS! 

"REPORT ON VIOLATIONS OF THE RIGHTS OF ARTSAKH PEOPLE BY AZERBAIJAN IN FEBRUARY - MARCH 2022

PUBLICATION DATE 18.03.2022

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In September-November 2020, with the involvement of Turkey and international mercenaries, Azerbaijan carried out aggressive hostilities against the civilian population of Artsakh (Nagorno-Karabakh) Republic, during which the Azerbaijani side committed numerous war crimes and crimes against humanity. All crimes were clearly documented in the reports prepared by the Artsakh Human Rights Defender, which were presented to international organizations, decision-makers of individual states. These reports are published on the official website of the Human Rights Defender.

On November 9, 2020, the President of the Russian Federation, the Prime Minister of the Republic of Armenia and the President of the Republic of Azerbaijan signed a trilateral statement on the cessation of war in Nagorno Karabakh, which ended large-scale hostilities and deployed Russian peacekeeping forces. For almost a year and a half after the establishment of the ceasefire, the Azerbaijani side, through various means, has violated the rights of the people of Artsakh, including the right to life, health, physical and psychological integrity. These actions became more aggressive in February-March 2022, the details are presented in Section 1 of this report.

On March 8, 2022, at 01:00, the operation of the only gas pipeline coming from the Republic of Armenia to Artsakh was completely destroyed, as a result of which the entire population of Artsakh was deprived of gas supply. The facts obtained from various sources prove that the gas pipeline was deliberately blown up by the Azerbaijani Armed Forces. The fact that the Azerbaijani side has blocked specialists of the local gas supply company from accessing the damaged part of the pipeline for more than a week to carry out emergency repair works speaks of the direct intention of Azerbaijan to disrupt the gas supply and consequently create a difficult humanitarian situation in Artsakh. The general description of the humanitarian problems caused by the disruption of gas supply is presented in Section 2 of this report.

In parallel with the criminal actions against different communities, the deliberate disruption of the gas supply, the Azerbaijani side is carrying out psychological pressure and propaganda campaigns against the people of Artsakh, pursuing the aim of forcing the civilian population to leave their homes. The facts of such cases and their analysis are presented in Section 3 of this report.

The report was prepared on the basis of studies conducted by the Human Rights Defender's Office, on the visits to various communities, educational and health institutions, to citizens' houses, on private conversations with citizens, and information received from state authorized bodies.

The aim is to document the cases of violation of the rights of the people of Artsakh by Azerbaijan and their various manifestations and to draw the attention of international institutions and human rights organizations to the situation in Artsakh."

Les représentants des agences de #ONU (#UNESCO etc...) ont célébré leur 30e anniversaire en Azerbaïdjan dans CHOUCHI OCCUPÉE par l’armée de cette dictature raciste qui a employé des armes au phosphore contre les Arméniens ,  et qui continue de détruire le patrimoine culturel arménien ou au mieux, de se l’approprier. 

Question: ont-ils visité la cathédrale arménienne profanée par leurs hôtes après avoir été bombardée. On aurait souhaité les voir constater la destruction complète de « l’Eglise Verte » (Ganatch Yegueghetsi) de Chouchi. 

Bientôt deux ans que l’UNESCO EST ATTENDUE EN ARTSAKH POUR CONSTATER LES DESTRUCTIONS DES MONUMENTS ARMÉNIENS! 

RAPPORT SUR LES VIOLATIONS DES DROITS DES PEUPLES ARTSAKH PAR L'AZERBAIDJAN EN FÉVRIER - MARS 2022

PUBLICATION DATE 18.03.2022

En septembre-novembre 2020, avec l'implication de la Turquie et de mercenaires internationaux, l'Azerbaïdjan a mené des hostilités agressives contre la population civile de la République de l'Artsakh (Nagorno-Karabakh), au cours desquelles le comité latéral azerbaidjan a commis de nombreux crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Tous les crimes ont été clairement documentés dans les rapports préparés par le défenseur des droits de l'homme de l'Artsakh, qui ont été présentés aux organisations internationales, aux décideurs d'États Ces rapports sont publiés sur le site officiel du défenseur des droits de l'homme.

Le 9 novembre 2020, le Président de la Fédération de Russie, le Premier Ministre de la République d'Arménie et le Président de la République d’Azerbaïdjan ont signé une déclaration trilatérale sur la cessation de la guerre au Haut-Karabakh, qui a mis fin aux grands-s cale les hostilités et les forces russes de maintien de la paix déployées. Pendant près d'un an et demi après l'instauration du cessez-le-feu, la partie azerbaïdjanaise, par divers moyens, a violé les droits du peuple artsakh, notamment le droit à la vie, à la santé, à l'intégrité physique et psychologique. Ces actions sont devenues plus agressives en février-mars 2022, les détails sont présentés dans la section 1 de ce rapport.

Le 8 mars 2022, à 01h00, l'exploitation du seul gazoduc venant de la République d'Arménie à l'Artsakh a été complètement détruite, ce qui a permis à toute la population de l'Artakh d'être privée d'approvisionnement en gaz. Les faits obtenus de différentes sources prouvent que le gazoduc a été délibérément explosé par les forces armées azerbaïdjanaises. Le fait que la partie azerbaïdjanaise ait empêché les spécialistes de la compagnie locale d'approvisionnement de gaz d'accéder à la partie endommagée du gazoduc pendant plus d'une semaine pour effectuer des travaux de réparation d'urgence témoigne de l'intention directe de l'Azerbaidjan d'emppêcher l'approvisionnement en gaz et par conséquent créer une situation humanitaire difficile en Artsakh. La description générale des problèmes humanitaires causés par la perturbation de l'approvisionnement en gaz est présentée à la section 2 du présent rapport.

Parallèlement aux actions criminelles contre différentes communautés, à la perturbation délibérée de l'approvisionnement en gaz, la partie azerbaïdjanaise mène des campagnes de pression psychologique et de propagande contre le peuple de l'Artsakh, dans le but de forçer la population civile à quitter leur foyer. Les faits et leur analyse sont présentés à la section 3 du présent rapport.

Le rapport a été établi sur la base d'études réalisées par le Bureau du défenseur des droits de l'homme, sur les visites dans différentes communautés, établissements d'enseignement et de santé, dans les maisons des citoyens, sur les conversations privées avec les citoyens et sur les informations reçues des organes agréés de l'État.

L'objectif est de documenter les cas de violation des droits du peuple de l'Artsakh par l'Azerbaïdjan et leurs diverses manifestations et d'attirer l'attention des institutions internationales et des organisations de défense des droits de l'homme sur la situation en Artsakh.

                                                                 

       Hilda TCHOBOIAN                                          (20mars 2022)



jeudi 17 mars 2022

BULLETIN DE DOCUMENTATION N°27 LA SITUATION MILITAIRE EN UKRAINE Jacques Baud (Suisse)

PREMIÈRE PARTIE : EN ROUTE VERS LA GUERRE 

Pendant des années, du Mali à l’Afghanistan, j’ai travaillé pour la paix et ai risqué ma vie pour elle. Il ne s’agit donc pas de justifier la guerre, mais de comprendre ce qui nous y a conduit. Je constate que les « experts » qui se relaient sur les plateaux de télévision analysent la situation à partir d’informations douteuses, le plus souvent des hypothèses érigées en faits, et dès lors on ne parvient plus à comprendre ce qui se passe. C’est comme ça que l’on crée des paniques. 

Le problème n’est pas tant de savoir qui a raison dans ce conflit, mais de s’interroger sur la manière dont nos dirigeants prennent leurs décisions. 

Essayons d’examiner les racines du conflit. Cela commence par ceux qui durant les huit dernières années nous parlaient de « séparatistes » ou des « indépendantistes » du Donbass. C’est faux. Les référendums menés par les deux républiques auto-proclamées de Donetsk et de Lougansk en mai 2014, n’étaient pas des référendums d’« indépendance » (независимость), comme l’ont affirmé certains journalistes peu scrupuleux, mais de référendums d’« auto-détermination » ou d’« autonomie » (самостоятельность). Le qualificatif « pro-russes » suggère que la Russie était partie au conflit, ce qui n’était pas le cas, et le terme « russophones » aurait été plus honnête. D’ailleurs, ces référendums ont été conduits contre l’avis de Vladimir Poutine. 

En fait, ces Républiques ne cherchaient pas à se séparer de l’Ukraine, mais à avoir un statut d’autonomie leur garantissant l’usage de la langue russe comme langue officielle. Car le premier acte législatif du nouveau gouvernement issu du renversement du président Ianoukovitch, a été l’abolition, le 23 février 2014, de la loi Kivalov-Kolesnichenko de 2012 qui faisait du russe une langue officielle. Un peu comme si des putschistes décidaient que le français et l’italien ne seraient désormais plus des langues officielles en Suisse. 

Cette décision provoque une tempête dans la population russophone. Il en résulte une répression féroce contre les régions russophones (Odessa, Dniepropetrovsk, Kharkov, Lougansk et Donetsk) qui s’exerce dès février 2014 et conduit à une militarisation de la situation et à quelques massacres (à Odessa et à Marioupol, pour les plus importants). À la fin de l’été 2014, ne restent que les Républiques auto-proclamées de Donetsk et de Lougansk. 

A ce stade, trop rigides et engoncés dans une approche doctrinaire de l’art opératif, les états-majors ukrainiens, subissent l’ennemi sans parvenir s’imposer. L’examen du déroulement des combats en 2014-2016 dans le Donbass montre que l’état-major ukrainien a systématiquement et mécaniquement appliqué les mêmes schémas opératifs. Or, la guerre menée par les autonomistes est alors très proche de ce que l’on observe dans le Sahel : des opérations très mobiles menées avec des moyens légers. Avec une approche plus flexible et moins doctrinaire, les rebelles ont su exploiter l’inertie des forces ukrainienne pour les « piéger » de manière répétée. 

En 2014, je suis à l’OTAN, responsable de la lutte contre la prolifération des armes légères, et nous tentons de détecter des livraisons d’armes russes aux rebelles afin de voir si Moscou est impliqué. Les informations que nous recevons viennent alors pratiquement toutes des services de renseignement polonais et ne « collent pas » avec les informations en provenance de l’OSCE : en dépit d’allégations assez grossières, on n’observe aucune livraison d’armes et de matériels militaire de Russie. 

Les rebelles sont armés grâce aux défections d’unités ukrainiennes russophones qui passent du côté rebelle. Au fur et à mesure des échecs ukrainiens, les bataillons de chars, d’artillerie ou anti-aériens au complet viennent grossir les rangs des autonomistes. C’est ce qui pousse les Ukrainiens à s’engager dans les Accords de Minsk. 

Mais, juste après avoir signé les Accords de Minsk 1, le président ukrainien Petro Porochenko lance une vaste opération antiterroriste (ATO/Антитерористична операція) contre le Donbass. Bis repetita placent : mal conseillés par des officiers de l’OTAN, les Ukrainiens subissent une cuisante défaite à Debaltsevo qui les oblige à s’engager dans les Accords de Minsk  

Il est essentiel de rappeler ici que les Accords de Minsk 1 (septembre 2014) et Minsk 2 (février 2015), ne prévoyaient ni la séparation, ni l’indépendance des Républiques, mais leur autonomie dans le cadre de l’Ukraine. Ceux qui ont lu les Accords (ils sont très, très, très peu nombreux) constateront qu’il est écrit en toutes lettres que le statut des républiques devait être négocié entre Kiev et les représentants des républiques, pour une solution interne à l’Ukraine. 

C’est pourquoi depuis 2014, la Russie a systématiquement demandé leur application tout en refusant d’être partie aux négociations, car il s’agissait d’une affaire intérieure à l’Ukraine. De l’autre côté, les Occidentaux – France en tête – ont systématiquement tenté de substituer aux Accords de Minsk le « format Normandie », qui mettait face à face Russes et Ukrainiens.

 Or, rappelons-le, il n’y a jamais eu de troupes russes dans le Donbass avant le 23-24 février 2022. D’ailleurs, les observateurs de l’OSCE n’ont jamais observé la moindre trace d’unités russes opérant dans le Donbass. Ainsi, la carte des services de renseignements américains publiée par le Washington Post le 3 décembre 2021 ne montre pas de troupes russes dans le Donbass.

En octobre 2015, Vasyl Hrytsak, directeur du Service de sécurité ukrainien (SBU), confessait que l’on avait seulement observé 56 combattants russes dans le Donbass. C’était un même constat comparable à celui des Suisses qui allaient combattre en Bosnie durant les week-ends, dans les années 1990, ou des Français qui vont combattre en Ukraine aujourd’hui. 

L’armée ukrainienne est alors dans un état déplorable. En octobre 2018, après quatre ans de guerre, le procureur militaire ukrainien en chef Anatoly Matios déclarait que 

l’Ukraine avait perdu 2 700 hommes dans le Donbass : 891 de maladies, 318 d’accidents de la route, 177 d’autres accidents, 175 d’empoisonnements (alcool, drogue), 172 suite à des manipulations imprudentes d'armes, 101 d’infractions aux règles de sécurité, 228 de meurtres et 615 de suicides. 

En fait, l’armée est minée par la corruption de ses cadres et ne jouit plus du soutien de la population. Selon un rapport du ministère de l’Intérieur britannique, lors du rappel des réservistes de mars-avril 2014, 70 % ne se sont pas présentés à la première session, 80 % à la deuxième, 90 % à la troisième et 95 % à la quatrième. En octobre/novembre 2017, 70 % des appelés ne se sont pas présentés lors de la campagne de rappel « Automne 2017 ». Ceci sans compter les suicides et les désertions (souvent au profit des autonomistes) qui atteignent jusqu’à 30 % des effectifs dans la zone de l’ATO. Les jeunes Ukrainiens refusent d’aller combattre dans le Donbass et préfèrent l’émigration, ce qui explique aussi, partiellement au moins, le déficit démographique du pays.

Le ministère de la Défense ukrainien s’adresse alors à l’OTAN pour l’aider à rendre ses forces armées plus « attractives ». Ayant déjà travaillé à des projets similaires dans le cadre des Nations Unies, j’ai été sollicité par l’OTAN pour participer à un programme destiné à restaurer l’image des forces armées ukrainiennes. Mais c’est un processus de longue haleine et les Ukrainiens veulent aller vite. 

Ainsi, pour compenser le manque de soldats, le gouvernement ukrainien recourt alors à des milices paramilitaires. Elles sont essentiellement composées de mercenaires étrangers, souvent militants d’extrême-droite. En 2020, elles constituent environ 40% des forces ukrainiennes et comptent environ 102 000 hommes selon Reuters. Elles sont armées, financées et formées par les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada et la France. On y trouve plus de 19 nationalités – dont des Suisses. 

Les pays occidentaux ont donc clairement créé et soutenu des milices d’extrême droite ukrainiennes. En octobre 2021, le Jerusalem Post sonnait l’alarme en dénonçant le projet Centuria. Ces milices opèrent dans le Donbass depuis 2014, avec le soutien des Occidentaux. Même si on peut discuter le terme « nazi », il n’en demeure pas moins que ces milices sont violentes, véhiculent une idéologie nauséabonde et sont virulemment antisémites. Leur antisémitisme est plus culturel que politique, c’est pourquoi le qualificatif « nazi » n’est pas vraiment adapté. Leur haine du juif vient des grandes famines des années 1920-1930 en Ukraine, résultant de la confiscation des récoltes par Staline afin de financer la modernisation de l’Armée Rouge.

 Or, ce génocide – connu en Ukraine sous le nom d’Holodomor – a été perpétré par le NKVD (ancêtre du KGB) dont les échelons supérieurs de conduite étaient principalement composés de juifs.

 C’est pourquoi, aujourd’hui, les extrémistes ukrainiens demandent à Israël de s’excuser pour les crimes du communisme, comme le relève le Jerusalem Post. On est donc bien loin d’une « réécriture de l’Histoire » par Vladimir Poutine. 

Ces milices, issues des groupes d’extrême-droite qui ont animé la révolution de l’Euromaïdan en 2014, sont composées d’individus fanatisés et brutaux. La plus connue d’entre elles est le régiment Azov, dont l’emblème rappelle celui de la 2e Panzerdivision SS Das Reich, qui fait l’objet d’une véritable vénération en Ukraine, pour avoir libéré Kharkov des Soviétiques en 1943, avant de perpétrer le massacre d’Oradour-sur-Glane en 1944, en France. 

Parmi les figures célèbres du régiment Azov, on trouvait l’opposant Roman Protassevitch, arrêté en 2021 par les autorités bélarusses à la suite de l’affaire du vol RyanAir FR4978. Le 23 mai 2021, on évoque le détournement délibéré d’un avion de ligne par un MiG-29 – avec l’accord de Poutine, bien évidemment – pour arrêter Protassevitch, bien que les informations alors disponibles ne confirment absolument pas ce scénario. 

Mais il faut alors montrer que le président Loukachenko est un voyou et Protassevitch un «journaliste» épris de démocratie. Pourtant, une enquête assez édifiante produite par une ONG américaine en 2020, mettait en évidence les activités militantes d’extrême-droite de Protassevitch. Le complotisme occidental se met alors en marche et des médias peu scrupuleux «toilettent» sa biographie. Finalement, en janvier 2022, le rapport de l’OACI est publié et montre que malgré quelques erreurs de procédure, le Bélarus a agi conformément aux règles en vigueur et que le MiG-29 a décollé 15 minutes après que le pilote de RyanAir a décidé d’aller atterrir à Minsk. Donc pas de complot bélarus et encore moins avec Poutine. Ah!... Encore un détail: Protassevitch, cruellement torturé par la police bélarusse, est aujourd’hui libre. Ceux qui voudraient correspondre avec lui, peuvent aller sur son compte Twitter. 

La qualification de «nazi» ou «néo-nazi» donnée aux paramilitaires ukrainiens est considérée comme de la propagande russe. Peut-être; mais ce n’est pas l’avis du Times of Israel, du Centre Simon Wiesenthal ou du Centre de Lutte contre le Terrorisme de l’académie de West Point. Mais cela reste discutable, car, en 2014, le magazine Newsweek semblait plutôt les associer à…l’État Islamique. Au choix! 

Donc, l’Occident soutient et continue d’armer des milices qui se sont rendues coupables de nombreux crimes contre les populations civiles depuis 2014: viols, torture et massacres. Mais alors que le gouvernement suisse a été très prompt à prendre des sanctions contre la Russie, il n’en n’a adopté aucune contre l’Ukraine qui massacre sa propre population depuis 2014. En fait, ceux qui défendent les droits de l’homme en Ukraine ont depuis longtemps condamné les agissements de ces groupes, mais n’ont pas été suivis par nos gouvernements. Car, en réalité, on ne cherche pas à aider l’Ukraine, mais à combattre la Russie.

L’intégration de ces forces paramilitaires dans la Garde Nationale ne s’est pas du tout accompagnée d’une «dénazification», comme certains le prétendent. Parmi les multiples exemples, celui de l’insigne du Régiment Azov est édifiant:

De gauche à droite    

            1 - Insigne de la 2e PANDERDIVIDION SS "Das Reich"

 2 - Logo du Parti SvoBoDa

           3 - PATRIOT UKRAÏNI - Insigne du groupe  

          4 - Insigne du bataillon AZOV

 

En 2022, très schématiquement, les forces armées ukrainiennes qui combattent l’offensive russe s’articulent en : 

- Armée de terre, subordonnée au ministère de la Défense : elle est articulée en 3 corps d’armée et composée de formations de manoeuvre (chars, artillerie lourde, missiles, etc.).

- Garde Nationale, qui dépend du ministère de l'Intérieur et est articulée en 5 commandements territoriaux.

La Garde Nationale est donc une force de défense territoriale qui ne fait pas partie de l’armée ukrainienne. Elle comprend les milices paramilitaires, appelées « bataillons de volontaires » (добровольчі батальйоні), également connues sous le nom évocateur de « bataillons de représailles », composés d’infanterie. Principalement formés pour le combat urbain, ceux-ci assurent aujourd’hui la défense de villes comme Kharkov, Marioupol, Odessa, Kiev, etc.


DEUXIÈME PARTIE : LA GUERRE

Ancien responsable des forces du Pacte de Varsovie au service de renseignement stratégique helvétique, j’observe avec tristesse – mais sans étonnement – que nos services ne sont plus en mesure de comprendre la situation militaire en Ukraine. Les « experts » auto-proclamés qui défilent sur nos écrans relaient inlassablement les mêmes informations modulées par l’affirmation que la Russie – et Vladimir Poutine – est irrationnel. Prenons un peu de recul.

- Le déclenchement de la guerre

Depuis le mois de novembre 2021, les Américains ne cessent de brandir la menace d’une invasion russe contre l’Ukraine. Pourtant, les Ukrainiens ne semblent pas du même avis. Pourquoi ? 

Il faut remonter au 24 mars 2021. Ce jour-là, Volodymyr Zelensky promulgue un décret pour la reconquête de la Crimée et commence à déployer ses forces vers le sud du pays. Simultanément, a lieu la conduite de plusieurs exercices de l’OTAN entre la mer Noire et la mer Baltique, accompagnés d’un accroissement important des vols de reconnaissance le long de la frontière russe. La Russie, mène alors quelques exercices, afin de tester la disponibilité opérationnelle de ses troupes et montrer qu'elle suit l'évolution de la situation. 

Les choses se calment jusqu’en octobre-novembre avec la fin des exercices ZAPAD 21, dont les mouvements de troupes sont interprétés comme un renforcement en vue d’une offensive contre l’Ukraine. Pourtant, même les autorités ukrainiennes réfutent l’idée de préparatifs russes pour une guerre et Oleksiy Reznikov, ministre de la Défense ukrainien déclare qu’il n’y a pas de changement à sa frontière depuis le printemps. 

En violation des Accords de Minsk, l’Ukraine mène des opérations aériennes au Donbass à l’aide de drones, dont au moins exécute une frappe contre un dépôt de carburant à Donetsk en octobre 2021. La presse américaine le relève, mais pas les Européens et personne ne condamne ces violations. 

En février 2022, les événements se précipitent. Le 7 février, lors de sa visite à Moscou, Emmanuel Macron réaffirme à Vladimir Poutine son attachement aux Accords de Minsk, un engagement qu’il répétera à l’issue de son entrevue avec Volodymyr Zelensky, le lendemain. Mais le 11 février, à Berlin, après 9 heures de travail, la réunion des conseillers politiques des dirigeants du « format Normandie » s’achève, sans résultat concret : les Ukrainiens refusent encore et toujours d’appliquer les Accords de Minsk, apparemment sous la pression des États-Unis. Vladimir Poutine constate alors que Macron lui a fait des promesses en l’air et que les Occidentaux ne sont pas prêts à faire appliquer les Accords, comme ils le font depuis huit ans. 

Les préparatifs ukrainiens dans la zone de contact continuent. Le Parlement russe s’alarme et le 15 février demande à Vladimir Poutine de reconnaître l’indépendance des Républiques, ce qu’il refuse. 

Le 17 février, le président Joe Biden annonce que la Russie va attaquer l’Ukraine dans les prochains jours. Comment le sait-il ? Mystère… Mais depuis le 16, le pilonnage d’artillerie sur les populations du Donbass augmente de manière dramatique, comme le montrent les rapports journaliers des observateurs de l’OSCE. Naturellement, ni les médias, ni l’Union européenne, ni l’OTAN, ni aucun gouvernement occidental ne réagit et n’intervient. On dira plus tard, qu’il s’agit de désinformation russe. En fait, il semble que l’Union européenne et certains pays ont à dessein passé sous silence le massacre des populations du Donbass, sachant que cela provoquerait une intervention russe. 

Simultanément, on signale des actes de sabotages dans le Donbass. Le 18 janvier, les combattants du Donbass interceptent des saboteurs équipés de matériel occidental et parlant polonais cherchant à créer des incidents chimiques à Gorlivka. Il pourrait s’agir de mercenaires de la CIA, conduits ou « conseillés » par des Américains et composés de combattants ukrainiens ou européens, pour mener des actions de sabotage dans les Républiques du Donbass. 

En fait, dès le 16 février, Joe Biden sait que les Ukrainiens ont commencé à pilonner les populations civiles du Donbass, mettant Vladimir Poutine devant un choix difficile : aider le Donbass militairement et créer un problème international ou rester sans rien faire et regarder les russophones du Donbass se faire écraser. 

S’il décide d’intervenir, Vladimir Poutine peut invoquer l’obligation internationale de « Responsibility To Protect » (R2P). Mais il sait que quelle que soit sa nature ou son ampleur, l’intervention déclenchera une pluie de sanctions. Dès lors, que son intervention soit limitée au Donbass ou qu’elle aille plus loin pour faire pression sur les Occidentaux pour le statut de l’Ukraine, le prix à payer sera le même. C’est d’ailleurs ce qu’il explique lors de son allocution du 21 février. 

Ce jour-là, il accède à la demande de la Douma et reconnaît l’indépendance des deux Républiques du Donbass et, dans la foulée, il signe avec elles des traités d’amitié et d’assistance. 

Les bombardements de l’artillerie ukrainienne sur les populations du Donbass se poursuivent et, le 23 février, les deux Républiques demandent l’aide militaire de la Russie. Le 24, Vladimir Poutine invoque l’article 51 de la Charte des Nations Unies qui prévoit l’entraide militaire dans le cadre d’une alliance défensive. 

Afin de rendre l’intervention russe totalement illégale aux yeux du public nous occultons délibérément le fait que la guerre a effectivement commencé le 16 février. L’armée ukrainienne s’apprêtait à attaquer le Donbass dès 2021, comme le savaient pertinemment certains services de renseignement russes et européens… Les juristes jugeront. 

Dans son allocution du 24 février, Vladimir Poutine a énoncé les deux objectifs de son opération : « démilitariser » et « dénazifier » l’Ukraine. Il ne s’agit donc pas de s’emparer de l’Ukraine, ni même, vraisemblablement de l’occuper et certainement pas de la détruire. 

À partir de là, notre visibilité sur le déroulement de l’opération est limitée : les Russes ont une excellente sécurité des opérations (OPSEC) et le détail de leur planification n’est pas connue. Mais assez rapidement, le déroulement des opérations permet de comprendre comment les objectifs stratégiques se sont traduits sur le plan opératif. 

- Démilitarisation : 

. destruction au sol de l’aviation, des systèmes de défense aérienne et des moyens de reconnaissance ukrainiens ; 

. neutralisation des structures de commandement et de renseignement (C3I), ainsi que des principales voies logistiques dans la profondeur du territoire ; 

. encerclement du gros de l’armée ukrainienne massée dans le sud-est du pays. 

- Dénazification : 

. destruction ou neutralisation des bataillons de volontaires qui opèrent dans les villes d’Odessa, Kharkov et Marioupol, ainsi que dans diverses installations sur le territoire. 


 - La « démilitarisation 

L’offensive russe se déroule de manière très « classique ». Dans un premier temps – comme l’avaient fait les Israéliens en 1967 – avec la destruction au sol des forces aériennes dans les toutes premières heures. Puis, on assiste à une progression simultanée sur plusieurs axes selon le principe de « l’eau qui coule » : on avance partout où la résistance est faible et on laisse les villes (très voraces en troupes) pour plus tard. Au nord, la centrale de Tchernobyl est occupée immédiatement afin de prévenir des actes de sabotage. Les images de soldats ukrainiens et russes assurant ensemble la surveillance de la centrale ne sont naturellement pas montrées… 

L’idée que la Russie cherche à s’emparer de Kiev, la capitale pour éliminer Zelensky, vient typiquement des Occidentaux : c’est ce qu’ils ont fait en Afghanistan, en Irak, en Libye et ce qu’ils voulaient faire en Syrie avec l’aide de l’État islamique. Mais Vladimir Poutine n’a jamais eu l’intention d’abattre ou de renverser Zelensky. La Russie cherche au contraire à le maintenir au pouvoir en le poussant à négocier en encerclant Kiev. Il avait refusé de faire jusque-là pour appliquer les Accords de Minsk, mais maintenant les Russes veulent obtenir la neutralité de l’Ukraine. 

Beaucoup de commentateurs occidentaux se sont étonnés que les Russes aient continué à chercher une solution négociée tout en menant des opérations militaires. L’explication est dans la conception stratégique russe, depuis l’époque soviétique. Pour les Occidentaux, la guerre commence lorsque la politique cesse. Or, l’approche russe suit une inspiration clausewitzienne : la guerre est la continuité de la politique et on peut passer de manière fluide de l’une à l’autre, même au cours des combats. Cela permet de créer une pression sur l’adversaire et le pousser à négocier. 

Du point de vue opératif, l’offensive russe a été un exemple du genre : en six jours, les Russes se sont emparés d’un territoire aussi vaste que le Royaume-Uni, avec une vitesse de progression plus grande que ce que la Wehrmacht avait réalisé en 1940. 

Le gros de l’armée ukrainienne était déployé au sud du pays en vue d’une opération

majeure contre le Donbass. C’est pourquoi, les forces russes ont pu l’encercler dès le début mars dans le « chaudron » compris entre Slavyansk, Kramatorsk et Severodonetsk, par une poussée venant de l’est par Kharkov et une autres venant du sud depuis la Crimée. Les troupes des Républiques de Donetsk (RPD) et de Lougansk (RPL) complètent l’action des forces russes par une poussée venant de l’Est. 

A ce stade, les forces russes resserrent lentement l’étau, mais ne sont plus sous pression du temps. Leur objectif de démilitarisation est pratiquement atteint et les forces ukrainiennes résiduelles n’ont plus de structure de commandement opératif et stratégique. 

Le « ralentissement » que nos « experts » attribuent à une mauvaise logistique, n’est que la conséquence d’avoir atteint les objectifs fixés. La Russie ne semble pas vouloir s’engager dans une occupation de l’ensemble du territoire ukrainien. En fait, il semble plutôt que la Russie cherche à limiter son avance à la frontière linguistique du pays. 

Nos médias parlent de bombardements indiscriminés contre les populations civiles, notamment à Kharkov et des images dantesques sont diffusées en boucle. Pourtant, Gonzalo Lira, un latino-américain qui y vit, nous présente une ville calme le 10 mars, et le 11 mars. Certes c’est une grande ville et on ne voit pas tout, mais cela semble indiquer que l’on n’est pas dans la guerre totale qu’on nous sert en continu sur nos écrans. 

Quant aux Républiques du Donbass, elles ont « libéré » leurs propres territoires et combattent dans la ville de Marioupol. 


- La « dénazification » 

Dans les villes comme Kharkov, Marioupol et Odessa, la défense est assurée par les milices paramilitaires. Elles savent que l’objectif de « dénazification » les vise au premier chef. 

Pour un attaquant en zone urbanisée, les civils sont un problème. C’est pourquoi la Russie cherche à créer des couloirs humanitaires pour vider les villes des civils et ne laisser que les milices afin de les combattre plus facilement. 

À l’inverse, ces milices cherchent à garder les civils dans les villes afin de dissuader l’armée russe de venir y combattre. C’est pourquoi elles sont réticentes à mettre en oeuvre ces couloirs et font tout pour que les efforts russes soient vains : ils peuvent ainsi utiliser la population civile comme « boucliers humains ». Les vidéos montrant des civils cherchant à quitter Marioupol et tabassés par les combattants du régiment Azov sont naturellement soigneusement censurées chez nous. 

Sur Facebook, le groupe Azov était considéré dans la même catégorie que l’État islamique et soumis à la « politique sur les individus et organisations dangereuses » de la plate-forme. Il était donc interdit de le glorifier, et les « posts » qui lui étaient favorables étaient systématiquement bannis. Mais le 24 février, Facebook modifie sa politique et autorise les posts favorables à la milice. Dans le même esprit, en mars, la plate-forme autorise, dans les ex-pays de l’Est, les appels au meurtre de militaires et de dirigeants russes. Voilà pour les valeurs qui inspirent nos dirigeants, comme nous le verrons. 

Nos médias propagent une image romanesque de la résistance populaire. C’est cette image qui a conduit l’Union européenne à financer la distribution d’armes à la population civile. C’est un acte criminel. Dans mes fonctions de chef de la doctrine des opérations de maintien de la paix à l’ONU, j’ai travaillé sur la question de la protection des civils. Nous avons alors constaté que les violences contre les civils avaient lieu dans des contextes très précis. En particulier lorsque les armes foisonnent et qu’il n’y pas de structures de commandement. 

Or, ces structures de conduite sont l’essence des armées : elles ont pour fonction de

canaliser l’emploi de la force en fonction d’un objectif .En armant des citoyens demanière désordonnée comme c’est le casactuellement, l’UE les transforme en combattants, avec les conséquences qui en découlent: des cibles potentielles. En outre ,sans commandement, sans buts opératifs, la distribution d’armes conduit inéluctablement à des règlements de compte, du banditisme et à des actions plus meurtrières qu’efficaces. Laguerre devient une affaired’émotions .La force devient violence. C’est ce qui s’est passéàTawarga(Libye)du11au 13 août 2011, où 30000 africains noirs ont été massacrés avec des armes parachutées (illégalement)par la France. D’ailleurs, l’Institut royald’étude stratégique britannique (RUSI) ne voit pas de valeurajoutée à ces livraisons d’armes.

De plus, en livrant des armes à un pays en guerre, on s’expose à être considéré comme un belligérant. Les frappes russes du 13 mars 2022, contre la base aérienne de Mykolaïv suivent les avertissements russes que les transports d’armes seraient traités comme des cibles hostiles.

L’UE répète la désastreuse expérience du IIIe Reich dans les dernières heures de la bataille de Berlin. La guerre doit être laissée aux militaires et lorsqu’un camp a perdu, il faut l’admettre. Et s’il doit y avoir une résistance, elle doit impérativement être conduite et structurée. Or, nous faisons exactement l’inverse: on pousse des citoyens à aller se battre et simultanément, Facebook autorise les appels au meurtre de militaires et de dirigeants russes. Voilà pour les valeurs qui nous inspirent. 

Dans certains services de renseignement, on voit cette décision irresponsable comme une manière d’utiliser la population ukrainienne comme chair à canon pour combattre laRussie de Vladimir Poutine. Il fallait laisser ce genre de décision meurtrière aux collègues du grand-père d’Ursula von de rLeyen. Il aurait été plus judicieux d’engager des négociations et ainsi obtenir des garanties pour les populations civiles que d’ajouter de l’huile sur le feu. Il est facile d’être combatif avec le sang des autres…

La maternité de Marioupol

Il est important de comprendre au préalable que ce n’est pas l’armée ukrainienne qui assure la défense de Marioupol, mais la milice Azov, composée de mercenaires étrangers. 

Dans son résumé de la situation du 7 mars 2022, la mission russe de l’ONU à NewYork déclare que «Les habitants rapportent que les forces armées ukrainiennes ont expulsé le personnel de l'hôpital natal n°1 de la ville de Marioupol et ont installé un poste de tir à l'intérieur de l'établissement.»

Le 8 mars , le média indépendant russe Lenta.ru, publie le témoignage de civils de Marioupol qui racontent que la maternité a été prise par les milices du régiment Azov, et en ont chassé les occupants civils en les menaçant de leurs armes. Ils confirment ainsi les déclarations de l’ambassadeur russe quelques heures plus tôt.

L’hôpital de Marioupol occupe une position dominante, parfaitement adéquate pour y installer des armes antichars et pour l’observation. Le 9 mars, les forces russes frappent le bâtiment. Selon CNN, il y aurait 17 blessés, mais les images ne montrent aucune victime dans les locaux et rien ne montre que les victimes dont on parle sont liées à cette frappe. On parle d’enfants, mais en réalité, on ne voit rien. C’est peut-être vrai, mais c’est peut-être faux… Ce qui n’empêche pas les dirigeants de l’UE d’y voir un crime de guerre… Ce qui permet, juste après, à Zelensky de réclamer une zone d’interdiction de vol au-dessus de l’Ukraine… 

En réalité, on ne sait pas exactement ce qui s’est passé. Mais la séquence des événements tend à confirmer que les forces russes ont frappé une position du régiment Azov et que la maternité était alors libre de tout civils. 

Le problème est que les milices paramilitaires qui assurent la défense des villes sont encouragées par la communauté internationale à ne pas respecter les usages de la guerre. Il semble que les Ukrainiens ont rejoué le scénario de la maternité de Koweït City en 1990, qui avait été totalement mise en scène par la firme Hill & Knowlton pour un montant de 10,7 millions de dollars afin de convaincre le Conseil de Sécurité des Nations Unies d’intervenir en Irak pour l’opération Desert Shield/Storm. 

Les politiciens occidentaux ont d’ailleurs accepté les frappes contre les civils du Donbass pendant huit ans, sans adopter aucune sanction contre le gouvernement ukrainien. Nous sommes depuis longtemps entrés dans une dynamique où les politiques occidentaux ont accepté de sacrifier le droit international à leur objectif d’affaiblir à la Russie. 


TROISIÈME PARTIE : CONCLUSIONS 

En tant qu’ex-professionnel du renseignement, la première chose qui me frappe est l’absence totale des services de renseignement occidentaux dans la représentation de la situation depuis une année. En Suisse, on a reproché aux services de ne pas avoir fourni une image correcte de la situation. En fait, il semble que dans tout le monde occidental, les services aient été débordés par les politiques. Le problème est que ce sont les politiques qui décident : le meilleur service de renseignement du monde est inutile si le décideur ne l’écoute pas. C’est ce qui s’est passé lors de cette crise. 

Cela étant, si certains services de renseignement avaient une image très précise et rationnelle de la situation, d’autres avaient manifestement la même image que celle propagée par nos médias. Dans cette crise, les services des pays de la « nouvelle Europe » ont joué un rôle important. Le problème est que, par expérience, j’ai constaté qu’ils étaient extrêmement mauvais sur le plan analytique : doctrinaires, ils n’ont pas l’indépendance intellectuelle et politique nécessaire pour apprécier une situation avec une « qualité » militaire. Il vaut mieux les avoir comme ennemis que comme amis. 

Ensuite, il semble que dans certains pays européens, les politiques ont délibérément ignoré leurs services pour répondre de manière idéologique à la situation. C’est pourquoi, cette crise a été irrationnelle dès le début. On observera, que tous les documents qui ont été présentés au public lors de cette crise l’ont été par des politiques sur la base de sources commerciales… 

Certains politiciens occidentaux voulaient manifestement qu’il y ait un conflit. Aux États-Unis, les scénarios d’attaque présentés par Anthony Blinken au Conseil de Sécurité n’étaient que le fruit de l’imagination d’un Tiger Team travaillant pour lui : il a fait exactement comme Donald Rumsfeld en 2002, qui avait ainsi « contourné » la CIA et les autres services de renseignement qui étaient beaucoup moins affirmatifs sur les armes chimiques irakiennes. 

Les développements dramatiques dont nous sommes les témoins aujourd’hui ont des causes que nous connaissions, mais que nous avons refusés de voir : 

- sur le plan stratégique, l’expansion de l’OTAN (que nous n’avons pas traité ici) ; 

- sur le plan politique, le refus occidental de mettre en oeuvre les Accords de Minsk ; 

- et sur le plan opératif, les attaques continues et répétées des populations civiles du Donbass depuis 8 ans et la dramatique augmentation de la fin février 2022. 

En d’autres termes, nous pouvons naturellement déplorer et condamner l’attaque russe. Mais NOUS (c’est-à-dire : les États-Unis, la France et l’Union européenne en tête) avons créé les conditions pour qu’un conflit éclate. Nous témoignons de la compassion pour le peuple ukrainien et les deux millions de réfugiés. C’est bien. Mais si nous avions eu un minimum de compassion pour le même nombre de réfugiés des populations ukrainiennes du Donbass massacrées par leur propre gouvernement et qui se sont accumulés en Russie durant huit ans, rien de cela ne se serait probablement passé. 

Que le terme de « génocide » s’applique aux exactions subies par les populations du Donbass est une question ouverte. On réserve généralement ce terme à des cas de plus grande ampleur (Holocauste, etc.), néanmoins, la définition qu’en donne la Convention sur le génocide, est probablement suffisamment large pour s’y appliquer. Les juristes apprécieront. 


*****Clairement, ce conflit nous a conduit dans l’hystérie. Les sanctions semblent être devenues l’outil privilégié de nos politiques étrangères. Si nous avions insisté pour que l’Ukraine respecte les Accords de Minsk, que nous avions négocié et cautionné, tout cela ne serait pas arrivé. La condamnation de Vladimir Poutine est aussi la nôtre. Rien ne sert de pleurnicher après coup, il fallait agir avant. Or, ni Emmanuel Macron (comme garant et comme membre du Conseil de Sécurité de l’ONU), ni Olaf Scholz, ni Volodymyr Zelensky n'ont respecté leurs engagements. En définitive, la vraie défaite est celle de ceux qui n’ont pas de parole. 

L’Union européenne a été incapable de promouvoir la mise en oeuvre des accords de Minsk, au contraire, elle n’a pas réagi lorsque l’Ukraine bombardait sa propre population dans le Donbass. L’eût-elle fait, Vladimir Poutine n’aurait pas eu besoin de réagir. Absente de la phase diplomatique, l’UE s’est distinguée en alimentant le conflit. Le 27 février, le gouvernement ukrainien est d’accord d’entamer des négociations avec la Russie. Mais quelques heures plus tard, l’Union européenne vote un budget de 450 millions d’euros pour fournir des armes à l’Ukraine, remettant de l’huile sur le feu. A partir de là, les Ukrainiens sentent qu’ils n’auront pas besoin d’arriver à un accord. La résistance des milices Azov à Marioupol provoquera même une relance de 500 millions d’euros pour des armes. 

En Ukraine, avec la bénédiction des pays occidentaux, ceux qui sont en faveur d’une négociation sont éliminés. C’est le cas de Denis Kireyev, un des négociateurs ukrainiens, assassiné le 5 mars par le service secret ukrainien (SBU) car il est trop favorable à la Russie et est considéré comme traître. Le même sort est réservé à Dmitry Demyanenko, ex-chef, car trop favorable à un accord avec la Russie : il est abattu par la milice Mirotvorets (« Pacificateur »). Cette milice est associée au site web Mirotvorets qui liste les « ennemis de l’Ukraine », avec leurs données personnelles, leur adresse et numéros de téléphone, afin qu’ils 

; une pratique punissable dans de nombreux pays, mais . L’ONU et quelques pays européens en ont exigé la fermeture… refusée par la Rada. 

adjoint de la direction principale du SBU pour Kiev et sa région, assassiné le 10 mars, car trop favorable à un accord avec la Russie: il est abattu par la milice Mir otvorets( «Pacificateur»). Cette milice est associée au site web Mirotvorets qui liste les «ennemis de l’Ukraine», avec leurs données personnelles, leur adresse et numéros de téléphone, afin qu’ils puissent être harcelés, voire éliminés; une pratique punissable dans de nombreux pays, mais pas en Ukraine. L’ONU et quelques pays européens en ont exigé la fermeture…refusée par la Rada. 

Finalement, le prix sera élevé, mais Vladimir Poutine atteindra vraisemblablement les objectifs qu’il s’était fixés. Ses liens avec Pékin se sont solidifiés. La Chine émerge comme médiatrice du conflit, tandis que la Suisse fait son entrée dans la liste des ennemis de la Russie. Les Américains doivent demander du pétrole au Venezuela et à l'Iran pour se sortir de l’impasse énergétique dans laquelle ils se sont mis: Juan Guaido quitte définitivement la scène et les Etats-Unis doivent revenir piteusement sur les sanctions imposées à leurs ennemis.

Des ministres occidentaux qui cherchent à fair es’effondrer l’économie russe et faire en sorte que le peuple russe ensouffre, voire appellent à assassiner Poutine, montrent (même s’ils son tpartiellement revenus sur la forme de leurs propos, mais pas sur le fond!) que nos dirigeants ne valent pas mieux que ceux que nous détestons.Car, sanctionner des athlètes russes des jeux para-olympiques ou des artistes russes n’a strictement rien à voir avec une lutte contre Poutine.

Ainsi, nous reconnaissons donc que la Russie est une démocratie puisque nous considérons que le peuple russe est responsable de la guerre. Si ce n’est pas le cas, alors pourquoi cherchons-nous à punir toute une population pour la faute d’un seul?Rappelons que la punition collective est interdite par les Conventions de Genève…

La leçon à tirer de ce conflit est notre sens de l’humanité  à géométrie variable. Si nous tenions tellement à la paix et à l’Ukraine, pourquoi ne l’avons-nous pas plus encouragée à respecter les accords qu’elle avait signés et que les membres du Conseil de Sécurité avaient approuvés? 

L’intégrité de médias se mesure à leur volonté à travailler selon les termes de la Charte deMunich. Ils avaient réussi à propager la haine des Chinois lors de la crise de la Covid et leur message polarisé conduit aux mêmes effets contre les Russes. Le journalisme se dépouille de plus en plus du professionnalisme pour devenir militant…

Comme disait Goethe: «Plus grande est la lumière, plus noire est l’ombre». Plus les sanctions contre la Russie sont démesurées, plus les cas où nous n’avons rien fait mettent en évidence notre racisme et notre servilité. Pourquoi aucun politicien occidental n’a-t-il réagi aux frappes contre les populations civiles du Donbass durant huit ans?

Car finalement, qu’est-ce qui rend le conflit en Ukraine plus blâmable que la guerre en Irak, en Afghanistan ou en Libye? Quelles sanctions avons-nous adopté contre ceux qui ont délibérément menti devant la communauté internationale pour mener des guerres injustes, injustifiées, injustifiables et meurtrières? A-t-on cherché à «faire souffrir» le peuple américain qui nous avait menti (car c’est une démocratie!) avant la guerre en Irak? Avons-nous seulement adopté une seule sanction contre les pays, les entreprises ou les politiciens qui alimentent en armes le conflit du Yémen, considéré comme la «pire catastrophe humanitaire au monde»? Avons-nous sanctionné les pays de l’Union européenne qui pratiquent la torture la plus abjecte sur leur territoire au profit des États-Unis? 

Poser la question c’est y répondre… et la réponse n’est pas glorieuse.

                                                                         Jacques Baud

                                                         15 Mars 2022