mercredi 28 septembre 2016

Génocide arménien : l’AFP incorpore une note dans sa charte des bonnes pratiques éditoriales - Sources NAM

Feutre Dzovinar (décembre 2013)
L’Agence France-Presse incorpore une note dans sa charte des bonnes pratiques éditoriales suite à une lettre collective adressée au PDG de l’AFP le 15 juin, à l’initiative de Dominique Sopo, président de SOS Racisme, et signée par 12 associations anti-racistes pour faire respecter une présentation éthique du génocide arménien. Nous rappelons que L’AFP prend régulièrement le parti de mettre le mot génocide entre des guillemets, y compris lorsque cela ne correspond à aucune citation dans le texte et choisit de faire de ce génocide largement documenté l’objet d’une « thèse des Arméniens ». Ce faisant, et par le jeu des reprises in extenso dans la presse nationale et internationale, elle distille le doute auprès de millions de lecteurs sur la réelle qualification de ce crime contre l’humanité. Dans sa lettre, l’AFP indique inclure désormais dans sa charte éditoriale des recommandations concernant le traitement du génocide arménien.

COURRIER COLLECTIF ENVOYÉ EN RÉPONSE A L’AFP

AFP

Madame Michèle Léridon

Directrice de l’information de l’Agence France Presse

11-13, Place de la Bourse

75002 Paris

Copie

Monsieur Emmanuel Hoog

Président Directeur Général de l’Agence France Presse

Paris, le 15 septembre 2016

Madame la Directrice de l’information,

Nous avons bien reçu la réponse que vous nous avez adressée le 18 juillet dernier et qui appelle plusieurs remarques.

Tout d’abord, nous notons qu’à quelques lignes d’écart, vous affirmez que le génocide arménien est tout à la fois « un sujet éminemment controversé » et « l’objet d’un large consensus ». Le consensus, que vous évoquez à juste titre, repose sur des bases solides que vous pourrez découvrir dans la bibliographie non exhaustive et la pétition de 126 spécialistes américains de la Shoah, jointes à ce courrier.

C’est sur la base de ce consensus du monde scientifique qu’a pu être votée la LOI n° 2001-70 du 29 janvier 2001, qui stipule que « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915. » Cet article unique est suivi de la mention « La présente loi sera exécutée comme loi de l’Etat. »

Quant à votre première assertion concernant la « controverse » dont ferait l’objet le génocide arménien, nous nous permettons de vous demander sur quel corpus documentaire elle s’appuie. Hormis quelques universitaires discrédités dont les travaux sont financés par Ankara, il nous semble que les seules références en la matière sont les déclarations d’un Etat, la Turquie, fort peu porté sur la défense de la démocratie, le souci de la vérité historique et le respect de la liberté de la presse, comme le démontre encore une fois la répression qui sévit depuis le coup d’Etat avorté du 15 juillet.

Pour vous dédouaner de « la dérogation malheureuse » aux principes journalistiques que vous évoquez, vous faites référence aux conditions de travail des journalistes de l’AFP : malgré tout le respect que nous avons pour une agence de presse aussi renommée que la vôtre, ces conditions ne peuvent servir d’excuses - lorsque l’on parle d’un crime contre l’humanité - pour la propagation de pratiques hautement problématiques comme celles que nous relevons concernant le génocide arménien.

Nous ne pensons pas avoir lu - et c’est heureux - de dépêches AFP qui - pour répondre à des « impératifs de rapidité et de concision » - qualifieraient la Shoah de « thèse ».

Bien qu’il ressorte de votre courrier que vous vous engagiez à ne plus utiliser à l’avenir ce terme « inapproprié » (que vous qualifiez de « maladresse », ce qui est le moins que l’on puisse dire lorsque l’on parle de l’anéantissement d’un peuple sur ses terres ancestrales), il nous paraît indispensable de vous faire remarquer que la mise en perspective d’une « position arménienne » - que vous opposez à une « position de la Turquie » - renvoie de facto à la mise en concurrence de deux thèses, sans l’utilisation du terme « maladroit » : c’est d’ailleurs ce que l’on trouve dans les dépêches AFP, avec l’usage systématique des expressions « Les Arméniens estiment que » et « La Turquie affirme que » (notons « l’estimation » des victimes opposée à « l’affirmation » de l’Etat héritier du crime), à charge pour le lecteur de se faire sa propre « opinion », négationniste éventuellement. Pourtant, pas plus que le racisme ou le sexisme, le déni d’un génocide ne devrait être considéré comme une opinion.

Vous semblez croire que mentionner en premier lieu « la position arménienne » est un signal positif de votre part. Or, ce qui serait plus juste déontologiquement serait de mettre en avant, non pas les Arméniens, mais les historiens, juristes et spécialistes internationaux dont les travaux ont déterminé les pertes humaines et ont amené des parlements à reconnaître le génocide arménien. Pour mémoire, ce génocide impuni a largement inspiré Raphaël Lemkin dans sa création du terme et du concept juridique de génocide qui permettent - depuis leur adoption par l’ONU en 1948 - de poursuivre et juger des génocidaires.

Vous nous dites ne pas pouvoir vous passer de mentionner la position de la Turquie. Rappeler le déni turc est une chose. Détailler des arguments négationnistes en est une autre. Vous relayez complaisamment le discours mensonger d’Ankara, en indiquant qu’« il s’agissait d’une guerre civile dans laquelle 300 à 500.000 Arméniens et autant de Turcs ont trouvé la mort » : il serait peut-être bon, là aussi, que vous puissiez nous indiquer vos sources (et nous ne parlons bien évidemment pas de propagande d’Etat) concernant cette prétendue « guerre civile » de 1915 qui aurait échappé à l’attention des historiens, spécialistes de l’Empire ottoman.

Vous le savez, les chiffres et faits fantaisistes ne peuvent être placés sur le même plan que ceux qui ont été validés par les historiens les plus sérieux. Par ailleurs, au lieu de vous abriter derrière Reuters et l’AP, vous pourriez leur opposer un travail exemplaire.

Vous avancez l’argument selon lequel « cette contestation est un fait ». Certes.

La contestation de la Shoah l’est également. D’ailleurs, le nombre des négationnistes de la Shoah dans le monde dépasse certainement le nombre des négationnistes du génocide arménien. Pour autant, l’AFP ne fait pas état des arguments des négationnistes à chaque fois que le génocide des Juifs est mentionné dans l’actualité, ou ne place pas les seuls mots de Shoah ou de génocide (des Juifs) entre guillemets pour signifier qu’ils ont été cités. Le contraire serait insupportable.

Sauf erreur, il apparaît donc que la « rigueur » de l’AFP est un traitement réservé au génocide des Arméniens et qu’elle témoigne d’une neutralité, d’une « prudence », ou d’un équilibre qui ne sont pas acceptables en matière de crimes contre l’humanité et de génocides. Car il ne s’agit pas là d’un fait d’actualité sur lequel les historiens ne se sont pas encore prononcés mais bien d’une page d’histoire largement documentée.

Vous affirmez que la « conduite » de l’AFP ne répond pas à des impératifs économiques : nous en sommes heureux car l’indépendance et la crédibilité de vos journalistes ne sauraient être tributaires du chiffre d’affaires réalisé en Turquie par le biais des abonnements qui y sont souscrits, ni des pressions de ce régime autoritaire ou des directives diplomatiques de nos gouvernements.

Alors que tous les députés allemands d’origine turque (11 au total) ont unanimement voté le 2 juin 2016 une résolution reconnaissant le génocide perpétré en 1915 contre les Arméniens et les autres chrétiens de Turquie, à l’heure où le Bundestag a condamné la coresponsabilité de l’Allemagne, alliée de l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale, et tandis que des démocrates turcs et kurdes s’engagent courageusement depuis quelques années - en Turquie même et au péril de leur vie - dans ce combat pour la mémoire et la vérité, l’Agence France Presse - organe national et de réputation mondiale qui représente de facto l’ensemble de la presse française puisque ses dépêches sont reprises in extenso par une majorité de médias - peut-elle faire le choix de persister à offrir une magistrale caisse de résonance à l’historiographie étatique d’une Turquie perpétuant le génocide par sa négation urbi et orbi ?

Nous vous remercions d’avoir rédigé une note à l’attention de la rédaction pour « éviter tout incident à l’avenir » et espérons que les éléments que nous vous soumettons ici seront incorporés à la charte des bonnes pratiques éditoriales de l’AFP comme vous le suggérez.

Nous vous prions d’agréer, Madame la Directrice de l’information, l’expression de nos salutations distinguées.

Dominique Sopo

Président

SOS Racisme

51, avenue de Flandre 75019 Paris

Tél. : 01 40 35 36 55

Séta Papazian

Présidente

Collectif VAN

[Vigilance Arménienne contre le Négationnisme]

BP 20083 - 92133 Issy-les-Moulineaux - France

Mail : contact@collectifvan.org

Signataires :

Dominique Sopo, Président de SOS Racisme

Séta Papazian, Présidente du Collectif VAN [Vigilance Arménienne contre le Négationnisme]

Alain Jakubowicz, Président de la LICRA (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme)

Bernard Schalscha, membre du comité de rédaction de La Règle du Jeu

Sacha Reingewirtz, Président de l’UEJF (Union des étudiants juifs de France)

Marcel Kabanda, Président d’Ibuka France

Jacky Mamou, Président du Collectif Urgence Darfour

Renée Le Mignot, Co-Présidente du MRAP

Richard Odier, Président du Centre Simon Wiesenthal France

Benjamin Abtan, Président du Mouvement Antiraciste Européen - EGAM

Albert Herszkowicz, Président de Memorial98

Françoise Dumont, Présidente de la Ligue des droits de l’Homme

Nous joignons à ce courrier une bibliographie en français du génocide arménien, la pétition de 126 universitaires américains spécialistes de la Shoah publiée dans le New-York Times le 9 juin 2000 ainsi qu’une citation de Pierre Vidal-Naquet.

(voir Dossier AFP en téléchargement ).

http://www.collectifvan.org/pdf/06-12-46-23-09-16.pdf

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