samedi 4 juin 2022

Nikol Pachinian, l’égaré, par Laurent Leylekian - ( transmis par Ara Toranian - NAM)


 Nikol Pachinian, l’égaré -  par Laurent Leylekian 

 ( transmis par Ara Toranian - NAM)


On connait le jugement cruel que porta a posteriori le Général de Gaulle sur Albert Lebrun, infortuné dernier Président de la Troisième République : « Au fond, comme chef de l’État, deux choses lui avaient manqué : qu’il fût un chef ; qu’il y eût un État ». C’est peut-être le verdict peu flatteur que l’Histoire réservera à Nikol Pachinian, actuel premier Ministre par intérim de la République d’Arménie.

Venu à Paris en déplacement officiel ce premier juin, Nikol Pachinian a souhaité rencontrer des Arméniens de France et des Français d’origine arménienne, parmi lesquels l’ambassade m’a fait l’honneur de me convier. Je dois dire que j’ai hésité à répondre favorablement à cette invitation, partagé, en tant qu’étranger, entre ma réticence à donner de quelconques gages à un candidat aux législatives à venir – Nikol Pachinian a officiellement démissionné – encore moins à cautionner sa politique, et ma curiosité pour la vision qu’aurait pu déployer le leader de « Mon pas », accablé par la défaite militaire récente de l’Arménie face à l’Azerbaïdjan. 

Disons-le tout de suite : il serait injuste de vouloir reporter l’entièreté de cette défaite et de la situation calamiteuse qui en résulte sur les épaules du seul Nikol Pachinian. Avec cette défaite, l’Arménie paie sans doute des décennies d’incurie et d’impéritie. Mais il est néanmoins vrai que Nikol Pachinian – en tant que responsable du pays au moment du désastre – doit en assumer les conséquences au premier chef. Devant nous, il l’a d’ailleurs dit lui-même « j’assume cette responsabilité ». Et on doit effectivement lui faire crédit de la démission de son gouvernement qu’il a remise au Président de la République pour – éventuellement – regagner par les urnes la légitimité qu’il a perdue par les armes. Du reste, s’il n’est certainement pas le seul responsable de cette défaite, le Premier ministre, par ses prises de positions et ses déclarations imprudentes face à la Russie et face à l’Azerbaïdjan, a sans doute bien été le principal facteur déclenchant de la guerre, nonobstant les positions continument belliqueuses de l’Azerbaïdjan et de la Turquie. On peut savoir gré à ses prédécesseurs – en dépit de leurs innombrables défauts réels ou supposés – corruption, népotisme, autoritarisme – d’avoir été assez matois et d’avoir déployé suffisamment d’entregent avec Moscou et même avec Bakou pour éviter une situation aussi déplorable et même inextricable.

Mais, finalement, le plus gênant fut ce premier juin l’absence apparente de toute vision dont a fait preuve devant nous le Premier ministre arménien. Certes, on ne peut totalement exclure que l’attitude consistant à se présenter à la recherche de solutions dont nous, ses interlocuteurs, serions dépositaires relève de la tactique politicienne visant à amadouer et séduire un auditoire. Mais le Roi est néanmoins apparu nu et cela ne semblait vraiment pas relever de l’illusion d’optique. 

Quand Nikol Pachinian affirme que l’Arménie connaît des cycles d’heurs et de malheurs depuis le roi Bab, il ne fait qu’énoncer un truisme. Quand il nous demande comment en sortir, on serait tenté de lui répondre qu’il a justement été élu sur la promesse de solutions. Quand il assène qu’on ne sait pas où passe précisément la frontière qu’il a qualifiée avec justesse « d’administrative » entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et donc qu’on ne sait pas comment faire de cette démarcation artificielle une frontière d’Etat, on aurait envie de lui rétorquer que son homologue Ilham Aliev ne s’embarrasse pas de tels détails puisqu’il sait, lui, très exactement où passe la frontière : par la disparition pure et simple de l’Arménie. Quand, Nikol Pachinian exhorte les membres de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective à intervenir militairement pour repousser les empiètements territoriaux de la soldatesque azerbaïdjanaise, on voudrait lui dire que – personne n’étant plus royaliste que le roi – l’OTSC interviendra peut-être quand l’armée arménienne elle-même le fera d’abord. Quand enfin il prétend ne pas avoir d’idée sur la façon dont la diaspora pourrait aider au mieux l’Arménie, on souhaiterait répliquer que la diaspora pourra se montrer plus efficace le jour où l’Arménie elle-même aura clairement affiché ses priorités. Bref, à l’instar de tous les pays, l’Arménie a besoin d’un pouvoir et non d’un fondé de pouvoir. Or Nikol Pachinian semble adopter l’attitude d’un syndic qui attendrait les décisions adoptées par une assemblée de copropriétaires que seraient la Russie, l’Azerbaïdjan, la France ou les Etats-Unis. 

L’acte politique débute par une affirmation de soi. L’affirmation de soi commencerait par supprimer du vocabulaire politique arménien l’adverbe դժբախտաբար (malheureusement).Pour reprendre l’exemple de la frontière, nous savons tous que non seulement la démarcation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan n’a jamais été clairement définie, non seulement elle a varié dans le temps selon les humeurs des dirigeants soviétiques mais aussi que le détachement du « Haut-Karabakh » d’un « Bas-Karabakh » et de l’Arménie proprement dite a relevé d’un ukase parfaitement arbitraire. Une frontière ne se décrète, elle se défend. Nikol Pachinian veut des idées ? On ne voit pas ce qui empêche l’Arménie de revendiquer par exemple toute les terres au-delà de 1000 mètres d’altitude. 

Ne pas défendre cela, c’est donner raison à Aliev qui revendique désormais le Siounik, le lac Sevan, et même Erevan ; bref toute l’Arménie. Ne pas défendre cela, c’est effectivement considérer que les quelques cinq mille soldats arméniens tués au combat sont « morts pour rien » comme certains le répètent à l’envi. Or de deux choses l’une : soit ils sont effectivement morts pour rien et exigeons avec Ilham Aliev que les trois millions d’Arméniens restants émigrent en France, aux Etats-Unis ou sur la lune afin que la question soit enfin close sans effusion de sang ; soit ils sont morts pour défendre une patrie, une civilisation et un démocratie face à une infâme dictature génocidaire et leur sacrifice doit permettre à l’Arménie de se relever. Sans être nécessairement va-t-en-guerre, et vu la situation géographique de l’Arménie qui – certains l’auront noté – ne jouxte pas des pays scandinaves, on peut incliner pour la seconde option. 

Nikol Pachinian est un homme sympathique. On boirait volontiers des bières avec lui. Il est sans doute sincère, peut-être intelligent, pas hautain pour deux sous et on ne peut avoir aucun doute qu’il souhaite le meilleur pour ses compatriotes. Il a été soutenu et il est soutenu par des gens à son image, excédés par la corruption, le cynisme ou l’autoritarisme de ses prédécesseurs. Mais peut-être la leçon de tout cela est que Nikol Pachinian n’est pas à sa place ; que pour diriger un pays, il faut être un peu compétent, un peu cynique et un peu autoritaire ; Et qu’il faut certainement avoir une vision et la défendre envers et contre tous. Bref, qu’il faut être un homme d’Etat.