vendredi 11 octobre 2013

L'ACTE DE GOUVERNEMENT FAIT DE LA RESISTANCE ABUSIVE !

Philippe Krikorian


COMMUNIQUE DE PRESSE
ARRET DE LA COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE DU 10 OCTOBRE 2013 : L'ACTE DE GOUVERNEMENT FAIT DE LA RESISTANCE ABUSIVE !

« Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours
le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance
 en devoir. »
       
 Jean-Jacques ROUSSEAU, Du Contrat social – 1762

 « La force ne triomphe pas du droit, car la lutte n'est
pas possible entre la matière et l'idée. »

 ALAIN ( Emile CHARTIER ), Le Culte de la Raison
comme fondement de la République



Chers Amis,



La Cour d'Appel d'Aix-en-Provence, Première Chambre C, a vidé, aujourd'hui, son délibéré et décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité ( QPC ) de l'article 26 de la loi du 24 Mai 1872 sur l'organisation du Conseil d'Etat que je lui avais adressée.


Je regrette cette décision.


Elle me semble, une fois de plus, dictée par la Raison d'Etat, alors que seule la Raison Universelle ( le Droit, selon la belle expression de PORTALIS ) doit prévaloir dans une société démocratique, comme la France.


Cette affaire qui traite du Génocide Arménien et des autres crimes contre l'humanité, notamment sous l'angle du négationnisme, met en lumière une incongruité persistante du droit positif français dont se prévaut l'Exécutif, savoir l'acte de gouvernement, que je ne me lasserai pas de dénoncer publiquement. Comme le disait justement le Doyen Paul DUEZ, au siècle passé, « tout régime qui a l'ambition de réaliser l'Etat de droit doit biffer de ses institutions ce symbole défectueux qu'est l'acte de gouvernement. » ( Les actes de gouvernement, 1935, Dalloz 2006, p. 210 ).


La Cour a estimé, à tort, que la disposition législative attaquée n'était pas applicable au litige ou à la procédure, dès lors que, selon elle, ce texte aurait « vocation à s'appliquer, au sens strict, devant la juridiction administrative dans le cadre de la procédure de conflit positif, pour aboutir, le cas échéant, au dessaisissement du Conseil d'Etat ; »


Ce faisant, les juges du second degré ont prétendu dissocier l'article 26 de la loi du 24 Mai 1872 de la théorie jurisprudentielle de l'acte de gouvernement dont il est, pourtant, de façon incontestable au vu de la jurisprudence et de la doctrine abondamment citées dans mes mémoires, le fondement textuel, ce, depuis plus de cent quarante ans.


Or, comme je l'ai rappelé à la Cour, le Conseil Constitutionnel a eu l'occasion de préciser « qu'en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition » ( CC, décision n°2010-39 QPC du 06 Octobre 2010, Mmes Isabelle D. et Isabelle B. consid. 2; CC, décision n°2010-52 QPC du 14 Octobre 2010, Compagnie agricole de la Crau, consid. 4 ).


C'est dire que théorie jurisprudentielle de l'acte de gouvernement et article 26 de la loi du 24 Mai 1872 sont indissociables. On ne peut, sans craindre de violer le principe de non-contradiction, invoquer l'un et prétendre, dans le même temps, empêcher de poser la QPC de l'autre.


La Cour a, donc, méconnu le droit constitutionnel de tout justiciable de poser une QPC, tel que consacré par l'article 61-1 de la Constitution du 04 Octobre 1958.


Cet arrêt devra, partant, faire l'objet d'un pourvoi en cassation, le cas échéant, en même temps que l'arrêt sur le fond s'il nous était défavorable.


Cependant, des points positifs émergent de la décision de la Cour.


1°) La Cour n'exclut pas de reconnaître, au fond, l'existence d'une voie de fait qui lui donnerait compétence pour juger l'affaire ( « ( … ) si la cour considérait, au fond, comme le prétendent les demandeurs, que la voie de fait dont ils se plaignent est exclusive de l'acte de gouvernement ; » - page 8/9 de l'arrêt ) ;


2°) Dans l'hypothèse inverse, la Cour aurait l'obligation, en application de l'article 34 du décret du 26 Octobre 1849 réglant les formes de procéder du Tribunal des conflits, de saisir le juge du conflit pour décider de la question de compétence.


3°) En tout état de cause, l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 Août 1789 ( DDH ) consacrant la garantie des droits commande qu'un ordre de juridiction, à tout le moins, soit compétent pour connaître de l'atteinte à des droits fondamentaux ( en l'espèce, le droit à être protégé contre le négationnisme ).


4°) Il échet, encore, de rappeler, que la transposition de la décision-cadre du 28 Novembre 2008 est une double obligation juridique, tant en vertu de notre Constitution ( art. 88-1 ) que du droit de l'Union européenne ( TC, 17 Octobre 2011, SCEA du Chéneau et a. c/ INAPORC, n°C3828 ).


On en déduit logiquement que le défaut de transposition, près de trois ans après l'expiration du délai imparti à la France pour ce faire, ne peut s'autoriser d'aucun texte national ou international. La voie de fait, qui est l'impossibilité manifeste de rattacher l'action ou l'omission de la Puissance publique à un pouvoir légalement reconnu par un texte, est, dès lors, parfaitement caractérisée en l'espèce.


La compétence de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence est, partant, évidente.


Quant à l'exercice de ses pouvoirs, sur le fondement de l'article 809 du Code de procédure civile ( CPC ), il ne fait pas davantage difficulté. L'injonction qu'il lui est demandé de délivrer au Premier ministre de déposer un projet de loi de transposition est bien de nature à « faire cesser un trouble manifestement illicite » ( art. 809, al. 1er CPC ) et assure l'exécution d'une obligation de faire dont l'existence n'est pas sérieusement contestable ( art. 809, al. 2 CPC ) : transposer la décision-cadre du 28 Novembre 2008.


Comme l'énonce clairement et justement la Doctrine classique :


« ( … ) Un acte ne peut présenter, en même temps, les caractères de la voie de fait et ceux de l'acte de gouvernement, et échapper sous la seconde qualification aux conséquences qu'entraînerait pour lui la première ; acte 'manifestement insusceptible de se rattacher à l'exécution d'un texte légal ou réglementaire', la voie de fait ne saurait être réputée acte de l'autorité publique ; qu'il administre ou qu'il gouverne, en effet, l'exécutif doit fonder son action sur l'assise de la loi ; un acte auquel cette assise manque ne peut plus être considéré comme acte de gouvernement, puisqu'au moment même où il l'accomplit, et du seul fait qu'il l'accomplit, le gouvernement cesse d'agir en tant que gouvernement. Les deux notions sont donc antinomiques, et l'exécutif ne saurait échapper aux conséquences de la voie de fait en couvrant celle-ci du manteau de l'acte de gouvernement. ( … ) »


( Professeur Jean RIVERO, JCP 5542, note sous TC, 02 Février 1950, Radiodiffusion Française c/ Sté de gérance et de publicité du Poste de Radiodiffusion « Radio-Andorre » )


Ainsi, la décision de la Cour est-elle enfermée dans l'alternative à deux branches suivante :


- ou bien, en application de la jurisprudence Guigon du Tribunal des conflits ( 27 Juin 1966 ), elle constate la voie de fait manifeste imputable à l'Etat et elle délivre injonction au Premier ministre de déposer un projet de loi de transposition de la décision-cadre du 28 Novembre 2008, après, le cas échéant, question préjudicielle posée à la CJUE quant à la conformité au droit de l'Union européenne de l'article 1er, § 4 ;


- ou bien, elle s'estime ( mais ne se déclare pas ) incompétente pour connaître de l'affaire, au profit du Conseil d'Etat, en relevant qu'il s'agit de prendre un décret ( le projet de loi est présenté au Parlement sous forme de décret ) et elle a l'OBLIGATION ( et non pas seulement la faculté ), en vertu de l'article 34 du décret du 26 Octobre 1849 réglant les formes de procéder du Tribunal des conflits, de saisir le Haut tribunal pour que celui-ci tranche la question de la compétence.


Toute autre décision serait contraire au Droit et devrait être attaquée par la voie juridictionnelle.


Il est clair, dans ces conditions, que la décision d'incompétence rendue le 26 Novembre 2012 par le Conseil d'Etat n'est pas un échec – en tout cas, pas le nôtre -, mais, à l'inverse, le premier terme du mécanisme juridictionnel pouvant conduire à la saisine du Tribunal des conflits, ce qui, en soi, serait déjà une victoire.

En outre, ce dossier illustre de façon emblématique ce que j'appelle l'Agir juridictionnel, c'est dire la mise en œuvre devant le juge du droit constitutionnel du citoyen de concourir personnellement à la formation de la loi ( art. 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 Août 1789 DDH – v. mon article publié à la Gazette du Palais, n°324-325 des 19-20 Novembre 2008 et sur mon site internet ).


La consécration dans la norme suprême du statut constitutionnel de l'Avocat défenseur – objet du colloque que j'organise le 22 Octobre 2013 prochain à Marseille, à la Maison de l'Avocat, de 14h00 à 19h00 ( mon article Gaz. Pal. N°334-336, 2-4 Décembre 2007 ) - en sera la prochaine illustration.


Tout n'est, donc, pas perdu et rien n'est joué. Au contraire !


En effet, selon la belle formule du Doyen CARBONNIER, « Mais, dans les sciences juridiques plus que dans les autres, seule la discussion est féconde, parce que, seule, elle permet de faire sortir de la loi ou de la sentence, les contraires dont elles ne sont que le provisoire repos » (Doyen Jean CARBONNIER, Le silence et la gloire, Dalloz 1951, chr. XXVIII )


Nous pouvons, donc, être raisonnablement confiants.


Aussi, notre détermination ne faiblira pas. Celle-ci se nourrit des résistances abusives au progrès que certains misologues tentent de nous opposer en vain. Notre course inexorable vers le triomphe de la Vérité et de la Justice n'est pas achevée. Mais elle est sûre.


Trempée dans la plus pure vertu, notre volonté d'acier inspirée par le Bien commun ne fléchira ni ne cassera. Guidée par la Raison universelle, elle nous conduira au succès de nos prétentions légitimes et à la paix des âmes.


Emile ZOLA ne me démentirait pas : La Vérité est en marche et rien ne l'arrêtera.


J'ajoute : le Droit, lui, ne ment pas.



Je ne manquerai pas, dès lors, de vous tenir informés de la suite de la procédure,


Et vous donne d'ores et déjà rendez-vous le 17 Décembre 2013 prochain, à 08h15, en Salle A du Palais Verdun, à la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence, où sera évoqué le fond de l'affaire.




Marseille, le 10 Octobre 2013






Philippe KRIKORIAN,
Avocat au Barreau de Marseille

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