Par Jean Ayanian |
Le Kemp - une enfance intra-muros
Denis Donikian
1- Prononcé à l’anglaise par analogie avec les camps d’Alep et du Liban, le Kemp, situé rue Peysonneau à Vienne dans l’Isère, était une ancienne usine désaffectée où furent logés durant une trentaine d’années les Arméniens apatrides, chassés par la Turquie kémaliste, et répondant à la demande de main-d’œuvre dans le textile. Précédé d’une importante étude historique et sociologique par Anahide Ter Minassian, intitulée Vienne, ou des étrangers dans la ville, Le Kemp, une enfance intra-muros (Éditions Parenthèses, 2001) rassemble les souvenirs de Jean Ayanian, qui fut l’un des habitants de cette population d’immigrés arméniens devenue communauté ouvrière en France, à l’instar de beaucoup d’autres.
2 – Microcosme formé d’Arméniens expulsés de leurs villages, villes ou provinces (Malatia, Marache, Adana, Tokat, Erzeroum, Guémérek, Kharpet, Sivas, Yozgat, Van…), le Kemp est exemplaire de la manière dont les rescapés ont réussi à se réapproprier le réel en s’appuyant sur leur culture pour survivre au traumatisme d’une catastrophe absolue. L’élimination des hommes laissa aux «grands-mères», marquées par leur traversée de l’horreur mais dotées d’une grande force de résilience, le soin d’assurer la transition entre le pays perdu et le pays d’accueil. De fait, en trois décennies de présence au Kemp, les Arméniens connaîtront une seconde transition, celle de l’adaptation nécessaire à l’inéluctable assimilation.
3 – Le livre retrace l’organisation communautaire d’une population animée par les rites de sa prolétarisation, les modes culinaires et les fêtes occasionnelles. Dépourvus d’église propre, les Arméniens de Vienne réussiront tant bien que mal à maintenir les trois confessions traditionnelles. Parallèlement à l’école républicaine, des cours du soir d’arménien seront dispensés par le varjabed Garabed Dermoyan pour les garçons, par madame Alice Kirkorian pour les filles. La chorale tenue par le Père Lévonian, le scoutisme, le sport et le football émanant de l’Union générale arménienne, dite Homenetmen, seront d’autres moyens de structurer les jeunes autour de l’arménité.
4 – Restant pour sa partie dans le cadre d’une nostalgie non exempte de sentimentalisme, Jean Ayanian a truffé son texte d’anecdotes savoureuses, de personnages pittoresques, de portraits attachants au gré de ses amitiés, de sa fantaisie et de sa mémoire. Au fur et à mesure de cette lecture qui veut échapper à l’ethnographie pour rester dans l’humain, on assiste à la peinture d’un monde clos au sein duquel se joue la lutte quotidienne d’une population malmenée hier par la haine raciale et aujourd’hui par la méfiance, la jalousie et parfois le rejet. Mais peu à peu, avec l’apprentissage de la langue d’accueil, de meilleures conditions de vie, la fréquentation des autochtones, les Arméniens vont sortir du cadre de victimes pour bénéficier pleinement de leur citoyenneté.
5- Bien que des conflits violents eussent déchiré cette communauté entre partisans et adversaires de l’Arménie soviétique, bon nombre d’Arméniens (300 personnes pour la seule ville de Vienne), répondirent à l’aveugle à l’appel de Staline pour repeupler le pays, comme les familles du Kemp, Chatafian et Hovivian. D’autres, à l’instar des Der Minassian, s’expatrieront aux États-Unis. La vente des bâtiments à Monsieur Barrère, désireux de les chasser, obligea les locataires à s’unir en syndicat pour confier leur contentieux à la justice, tandis que certains commençaient déjà à se loger ailleurs, parfois dans de meilleures conditions. Le « dernier des Mohicans » à quitter le Kemp, en 1962, fut Gabriel Tchélébian, di « Capo ».
Livre a ajouter sur ma liste de lecture. C'est vrai que de Lyon, jusqu'à la Méditerranée, il y a beaucoup de commerce tenus par des arméniens !
RépondreSupprimerC'est leur seconde nature ! LOL !
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