dimanche 31 août 2014

397 – ARARAT - Denis Donikian

Le bel âge - Dzovinar


Ce n'est que lorsque l'on atteint
cet âge dit de raison
- qui varie suivant la nature de chacun  -
que l'on comprend
que jamais l'on ne change vraiment.
La capacité d'aimer, de souffrir,
d'être heureux ou malheureux
garde toute sa force.
On a simplement un peu plus d'expérience.
On a appris à surmonter les épreuves
 qui nous ont fait grandir
- car pour la joie, aucun effort n'est nécessaire !
Et puis,
on sait reconnaître l'essentiel, souvent.
Il a pu se produire que des rencontres
d'une importance majeure
vous aient ouvert des chemins inconnus.
On a compris que ces êtres là, 
 d'une intégrité rare,
que l'on respecte quels que soient leurs idéaux,
n'aspiraient qu'au seul bien de l'Humanité
bannissant de leur vie tout ce que 
le commun des mortels convoite :
pouvoir, domination, réussite matérielle ...

C'est un bel âge que celui-là
où l'on conserve l'appétit de la vie
malgré tout ...
 Mais ne le savent
 que ceux qui l'ont atteint. 

Dzovinar  

lundi 25 août 2014

395 – La question arménienne à la Conférence de Lausanne - Denis Donikian


395 – La question arménienne à la Conférence de Lausanne

Deux poèmes N. Lygeros (Vidéos)

 -La couleur déchirée

*****




La couleur déchirée
N. Lygeros

Il naquit sous le signe de la croix : une croix blanche clouée au bleu du ciel, sur une terre gorgée de lumière, labourée par les légendes. Sa patrie, jadis habitée d'hommes libres, était depuis des siècles sous le joug ottoman : ses rivages avaient été torturés, ses arbres écorchés, ses collines brûlées, ses villages mis à sac. Les massacres écrasaient de leur férocité toute tentative de révolte. Les hommes naissaient esclaves et demeuraient ainsi jusqu'à ce que la mort vînt les libérer de leur sort. Tel était son temps. Cependant, celui que l'on surnomma le svelte quand il devint klephte, avait été taillé dans le cyprès de la mémoire; cette flèche verte sortie des entrailles de la terre pour atteindre le bleu extrême. Tel un éclat de marbre d'un temple inventé par un archéologue, il était d'un seul tenant : libre. Au milieu des pierres éternelles et des arbres d'antan, un symbole humain avait pris conscience. Telle était sa pensée.

Dans sa jeunesse, il avait suivi les paroles du pope de la grotte secrète. Il avait aimé de tout son être ce personnage en apparence austère et pourtant si humain. Il se rappelait encore sa longue barbe blanche qui tranchait sur son habit noir et ses mains calleuses qui caressaient avec tendresse sa tête lorsqu'il répondait à ses questions. Il avait été son premier et unique maître à penser. Il frappa la pierre sombre de son poing au moment où la scène de son martyre défila sous son regard.

Bien des années avaient passé depuis la disparition de son maître bien aimé. Et pourtant son esprit emplissait sa mémoire aussi vivant que jamais. Il appartenait désormais à son passé, sa source de grécité. Et aucune torture ne pouvait l'effacer de sa mémoire car il vivait en lui : ses mots coulaient dans son sang. Ce sang qu'il avait tant de fois versé pour défendre l'honneur de sa patrie. Ce sang qu'il avait mêlé à celui de ses hommes.

Son regard s'illumina, comme une bougie dans le néant, en revoyant la scène du serment. Chacun de ses klephtes avait passé la lame de son couteau sur sa main pour laisser vivre la trace rouge. Et chacun son tour avait lié son destin à celui des autres à l'aide de ce noeud pourpre; leur unique richesse avec le soleil. C'était ainsi que les klephtes étaient devenus des frères de sang.

Un à un, ils étaient tombés entre les mains des Turcs et après les pires tortures avaient fini par offrir leur sang à cette terre de lumière. C'était leur dernier moyen de rester des hommes libres. La mort était le seul chemin pour accéder à la liberté. La vie ne pouvait être qu'esclavage et obéissance absolue aux meurtriers de leurs ancêtres, aux bourreaux de leur descendance.

Chaque année passée dans ce monde de combats sanglants, il avait ajouté un pli à sa légendaire fustanelle tel un croyant qui égrène son chapelet en attendant le jour de la délivrance. Depuis la chute de Constantinople en 1453, son peuple réduit en esclavage ne rêvait que du roi de marbre, du pommier rouge et du jour où la Romanie refleurirait. Mais le svelte en avait décidé autrement. Son unique croyance était sa foi en les hommes. Il n'attendait rien des rêves et des légendes. Il ferait vivre son existence.

D'autres avant lui avaient recherché des hommes dans la foule, ces êtres nés libres malgré les circonstances, les seuls capables de maîtriser leur destin. Très tôt, il avait réalisé combien ils étaient rares mais n'avait jamais cessé sa quête. Il était sans espoir mais jamais désespéré car il savait que tant qu'il serait vivant, tout serait possible. Et avec le temps, il avait fini par trouver cette poignée d'hommes qui se transformerait en un poing levé contre l'occupant séculaire. Néanmoins, en les voyant tomber un à un pour leur patrie, il ne pouvait se résoudre à accepter que leur sort ne pût être que ce sacrifice qui semblait si vain à la population. Oubliant l'esclavage, elle le considéra responsable de leur mort. C'était lui qui les avait entraînés dans ce combat de l'inutile. Et maintenant, il savait qu'il périrait, non pas de son redoutable ennemi, mais de cette lâche condamnation. Tel était son sort.


Il était conscient et savait que chacun de ses exploits contre la tyrannie ottomane n'était qu'un élément de plus apporté au chef d'accusation. Car l'admiration était bien vite remplacée par la crainte devant le phénomène qu'il représentait. Et quand les Turcs avaient décidé de mettre sa tête à prix, il avait compris que le glas de sa vie avait sonné. Car dans un pays exsangue, en proie aux luttes internes, cette fortune constituait une tentation. Et qui aurait pu lui résister.

Dès le début, il avait su que cette rencontre était un piège mais il n'en avait cure. Son époque était révolue. Le temps de la traîtrise l'avait remplacé. Cela avait été inéluctable. Il ferait donc partie de ces hommes qui auraient lutté pour la liberté de leur peuple au prix de leur propre mort. Cependant rien n'avait changé dans son esprit car au commencement de sa lutte contre l'oppresseur, il avait eu une vision. Cette vision dépourvue de couleur, cette réalité future avait scellé son sort : il serait trahi par les siens. Et cette connaissance, loin de l'abattre, avait décuplé sa vaillance.

Peu à peu, sa révolte intérieure s'était transformée en révolution. Sa conscience d'appartenir à l'humanité avait grandi ses actes. Le chef de guerre était devenu un maître. Ses actions avaient pris une couleur ; la couleur de la conscience. Son entourage n'avait pas perçu ce changement irréversible, cette émergence de son caractère. Alors que lui, il avait vu tomber le bleu du ciel sur les hommes. Sa patrie n'était qu'une frontière entre deux bleus : la mer et le ciel.

Ce jour-là, le ciel était d'un bleu trop profond. Il avait emprunté le sentier secret, connu seul des rouméliotes, pour atteindre le sommet des gorges ; la déchirure de la terre. Et là, un genou à terre, appuyé sur son épée, il contempla pour la dernière fois de sa vie ce paysage du passé. Au loin, il aperçut le lac de ses origines. Tout avait commencé là-bas, tout finirait ici. La flore lui tendait ses bras turquoise telle une femme lascive qui désire enfin vivre au moment de mourir.

Derrière lui, une branche de bois sec craqua pour la dernière fois. Il posa sa main sur son pistolet et l'arma. L'inconnu continua à marcher encore quelques instants puis il s'arrêta net, foudroyé par son regard. C'était donc lui, son bras droit, son propre cousin qui avait fait un pacte avec le diable. Il lut dans ses yeux toute la haine et la jalousie qu'il avait en lui. Jamais, il ne lui avait pardonné de lui avoir sauvé la vie. Il le savait. Comme il savait qu'il n'était pas venu seul.

La sueur perlait sur son front. Tout son corps sentait la peur. Il l'avait trahi pour recevoir l'argent du vilayet mais pas seulement. C'était aussi sa vengeance. La lumière avait assombri son existence. Devant lui, il n'était qu'une ombre. Combien il eut aimé que l'union de leurs familles ne vît jamais le jour. Mais le destin en avait décidé autrement. Aussi il s'était approché de lui pour recevoir les vestiges de sa lumière. Seulement la noirceur de son âme était sans borne. Et quand sa tête fut mise à prix, il décida de le trahir et de dilapider l'argent de la récompense dans le jeu. Il serait l'instrument de vengeance du hasard contre la nécessité.

- Ta mission est finie... Tu peux partir... Je ne me battrai pas contre toi... Va leur dire que je les attends !

Ses paroles l'avaient blessé bien plus profondément que ne l'aurait fait son estocade. Il tenta de résister en portant sa main à son pistolet mais il la retira aussitôt qu'il croisa le regard implacable de Stavros. Il se retourna et s'enfuit en pressant le pas. Les dés étaient jetés, pensa-t-il.

Il le vit s'éloigner mais il ne le regarda pas. Il était déjà ailleurs. Il s'apprêta à livrer son dernier combat. Il ne savait pas combien de Turcs l'attaqueraient mais il savait qu'ils seraient assez nombreux pour lui donner la mort. Il arma son deuxième pistolet et planta son coutelas à ses pieds. Ce fut à cet instant qu'il entendit pour la dernière fois, le son du luth de son vieil ami ; le seul à être jamais parvenu à lui tirer une larme de sa nostalgie lumineuse, et il pensa que la déchirure pouvait blesser la couleur mais pas l'effacer.

Les chiens s'abattirent et les fusils crachèrent leur feu. Deux janissaires tombèrent à terre et Stavros sentit une brûlure sur le haut de son bras droit. Il laissa tomber ses pistolets, dégaina son épée et empoigna son coutelas.

Les autres s'élancèrent sur lui, leurs bras armés de yatagans, décidés à le déchiqueter. Il vit fondre sur lui, les vautours aux ailes d'acier recourbées mais il ne bougea pas. Les pieds solidement plantés dans sa terre natale, il les brava du regard. Les lames se croisèrent avec violence. Ils l'encerclèrent pour le frapper de toutes parts. Il para leurs coups puis les fendit et toucha l'un de ses assaillants en pleine poitrine. Celui-ci s'effondra sur le champ. Les autres, furieux, le frappèrent de plus belle et cela l'obligea à rompre.

Alors le coutelas lancé s'enfonça dans l'orbite du chef qui s'écroula en poussant des cris effroyables pendant qu'un autre lui taillada son ample manche découvrant ainsi une large blessure. Cela donna du courage aux Turcs et le fracas des armes reprit. Sa tunique ruisselait de sang mais il se battait comme un lion, seul contre tous. Un second sabra son gilet qui s'empourpra comme une traînée de poudre.

Cependant il ne formait qu'un avec son épée. Elle ne dépendait plus de son corps, seulement de son esprit. Et son esprit atteignit la pomme d'Adam du troisième. La voix tranchée, il rejoignit les autres dans le silence de la mort. Au grand dam du traître, la bougie de Stavros ne s'éteignait pas. Exaspéré, il arma son fusil et visa le coeur de son cousin. Mais la balle fracassa la clavicule du lion.

Malgré son bras inerte, Stavros poursuivit le combat et ôta la vie d'un autre Turc. La bougie n'avait toujours pas sombré dans le néant. Et les Turcs commencèrent à faiblir. Pas à pas, ils reculaient devant le courage du combattant grec. Tous avaient été touchés par le tranchant de son épée et ils savaient tous combien un lion blessé pouvait être dangereux. Sans la traîtrise, il les aurait vaincu.

Une seconde balle le frappa et lui brisa sa mâchoire. Il tomba en arrière, sans bruit, comme si la terre avait reçu son enfant dans ses bras. Il gisait inerte après avoir donné un dernier baiser rouge à sa patrie. Le traître s'approcha des soldats turcs surpris et soulagés par cette fin heureuse. Ils entourèrent son corps avec précaution tant leur peur de subir un dernier soubresaut du lion était grande. Mais il avait définitivement rendu l'âme. La bougie s'était éteinte.

Ce fut alors que commença le plus atroce des actes de guerre. Un à un, ils lui découpèrent tous les membres et les précipitèrent avec son corps dans les gorges. Ils ne conservèrent que sa tête pour prouver leur exploit. Et pour que le mort ne pût les voir et se venger, ils lui crevèrent les yeux. C'était ainsi que la couleur fut déchirée. Ce jour funeste, le ciel se noya dans la mer.

L'épée des esclaves brisée, le chant des klephtes terminé, Stavros entra dans la mémoire des hommes et son souvenir resta à jamais vivant dans cette région de la Grèce où un trait de mer sépare la terre. Car quelques mois avant de s'éteindre la bougie en avait allumé une autre. Elle lui avait donné sa couleur... Celle-ci, en traversant les flots avant de naître à nouveau, avait pris une teinte bleue. C'était du moins ce qu'affirmait une légende oubliée.

*****

Au bord du ciel et de la mer
N. Lygeros

Par son insupportable légèreté, la Grèce tient du ciel.
Une légèreté que nous pourrions qualifier de socratique.
Devant la gravité permanente du contexte historique,
la légèreté représente une sorte de survie.
Un moyen d'affronter le destin.
Le destin d'un peuple en quête d'absolu.
Un absolu nécessaire, celui de l'existence.
Chez nous l'existence diachronique est synonyme d'éternité de l'instant,
d'où la conscience de détenir un trésor lorsque nous parlons d'histoire.
Nous marchons avec légèreté afin de ne pas écraser nos vestiges.

Par la profondeur de son histoire, la Grèce tient de la mer.
Une histoire qui a la beauté de l'invisible.
Son caractère invisible n'est pas dû à l'obscurité
mais à l'accumulation de lumière ; un paradoxe alexandrin.
Comment voir dans la multitude du visible?
Chaque parcelle de notre pays est chargée d'histoire.
Alors que vaut l'essentiel lorsque tout est important?
Chez nous l'existence synchronique est synonyme d'omniprésence de l'histoire,
d'où la conscience de détenir un trésor lorsque nous vivons l'instant.
Nos pas sont profonds afin de toucher notre mémoire.

La force de la Grèce c'est d'être une frontière entre le ciel et la mer.
Un point de contact entre deux mondes bleus.
Les îles dans la mer, les cimes dans le ciel.
Une terre gorgée de lumière qui réchauffe son peuple.
Un peuple attaché à sa terre comme le langage à la pensée.
Notre langue est comme ce marbre antique
que nous retrouvons dans les églises byzantines et les forts vénitiens,
elle appartient à la structure fondamentale du Grec.
Le Grec qui, depuis des siècles,
contemple le ciel et la mer.

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dimanche 24 août 2014

mercredi 20 août 2014

Hommage à Federico Garcia Lorca (1898-1936 )


Officine et dénonciation
A Fernando Vela

Sous les multiplications
il y a une goutte de sang de canard ;
sous les divisions
il y a une goutte de sang de marin ;
sous les additions, un fleuve de sang tendre.
Un fleuve qui avance en chantant
par les chambres des faubourgs,
qui est argent, ciment ou brise
dans l’aube menteuse de New York.
Les montagnes existent. Je le sais.
Et les lunettes pour la science.
Je le sais. Mais je ne suis pas venu voir le ciel.
Je suis venu voir le sang trouble,
Le sang qui porte les machines aux cataractes
et l’esprit à la langue du cobra.
Tous les jours on tue à New York
quatre millions de canards,
cinq millions de porcs,
deux mille pigeons pour le plaisir des agonisants,
un million de vaches,
un million d’agneaux
et deux millions de coqs,
qui font voler les cieux en éclats.
Mieux vaut sangloter en aiguisant son couteau
ou assassiner les chiens
dans les hallucinantes chasses à courre
que résister dans le petit jour
aux interminables trains de lait,
aux interminables trains de sang,
et aux trains de roses aux mains liées
par les marchands de parfums.
Les canards et les pigeons,
les porcs et les agneaux
mettent leurs gouttes de sang
sous les multiplications,
et les terribles hurlements des vaches étripées
emplissent de douleur la vallée
où l’Hudson s’enivre d’huile.
Je dénonce tous ceux
qui ignorent l’autre moitié,
la moitié non rachetable
qui élève ses montagnes de ciment
où battent les coeurs
des humbles animaux qu’on oublie
et où nous tomberons tous
à la dernière fête des tarières.
Je vous crache au visage.
L’autre moitié m’écoute
dévorant, chantant, volant dans sa pureté,
comme les enfants des conciergeries
qui portent de fragiles baguettes
dans les trous où s’oxydent
les antennes des insectes.
Ce n’est pas l’enfer, c’est la rue.
Ce n’est pas la mort, c’est la boutique de fruits.
Il y a un monde de fleuves brisés et de distances insaisissables
dans la petite patte de ce chat
cassée par l’automobile,
et j’entends le chant du lombric
dans le coeur de maintes fillettes.
Oxyde, ferment, terre secouée.
Terre toi-même qui nage
dans les nombres de l’officine.
Que vais-je faire ? mettre en ordre les paysages ?
Mettre en ordre les amours qui sont ensuite photographies,
Qui sont ensuite morceaux de bois et bouffées de sang?
Non, non, non, non ; je dénonce.
Je dénonce la conjuration
de ces officines désertes
qui n’annoncent pas à la radio les agonies,
qui effacent les programmes de la forêt,
et je m’offre à être mangé par les vaches étripées
quand leurs cris emplissent la vallée
où l’Hudson s’enivre d’huile.

Federico Garcia Lorca
Un poète à new York, “Officine et dénonciation”,
tr. fr. Pierre Darmangeat modifiée, Gallimard, 1961.

vendredi 15 août 2014

"Elévation" - Charles Baudelaire

Photo Isabelle Yvos


Charles BAUDELAIRE   (1821-1867)

Élévation

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins ;

Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
- Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !

A propos de la foi religieuse

Photo Isabelle Yvos

A vous tous que la foi en un être supérieur habite :  votre foi en l'impossible est touchante ! 

 Bien sûr, je la respecte et souhaite qu'elle vous apporte tout ce que vous en attendez.

Mais depuis longtemps déjà, comme on ne croit plus aux contes merveilleux de l'enfance, cette foi en un être divin m'a quitté aussi .
 La réalité de notre monde, dur, impitoyable, me prouve chaque jour que nous ne pouvons attendre force et courage que de nous-mêmes !
 Pour moi, il n'y a rien d'autre.
 Quand nous quitterons cette terre, il ne restera de nous, pour les nôtres, que le souvenir de ce que nous aurons été - et, pour les esprits supérieurs, l'oeuvre qu'ils auront accomplie.
 Je veux croire en l'homme, bien qu'il soit bien peu fiable  souvent, trop souvent.
 Tout le reste - pardon mes amis, ne soyez pas offensés - n'est que littérature.
 On peut être athée et aimer l'humanité avec ses faiblesses, avec sa grandeur parfois. On peut aimer ce qui existe et que l'on peut voir chaque jour : la beauté de tout ce qui vit, la nature et ses merveilles, le ciel, le soleil, la lune, la mer, les montagnes - tout ce qui apporte à l'esprit, à l'âme, un sentiment d'éternité - un sentiment seulement, car nous ne sommes en vérité que poussière.

Dzovinar

dimanche 10 août 2014

Dispersé mais chaque fois recomposé ...

Cliquer sur ce lien :

http://www.armenweb.org/dhteumeuleu/5.htm

Dispersé mais chaque fois recomposé...

 J'aimerais bien voir qu'une quelconque puissance au monde
Parvienne à détruire cette race,
Cette petite tribu de gens sans importance
Dont toutes les guerres menées ont été perdues,
Dont les structures se sont effondrées,
La littérature cessée d'être lue,
La musique d'être entendue,
Et dont les prières ne reçoivent plus de réponse.

Allez-y, détruisez l'Arménie.
Voyons si vous y arrivez.
Envoyez-les dans le désert sans pain ni eau.
Brûlez leurs maisons et leurs églises.
Et vous verrez s'ils ne rient,
Ne chantent et ne prient à nouveau.
Car quand deux d'entre eux se rencontrent quelque part dans le monde,
Voyez s'ils ne créent pas une nouvelle Arménie.

William Saroyan

dimanche 3 août 2014

Tribune - Raffi Kalfayan

Raffi Kalfayan

J’ai exprimé ces derniers jours aux organisations membres du CCAF mon profond sentiment de colère pour leur manque de courage politique et d’humanité car après 17 jours de crimes en direct dans la Bande de Gaza, je n’ai pas lu une seule ligne de dénonciation des crimes commis par l’armée israélienne sur les populations civiles de Gaza. Cette remarque vaut aussi pour les organisations arméniennes qui se déclarent protectrices des droits de l’homme et qui ont des revues de presse lacunaires sur la question.

La lecture du communiqué diffusé par le bureau national du CCAF le 23 juillet est le déclencheur de cette colère et de ces réflexions. Si la dénonciation et la condamnation des discours ou actes haineux, racistes, ou antisémites relèvent d’une obligation impérieuse, qu’ils s’agissent d’ailleurs de destinataires juifs ou arabo-musulmans en l’espèce, celles-ci répondent à des normes respectueuses du droit et de l’équité. La tonalité de ce communiqué est extrême, et l’objet est traité en faisant totale abstraction du contexte géopolitique qui suscite un sentiment d’injustice face à l’impunité dont jouit l’Etat d’Israël, ou du contexte intérieur - interdiction administrative des manifestations - qui suscite des réactions de révolte. Il convient enfin de souligner que les débordements et dérives qui ont eu lieu dans Paris ou Sarcelles font l’objet d’enquêtes et qu’à ce titre le CCAF aurait dû être plus réservé dans ses formulations et ne pas se poser en procureur La piètre et lâche posture de François Hollande, dès sa prise de position au début du conflit, comme dans bien d’autres domaines, mais, de plus, en rupture avec la politique étrangère plus équilibrée de tous ses prédécesseurs dans ce conflit, d’une part, et le parti pris sans nuances de Manuel Valls, d’autre part, n’ont fait que renforcer ces sentiments de révolte populaire. Mais reconnaissons, pour éviter d’en faire une critique à sens unique, qu’à droite de l’échiquier politique nous n’avons entendu aucun leader politique s’élever face à ces injustices. L’islamophobie ambiante et croissante dans ce pays brouille les esprits. Faut-il pour autant que le CCAF s’inscrive dans cette lâcheté collective et complice et adopte un discours sans nuance et extrême ?

Le conflit israélo-palestinien a toujours cristallisé les passions car il est un conflit emblématique, car un Etat, Israël, défie de manière arrogante le droit international, mais aussi très complexe sur un plan géopolitique et juridique. Les pays arabes sont autant, sinon plus, à blâmer dans cette situation de souffrance et d’injustice dans laquelle est plongée la population palestinienne depuis trop longtemps car ils n’ont jamais fait front commun pour défendre les droits légitimes du peuple palestinien, maintes fois reconnu par les Nations Unies ; le nouveau pouvoir égyptien - la dictature Al Sissi - délaisse la population palestinienne et se réjouit de la tentative de destruction du Hamas ; les monarchies pétrolières ou gazières, avec la bienveillance occidentale, sont plus investies dans la lutte fratricide sunnite-chiite qui ne débouche que sur plus de radicalisation. Cela n’efface pourtant en rien la responsabilité de l’Etat d’Israël dans la commission de crimes internationaux. La nouvelle commission d’enquête internationale décidée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU le mercredi 23 juillet 2014 établira la nature de ces crimes, qui sont passibles de poursuites devant la Cour pénale internationale. Comme toujours, les Etats Unis, qui sont le véritable point de blocage à une solution équilibrée et durable de ce conflit, ont voté contre ; Les Européens ont voté, comme d’habitude, en ordre dispersé : ceux qui continuent à culpabiliser pour les crimes de la seconde guerre mondiale à l’encontre des Juifs s’abstiennent. Il suffit d’observer de manière comparative les mesures prises par l’Union européenne contre la Russie à propos des combats en Ukraine, alors que la Russie n’est pas officiellement en guerre contre l’Ukraine, d’une part, et l’absence de sanctions prises contre Israël, alors que cet Etat continue ses opérations militaires malgré toutes les répétitions des crimes, d’autre part, pour comprendre le sentiment d’incompréhension et de révolte face à cette politique étrangère discriminatoire de l’Union européenne. Le rapport Goldstone sur les crimes commis pendant la guerre contre Gaza fin 2008-début 2009 avait été approuvé par l’Assemblée générale des Nations Unies le 5 novembre 2009. Ce rapport pourtant équilibré, qui estimait que des crimes de guerre avaient été commis à la fois par Israël et les Palestiniens lors dudit conflit, n’a pas été suivi d’effets. La résolution des Nations Unies avait indiqué : « Ce vote est une déclaration importante contre l’impunité. C’est un appel en faveur de la justice [...] Sans justice, il ne peut y avoir de progrès vers la paix. Un être humain devrait être traité comme un être humain sans tenir compte de sa religion, de sa race ou de sa nationalité. Toutes les parties concernées devraient maintenant consacrer leurs efforts pour mettre en œuvre cette résolution ».

L’histoire de ce conflit est difficile à appréhender, car déformée pour ceux qui ne le connaissent qu’à travers des média français, qui sur ce thème comme sur d’autres, sont pour la plupart, à l’exception notable du Nouvel Observateur, de Mediapart ou Le Monde, incompétents ou volontairement partiaux. Je donnais quelques éléments d’éclairage dans les Nouvelles d’Arménie Magazine en janvier 2009, qui, cinq ans après, se confirment de manière encore plus criante. Je recommande au CCAF de lire la presse israélienne, entre autres Haaretz, pour se faire une idée plus précise des réalités de ce conflit et des opinions contradictoires au sein de ce pays. Je leur recommande de lire les voix courageuses des intellectuels, militants des droits de l’homme, juifs de France ou d’Israël, mais pourquoi pas aussi cette vibrante tribune de l’artiste israélienne populaire Noa dans le Nouvel Obs. Les idées extrêmes, de quelque bord, mènent au chaos humanitaire et à l’impasse politique. Ceux qui les relaient de manière aveugle tombent aussi dans cet extrémisme.

C’est bien au nom des principes de justice et d’humanité, qui sont au cœur de mes engagements que je m’élève contre l’absence de réaction des institutions représentatives de la communauté arménienne de France face à la folie meurtrière d’Israël, dont l’issue ne peut être que plus de haine entre les deux peuples et l’impossibilité de créer les conditions à l’établissement d’une paix durable. Comme je l’avais relevé en janvier 2009, les alliances et les allégeances qui justifient le silence des instances représentatives arméniennes sont des myopies politiques car relevant d’une vision illusoire et étriquée des enjeux de la question arménienne. L’explication que j’ai reçue en retour est la suivante : (i) nous sommes divisés au sein du bureau national sur la question ; (ii) le CCAF n’a pas vocation à s’exprimer sur les questions de politique étrangère ; (iii) nos relations avec les institutions communautaires juives sont sensibles dans certains dossiers du moment.

Ce dernier élément est révélateur du pari fait, et j’espèrerais que mon propos puisse être démenti par des faits concrets dans le futur, par le CCAF, qui compte sur le CRIF et d’autres alliés de circonstance pour à la fois soutenir l’hypothétique projet de loi visant à réprimer le négationnisme du génocide arménien et également les interventions auprès de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Perinçek contre Suisse, qui a été renvoyée devant la Grande Chambre de la Cour européenne. L’absence de soutien, c’est un euphémisme, du CRIF à la loi Boyer début 2012, et l’unicité sanctuarisée de la Shoah et de la répression de sa négation sont pourtant des éléments de politique récurrents des institutions juives de France, mais aussi d’ailleurs : prenons par exemple la politique controversée de l’ADL aux Etats Unis, qui souffle le chaud et le froid sur la reconnaissance du génocide arménien au travers de ses dirigeants. La prise de fonction présidentielle en Israël de Reuben Rivlin, qui a fait des déclarations en faveur de la reconnaissance du génocide arménien, quand il était président de la Knesset ouvre des perspectives intéressantes. Tout ceci n’est toutefois que pure spéculation et mettre à la une quotidienne des média arméniens les déclarations d’Erdogan sur les crimes commis à Gaza est une entreprise futile, car l’alliance d’Israël et de la Turquie est beaucoup plus solide qu’il n’y paraît, et des retournements après l’élection présidentielle en Turquie sont prévisibles. Le chantage à la reconnaissance du génocide arménien par Israël a laissé place à un levier de pression israélien autrement plus puissant : la déclaration affichée de certains experts israéliens à la création d’un « Kurdistan ». Il est avéré qu’Israël a formé les combattants kurdes en Irak. Mais il faut regarder plus loin encore. A l’international, il convient de considérer que les opinions des pays arabo-musulmans seront également nécessaires parmi la communauté des nations dans la future bataille internationale que les descendants des victimes du génocide arménien vont devoir livrer pour obtenir des réparations de la Turquie. A l’intérieur, il convient de considérer que la population française a une minorité arabo- ou turco-musulmane importante et que son poids ne fera que croître, et la communauté arménienne n’a aucun intérêt à s’aliéner ces minorités par des prises de position partiales. La seule différence notable, par rapport à 2009, est que, si Recep T. Erdogan pouvait être loué pour son courage politique, celui-ci était soutenu alors par une stature respectable sur le plan intérieur et extérieur, en 2014 sa légitimité est réduite à néant : la situation des droits de l’homme et des libertés s’est sensiblement dégradée en Turquie, la montée du racisme et de l’antisémitisme est menaçante, son soutien aux islamistes sunnites extrémistes en Syrie est marqué, autant d’éléments qui rendent son discours dénonciateur inaudible. Le deuxième élément de la réaction du CCAF est lui plus déroutant. Ainsi, le CCAF serait en mesure de s’exprimer sur les questions touchant les Arméniens de France sans s’ingérer dans la politique étrangère. Il suffit de consulter les titres des derniers communiqués du CCAF sur leur site pour constater le contraire : « Non à la venue d’Erdogan en France » ; « Appel à la Suisse contre l’arrêt scélérat de la Cour européenne des droits de l’homme » ; « Le CCAF condamne le signal positif de Fabius à la Turquie », etc... La Ligue des droits de l’homme, affiliée à la FIDH, est elle aussi tenue de traiter les questions relatives aux droits de l’homme en France, laissant les prises de position internationales à la FIDH. Ce n’est pas pour autant qu’elle élude les problèmes internationaux de ses analyses et communiqués. C’est une question de bon sens et de rigueur intellectuelle que d’analyser un événement ou un fait à la lumière du contexte.

Dans le cas des manifestations de Paris ou de Sarcelles, il suffit de lire le communiqué de la LDH pour s’en convaincre. La condamnation d’un crime international, qu’il s’agisse d’un crime de guerre, d’un crime contre l’humanité, ou un génocide, dépasse toutes les justifications que l’on essaye d’y apporter et les circonstances au nom desquelles il est commis, car il touche à l’essence même de l’humanité. Les Arméniens sont bien placés pour savoir de quoi il est question ici. Le négationnisme officiel de la Turquie nous confronte tous les jours à cette réalité. Mais regardons le présent et une situation plus actuelle encore, la voix des Arméniens serait-elle audible auprès de la communauté des Nations si, du fait d’un scénario de plus en plus vraisemblable, le Karabagh se retrouvait sous une pluie de bombes azéries ? La dénonciation des violations graves des droits de l’homme, et notamment celle des crimes internationaux est un impératif moral et politique. Les droits de l’homme sont uns et indivisibles ; ses normes et principes s’appliquent à tous et en toutes circonstances. Les Arméniens ne peuvent transiger sur ces principes au nom de d’alliances et d’intérêts prétendument tactiques et certainement éphémères. Il n’est pas question de prendre un positionnement pro ou anti-israélien ou un positionnement pro ou anti-Hamas, mais d’exprimer son refus des crimes internationaux, du règne de l’impunité et enfin être solidaire avec les populations civiles palestiniennes. Le premier élément de réaction du CCAF serait-il alors la véritable cause de ce silence gêné ? Si c’était le cas, cela soulèverait de graves interrogations sous-jacentes sur le CCAF et son bureau national. Le manque de représentativité du CCAF dans la communauté arménienne de France est lié à l’absence de sa légitimité : il n’y a pas de scrutin démocratique communautaire pour désigner les dirigeants du CCAF. Je ne leur en tiens pas rigueur, car ils en sont conscients. Cependant, à défaut de l’existence d’un tel mécanisme, il est de leur responsabilité personnelle de veiller d’autant plus à ce que des liaisons particulières ou des intérêts privés et personnels ne viennent interférer sur l’objectivité politique et morale, et la probité intellectuelle que la communauté est en droit d’attendre d’eux en relation avec des questions aussi sensibles que celles liées aux crimes internationaux et aux droits de l’homme, mais aussi celles relatives à l’avenir des relations entre communautés en France.

Avec mes salutations amicales, et un grand merci à Ara Toranian pour avoir accepté de publier cette tribune.

Raffi Kalfayan
Juriste. Ex-président de la FIDH
27 juillet 2014