Copie de la lettre adressée à Valérie Boyer, le 14/12/2012 par Claude Bartolonne (Assemblée Nationale) en réponse de la "proposition de résolution à la création d'une commission d'enquête ...
"Madame la Députée et chère Collègue,
"Vous avez souhaité déposer une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête <chargée de rechercher les causes de la prise de position publique du Conseil constitutionnel sur la normativité de la loi n°2011-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, antérieurement au prononcé de sa décision n°2012-647 DC du 28 février 2012 - loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi, et de formuler des propositions pour empêcher le renouvellement d'un tel dysfonctionnement juridictionnel>.
Je suis au regret de vous informer que je ne peux accepter le dépôt de cette proposition qui remet en cause le bien-fondé d'une décision du Conseil constitutionnel. Elle est en contrariété manifeste avec l'article 62 de la Constitution, relatif à l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel, et méconnaît le principe de la séparation des pouvoirs.
Je vous prie de croire ..."
REACTION DE Me KRIKORIAN ci-dessous :
COMMUNIQUE DE PRESSE : LA DEMOCRATIE
CONFISQUEE
« Pour l'erreur, éclairer c'est apostasier »
Victor HUGO, Les Contemplations
A peine quelques jours après son dépôt, le 11 Décembre 2012, sur le bureau de l'Assemblée
Nationale, par Madame Valérie BOYER, Députée des Bouches-du-Rhône, la proposition de
résolution que j'avais adressée dès le 06 Décembre 2012 à l'ensemble des parlementaires français et
« tendant à la création d'une commission d'enquête chargée de rechercher les causes de la prise de
position publique du Conseil constitutionnel sur la normativité de la loi n°2001-70 du 29 Janvier
2001 relative à la reconnaissance du Génocide Arménien de 1915, antérieurement au prononcé de
sa décision n°2012-647 DC du 28 Février 2012, Loi visant à réprimer la contestation de l'existence
des génocides reconnus par la loi, et formuler des propositions pour empêcher le renouvellement
d'un tel dysfonctionnement juridictionnel » fait des remous. Elle indispose ceux qui sont censés
animer nos institutions démocratiques, acteurs d'une étrange pièce de théâtre qui pourrait s'intituler
« La vérité sous le boisseau ».
Qu'on en juge.
Dans sa lettre datée du 14 Décembre 2012, Monsieur Claude BARTOLONE, Président de
l'Assemblée Nationale, indique à son éminente collègue parlementaire qu'il ne peut « accepter le
dépôt de cette proposition qui remet en cause le bien-fondé d'une décision du Conseil
constitutionnel » aux motifs qu'elle serait « en contrariété manifeste avec l'article 62 de la
Constitution, relatif à l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel » et méconnaîtrait « le
principe de la séparation des pouvoirs ».
Citoyens français, nous ne pouvons tolérer une telle décision manifestement entachée d'un
détournement de procédure et donc d'excès de pouvoir en ce qu'elle paralyse indûment un
processus parlementaire en dehors des cas expressément prévus par le Règlement de l'Assemblée
Nationale ( art. 138 RAN ).
L'article 139 RAN est, en la circonstance, très clair :
« 1 Le dépôt d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête
est notifié par le Président de l'Assemblée au garde des sceaux, ministre de la justice. »
L'article 140 RAN n'est pas moins explicite :
« Les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sont
renvoyées à la commission permanente compétente. Celle-ci vérifie si les conditions requises pour
la création de la commission d'enquête sont réunies et se prononce sur son opportunité. »
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L'article 141 RAN confirme que le dépôt d'une telle proposition doit conduire à un vote auquel
la volonté d'un seul député, fût-il le Président de l'Assemblée Nationale, ne saurait se substituer :
« 1 La création d'une commission d'enquête résulte du vote par l'Assemblée de la proposition de
résolution déposée dans ce sens. »
De plus, contrairement à ce que prétend Claude BARTOLONE, la proposition de résolution
déposée le 11 Décembre 2012 ne contrarie en rien l'article 62 de la Constitution dont l'alinéa 3 ne
confère une autorité de la chose jugée erga omnes qu'aux seules décisions du Conseil
constitutionnel et non pas aux prises de position publiques que celui-ci croit pouvoir
imprudemment prendre avant de se prononcer sur la constitutionnalité de la loi :
« Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent
aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. »
Les citoyens et justiciables ne sont pas, au demeurant, destinataires de cette norme. Rien ne
limite, à cet égard, leur liberté d'expression et leur droit de libre critique du fonctionnement des
institutions publiques.
C'est bien ce que juge la Cour de cassation pour l'Avocat qui « a le droit de critiquer le
fonctionnement de la justice ou le comportement de tel ou tel magistrat, » ( Cass. 1° Civ., 04 Mai
2012, n°11-30.193 ).
Le principe de séparation des pouvoirs qui n'a pas empêché la création d'une commission
d'enquête sur l'affaire dite d'Outreau ( à l'initiative en date du 05 Décembre 2005 des députés
Jean-Louis DEBRE et Philippe HOUILLON ), n'est pas davantage atteint par la proposition de
résolution judicieusement déposée par Madame Valérie BOYER le 11 Décembre 2012.
En outre, loin de bénéficier d'une quelconque immunité, les membres du Conseil constitutionnel
sont, comme tous les juges, tenus à un devoir impérieux d'impartialité qu'impose l'article 16 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 Août 1789 ( DDH ), lequel dispose :
« Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des
pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »
Cette norme à valeur constitutionnelle s'impose à tous les organes de l'Etat, qu'ils exercent le
pouvoir législatif, exécutif ou juridictionnel.
Sur ce texte fondamental qui consacre « le droit des droits », le Conseil constitutionnel fonde
l'obligation contractée par l'Etat devant la Nation d'assurer à toutes les personnes relevant de la
juridiction de la France une protection juridictionnelle effective et un procès équitable.
L'exigence d'impartialité absolue du juge – quelle que soit sa nature ou sa place dans la
hiérarchie juridictionnelle - procède du même texte.
Concernant les membres du Conseil constitutionnel, plus particulièrement, elle est exprimée par
l'article 3 de l'ordonnance n°58-1067 du 07 Novembre 1958, Portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel :
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« Avant d'entrer en fonctions, les membres du Conseil constitutionnel prêtent serment devant le
Président de la République.
Ils jurent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de les exercer en toute impartialité
dans le respect de la Constitution, de garder le secret des délibérations et des votes et de ne
prendre aucune position publique, de ne donner aucune consultation sur les questions relevant
de la compétence du conseil.
Acte est dressé de la prestation de serment. »
L'obligation de réserve des membres du Conseil constitutionnel se trouve encore consignée dans
les articles 1er et 2 du décret n°59-1292 du 13 Novembre 1959, Sur les obligations des membres
du Conseil constitutionnel :
Art. 1er : « Les membres du Conseil constitutionnel ont pour obligation générale de s'abstenir
de tout ce qui pourrait compromettre l'indépendance et la dignité de leurs fonctions. »
Art. 2 : « Les membres du Conseil constitutionnel s'interdisent en particulier pendant la durée de
leurs fonctions :
De prendre aucune position publique ou de consulter sur des questions ayant fait ou étant
susceptibles de faire l'objet de décisions de la part du Conseil ;
D'occuper au sein d'un parti ou groupement politique tout poste de responsabilité ou de direction
et, de façon plus générale, d'y exercer une activité inconciliable avec les dispositions de l'article
1er ci-dessus ;
De laisser mentionner leur qualité de membre du Conseil constitutionnel dans tout document
susceptible d'être publié et relatif à toute activité publique ou privée. »
Or, il est constant que le Conseil constitutionnel a publié sur son site internet officiel, avant de
rendre sa décision n°2012-647 DC du 28 Février 2012, Loi visant à réprimer la contestation de
l'existence des génocides reconnus par la loi, une brochure intitulée « Absence de normativité ou
normativité incertaine des dispositions législatives » mettant à l'index la loi n°2001-70 du 29
Janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 expressément désignée
comme étant non normative ou dotée d'une normativité incertaine ( v. pages 2 et 3:
« EXEMPLES DE TEXTES NON NORMATIFS OU DOTES D'UNE NORMATIVITE
INCERTAINE » - lien : http://www.conseilconstitutionnel.
fr/conseilconstitutionnel/root/bank/dowload/2005512DCdoc1.pdf – v. les deux
procès-verbaux de constat d'huissier en date des 30 Janvier et 1er Février 2012 publiés sur le site
www.philippekrikorian-avocat.fr et les articles du Canard Enchainé des 8 et 15 Février 2012 ).
Le Président Jean-Louis DEBRE ne fait pas mystère, non plus, de sa très profonde aversion à
l'égard des dispositions législatives « purement déclaratives » ( v. la proposition de loi
constitutionnelle n°1832 « tendant à renforcer l'autorité de la loi » présentée par Jean-Louis
DEBRE le 05 Octobre 2005, publiée en pages 26 et 27 de la brochure litigieuse susmentionnée ).
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En l'occurrence, le caractère manifeste du manquement par le juge constitutionnel à l'exigence
d'impartialité que lui impose la Constitution et que toute personne même non juriste a pu
constater par elle-même, autorise à exprimer les plus vives réserves quant à la validité
constitutionnelle de la décision n°2012-647 DC du 28 Février 2012, Loi visant à réprimer la
contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi.
En effet, pour déclarer contraire à la Constitution la loi visant à réprimer la contestation de
l'existence des génocides reconnus par la loi ( loi BOYER-KRIKORIAN ), au motif que ce texte
législatif aurait porté une atteinte inconstitutionnelle à la liberté d'expression, le Conseil
constitutionnel énonce :
« ( … ) 4. Considérant que, d'une part, aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789 : 'La
loi est l'expression de la volonté générale...'; qu'il résulte de cet article comme de l'ensemble des
autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l'objet de la loi que, sous réserve de
dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et
doit par suite être revêtue d'une portée normative;
5. Considérant que, d’autre part, aux termes de l’article 11 de la Déclaration de 1789 : «La
libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme :
tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté
dans les cas déterminés par la loi » ; que l’article 34 de la Constitution dispose : « La loi fixe les
règles concernant... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour
l’exercice des libertés publiques » ; que, sur ce fondement, il est loisible au législateur d’édicter
des règles concernant l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler,
d’écrire et d’imprimer; qu’il lui est également loisible, à ce titre, d’instituer des incriminations
réprimant les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent
atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers; que, toutefois, la liberté d’expression et de
communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et
l’une des garanties du respect des autres droits et libertés; que les atteintes portées à l’exercice de
cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi;
6. Considérant qu'une disposition législative ayant pour objet de 'reconnaître' un crime de
génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s'attache à la loi; que,
toutefois, l'article 1er de la loi déférée réprime la contestation ou la minimisation de l'existence
d'un ou plusieurs crimes de génocide 'reconnus comme tels par la loi française'; qu'en réprimant
ainsi la contestation de l'existence et de la qualification juridique de crimes qu'il aurait lui-même
reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à
l'exercice de la liberté d'expression et de communication; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin
d'examiner les autres griefs, l'article 1er de la loi déférée doit être déclaré contraire à la
Constitution; que son article 2, qui n'en est pas séparable, doit être également déclaré contraire à
la Constitution » ( … ) »
( CC, décision n°2012-647 DC du 28 Février 2012, Loi visant à réprimer la contestation de
l'existence des génocides reconnus par la loi ).
Ce faisant, le juge constitutionnel suit implicitement le faux syllogisme suivant :
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- majeure 1 : la loi doit, en vertu de l'article 6 DDH, à peine d'être déclarée inconstitutionnelle,
être normative ( considérant 4 );
- majeure 2 : seule la loi peut limiter la liberté d'expression et de communication
( considérant 5 );
- majeure 3 : une loi de reconnaissance d'un génocide n'est pas normative ( considérant 6 );
- mineure : la Loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la
loi limite la liberté d'expression en renvoyant à une loi ayant pour objet de reconnaître un crime
de génocide, dès lors que le champ de la liberté d'expression a priori illimité se trouve a posteriori
circonscrit ( en négatif ) par ce texte de reconnaissance ;
- conclusion : la Loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par
la loi est contraire à la Constitution en ce que seule une norme législative pouvait limiter la liberté
d'expression et de communication.
Le raisonnement du juge constitutionnel est manifestement vicié en ce qu'il s'appuie sur des
prémisses fausses : « la loi ( … ) doit par suite être revêtue d'une portée normative. » ( majeure 1)
et une loi de reconnaissance d'un génocide n'est pas normative ( majeure 3 ).
Il a, en effet, été établi précédemment ( v. mémoire en réplique n°2 de Maître Philippe
KRIKORIAN en date du 16 Mars 2012, § II-A-3-b-iii, p. 139/294, sur le recours pour excès de
pouvoir n°350492 enregistré le 30 Juin 2011 au Secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et
Mme Grégoire KRIKORIAN et a. c/ M. le Premier ministre, publié sur le site
www.philippekrikorian-avocat.fr - arrêt du 26 Novembre 2012 devant être publié sur le site
Internet du Conseil d'Etat www.conseil-etat.fr « en raison de son importance pour la
jurisprudence » ) que la loi n'a pas à être normative puisqu'elle est a priori ( au sens kantien,
nécessairement et universellement ) normative et qu'en s'arrogeant le pouvoir de contrôler la
normativité de la loi qu'aucun texte constitutionnel ou législatif ne lui attribue, le Conseil
constitutionnel usurpe sur les droits du Parlement.
Le contrôle de constitutionnalité portant sur un rapport de conformité d'une loi, norme
législative, avec une norme constitutionnelle, il est évident qu'il ne peut porter que sur une norme.
*
Comment, dès lors, dans une société démocratique comme l'est et doit le demeurer la France,
passer sous silence un tel dysfonctionnement juridictionnel, sans précédent dans les annales de
la République ?
Le Parlement français, seul détenteur de la souveraineté nationale, n'a, pour pouvoir exercer
pleinement sa fonction custodique, à témoigner aucune crainte révérencielle à l'égard du juge
constitutionnel qui ne jouit pas de la même légitimité démocratique.
Quel autre lieu, sinon le foyer de la loi, pour dénoncer une violation manifeste du devoir
d'impartialité du juge et une usurpation sur les droits du Parlement ?
Quels autres témoins, sinon les Représentants du Peuple, pour attester du drame institutionnel
qui est en train de se jouer sous nos yeux ?
.../...
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Comme le rappelait justement Arthur SCHOPENHAUER, « Si nous nous taisons, qui
parlera ? »
La Représentation nationale se laissera-t-elle, ainsi, bâillonner sans réagir ?
Compte tenu de telles circonstances inédites, grosses d'une grave crise démocratique, le droit de
résistance à l'oppression ( art. 2 DDH ) nous commande, dans le respect de la norme
fondamentale, de signifier solennellement à Claude BARTOLONE que par sa décision du 14
Décembre 2012, il se met hors la Constitution et le Règlement de l'Assemblée Nationale qu'il ne
saurait, à l'évidence, ignorer.
Un sursaut républicain s'impose.
La Raison universelle et l'esprit de la Défense ne peuvent se résoudre à laisser la République
sombrer dans la déréliction et le « gouvernement des juges », antichambre de la tyrannie
oligarchique.
Ensemble, déjouons la conspiration du silence !
Fait à Marseille, le 18 Décembre 2012
Philippe KRIKORIAN,
Avocat au Barreau de Marseille
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