lundi 30 mars 2020

Patrick Devedjian, inlassable défenseur de la cause arménienne

"Nombre de mes positions politiques sont conduites par le fait que je suis issu de cette tragédie. Cela m’amène à une Disparition de Patrick Devedjian, inlassable défenseur de la cause arménienne
                  Propos recueillis par Anne Dastakian et Guy Knopnicki
Propos Precueillis par ***
Publié le 29/03/2020 

En avril 2015, à l’occasion du centenaire du génocide des Arméniens, Marianne publiait le hors-série "Les Arméniens, une histoire française", pour souligner leur intégration exemplaire en France. Grand avocat de la cause arménienne, l'ancien ministre, décédé dans la nuit du samedi 28 au dimanche 29 mars du coronavirus, ne pouvait y manquer.

L'avocat et homme politique Patrick Devedjian, 75 ans, est décédé dans la nuit du samedi 28 au dimanche 29 mars 2020 du coronavirus. Salué par la classe politique française, l'ancien ministre, président du conseil départemental des Hauts-de-Seine a aussi reçu un hommage de Nikol Pachinian, premier ministre arménien, qui a fait part de son "immense chagrin". "Il était une personnalité exceptionnelle, un homme politique de convictions et de principes, combattant fidèle de la cause arménienne, acteur essentiel de l'amitié franco-arménienne", a-t-il tweeté.

A l'occasion du centenaire du génocide arménien, en avril 2015, Marianne avait publié un hors-série "Les Arméniens, une histoire française", pour souligner leur intégration exemplaire en France. Après sa disparition, nous partageons l'entretien que nous avions alors réalisé avec Patrick Devedjian.
 
Marianne : Vous avez beaucoup œuvré pour que la France reconnaissance le génocide des Arméniens. Est-ce par communautarisme ?

Patrick Devedjian : J’ai souvent entendu dire que les Arméniens étaient bien sympathiques mais que leurs problèmes avec les Turcs ne nous concernaient pas. Les Français ignorent leur histoire. La France porte une responsabilité dans ce qui est arrivé aux Arméniens.
Le génocide est perpétré pendant la Première guerre mondiale, la Turquie étant l’alliée de l’Allemagne. La France a alors exploité ce crime pour sa propagande et pour recruter les Arméniens sous son drapeau. Le 24 mai 1915, avec les puissances alliées, la France adresse à la Turquie un mémorandum pour lui notifier qu’elle devra rendre compte de ce crime contre l’humanité. Ce concept apparaît pour la première fois dans les relations internationales. Sans suite !
La France a signé les accords Sykes-Picot en 1916, se ménageant une zone d’occupation en Anatolie orientale. Elle y a constitué la Légion arménienne, avec des réfugiés qui ont combattu sous le drapeau français. En 1920, après la défaite de l’empire ottoman, le traité de Sèvres créait un Etat arménien. Etat aussitôt abandonné par le Traité de Lausanne, en 1923 ! Mais il restait la Cilicie, placée sous mandat français par la SDN. La France a donc eu l’Arménie comme colonie, sans jamais intervenir pour protéger les Arméniens persécutés. Elles les a abandonnés après les avoir enrégimentés. Il était donc tout à fait naturel qu’ils se réfugient en France.

Marianne : Ce fut le cas de votre famille ? 

Patrick Devedjian : Dans cette tragédie, je suis issu d’une famille privilégiée. Catholiques, francophones et stambouliotes, les miens ont échappé au génocide. Mon grand-père, qui était fonctionnaire de l’Empire ottoman, a pu se cacher après avoir été prévenu par son voisin, colonel de l’armée turque. Mon père, qui avait passé son bac à l’ambassade de France, est arrivé ici comme boursier de l’Etat français en 1919, à 18 ans. Il est devenu ingénieur en fonderie et a inventé la cocotte minute.
 
Marianne : A quel moment vous êtes-vous engagé en faveur de la cause arménienne ?

Patrick Devedjian : J’ai défilé le 24 avril 1965, pour le cinquantième anniversaire du génocide Nous étions quarante étudiants ! C’est le terrorisme arménien qui a fait connaître la cause arménienne. Le premier fut l’affaire Kilndjian, un socialiste arménien, buraliste sur la Canebière, jugé par la cour d’assise d’Aix en Provence, en 1982, pour sa participation présumée à une tentative d’assassinat contre l’ambassadeur de Turquie à Bern.
Le procès, qui a duré 8 jours, a donné lieu à une mobilisation fabuleuse. Deux mille Arméniens campent en permanence au Palais de justice. Ce fut la première médiatisation forte du génocide. Kilndjian a été condamné à une peine qui couvrait sa préventive.
Puis il y eut l’affaire du boulevard Haussmann. Quatre Arméniens du Liban avaient attaqué le consulat de Turquie, tuant le policier turc de garde. Encerclés, ils s’étaient rendus. Ils ont été condamnés à 7 ans de prison. Mélinée Manouchian (ndlr : la veuve du résistant Missak Manouchian) a témoigné, déclarant devant la cour : « Je voudrais embrasser ces garçons parce que ce sont les enfants que nous aurions aimé avoir avec mon mari ».

Marianne: La loi sur la reconnaissance du génocide a été votée en 2001 à une large majorité. Ce fut un petit état de grâce ?

Patrick Devedjian : En 2001, j’ai été l’orateur du RPR. Le gouvernement socialiste était représenté par le dernier ministre dans l’ordre hiérarchique, le secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants, Jean-Pierre Masseret. Il m’a prévenu : son texte, entièrement rédigé par le ministère des Affaires étrangères, ne contenait pas le mot de « génocide ». C’était historique. J’étais content, même si je voyais bien les considérations électoralistes de part et d’autre. J’y voyais un signe du destin : la France respectait enfin sa parole –celle de la déclaration du 24 mai 1915 - et c’est un Arménien qui venait le dire.

 Marianne : Ce sont les parjures de la France qui vous ont poussé à vous engager dans la vie publique ? 

Patrick Devedjian: J’aspire à ce que la France soit plus digne. Je fais de la politique parce que c’est mon pays et je veux qu’il soit meilleur ! 

Marianne : Comment expliquez-vous l’attitude de rejet de certains historiens ? 

Patrick Devedjian : J’ai fait condamner l’historien Bernard Lewis, qui avait déclaré au Monde que le génocide était « la thèse arménienne ». Or, l’édition anglophone de son livre Islam et laïcité comprenait une page et demi sur le génocide arménien, affirmé comme tel. Ce passage avait disparu de l’édition française. Entre temps, l’ambassade turque l’avait menacé de lui refuser l’accès aux archives.
Lewis a été condamné pour avoir tenu des propos indignes d’un historien. Il n’a pas pris les précautions minimales que sa déontologie impose. Il a le droit de contester l’appellation de génocide, pas celui de prétendre que c’est une thèse arménienne ! C’est une falsification. Les éléments qui établissent le génocide ne sont pas, pour 90%, d’origine arménienne. Un certain nombre de pays ont reconnu le génocide. L’ONU l’a reconnu, l’UE aussi.
D’historien, Lewis se fait propagandiste. D’autres sont exclusivistes. Mais le génocide n’est hélas l ‘exclusivité de personne.

Marianne : Certains vous reprochent d’avoir porté l’affaire devant les tribunaux. Ou de vouloir faire l’histoire par la loi...

Patrick Devedjian : Le tribunal, c’est une tribune, qui en vaut bien d’autres. Les lois ne prétendent pas faire l’histoire ! Nous, descendants de réfugiés arméniens, voulons justice et vérité. Le génocide est mon identité, il me structure. Nombre de mes positions politiques sont conduites par le fait que je suis issu de cette tragédie. Cela m’amène à une réflexion, à une prise de conscience peut-être plus vive que d’autres.

Marianne : La loi sur le négationnisme a été invalidée par le Conseil constitutionnel (ndlr en 2012). Quelle est votre analyse ?

Patrick Devedjian : J’avais déposé un amendement, afin que cette loi, ne sanctionne pas le travail à caractère scientifique. Il a été rejeté, notamment à cause du lobbying arménien. La loi ne doit pas entraver la liberté de recherche. Elle a pour objet d’interdire à un Etat étranger - la Turquie - de mener une propagande négationniste sur le territoire français. L’Etat successeur des organisateurs du génocide arménien vient me pourchasser dans l’exil, dans le pays où les miens ont trouvé refuge, pour nier ce qui est constitutif de mon identité, y compris mon identité de citoyen français. Je demande la protection de la République contre la continuité de cette agression. Je ne m’indigne pas d’une opinion qui me déplait !

Marianne : Comment voyez-vous l’avenir de cette question ?
Patrick Devedjian : J’attends la reconnaissance du génocide par les Etats-Unis (ndlr : en décembre 2019, le Congrès a voté une résolution reconnaissant le génocide arménien). C’est selon moi leur devoir, car le premier témoin de poids et indiscutable du génocide fut Henri Morgenthau, l’ambassadeur américain à Constantinople jusqu’en 1917. Si Washington reconnaît, je pense que la Turquie suivra, car elle ne peut continuer à le nier qu’avec la complaisance des Etats-Unis. 

Source Hebdomadaire Marianne : https://www.marianne.net/politique/patrick-devedjian-le-genocide-des-armeniens-est-mon-identite-il-me-structuretiques sont conduites par le fait que je suis issu de ce. Cela m’amène à une réflexion, à une prise de conscience peut-êStre plus vive que d’autres", nous expliquait Patrick Devedjian en 2015. - CG92/Jean-Luc DOLMAIREue d’autres", nous expliquait Patrick Devedjian en 2015. - CG92/Jean-Luc DOLMAIRE

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