vendredi 14 janvier 2022

Il y a 100 ans - En 1922, les premiers réfugiés arméniens arrivent à Marseille- Antoine Bedrossian

 




Il y a 100 ans - En 1922, les premiers réfugiés arméniens arrivent à Marseille. 
Les lois sociales françaises étaient très loin de celles d’aujourd’hui. L’espoir reposera sur l’organisation et l’entraide des membres de la communauté.
 
La France des années 1920 n’est ni la France d’aujourd’hui, ni celle des années de l’après-guerre de 1939 /45. Les lois sociales sont très loin de leur niveau d’aujourd’hui, et elles ne s’appliquaient qu’aux citoyens français. Ce qui s’appelle solidarité relève uniquement de la communauté, en un mot l’on attend tout de la famille, des voisins et des associations caritatives arméniennes : Tout ceci démontre l’aptitude des Arméniens à s’organiser et à faire face à l’adversité.

L’intégration de la population arménienne n’était pas aisée. Les personnes de la première génération était celle des réfugiés, il leur fallait tout apprendre : la langue, les règles de vie et celles du travail dans une société moderne. Nées en Asie Mineure, ils eurent du mal à s’habituer à la vie française. Cette première génération est celle du travail acharné, celle de la survie et du double horaire. Deux journées de travail, l’une à la suite de l’autre, dans deux usines différentes pour certains. 

Cependant, cette intégration se fit avec lenteur, avec du courage mais de façon inévitable et souhaitée. 

>Les premiers logements

Les nouveaux arrivants vont essayer de trouver un toit au centre-ville de Marseille, dans le périmètre délimité par la Canebière, le Bld d’Athènes (Gare St Charles) et la porte d’Aix. On y trouve une majorité absolue des Arméniens dans des logements selon leur niveau social. La grande majorité de ces logis étaient malsains souvent sans air et sans soleil, n’ayant qu’un robinet d’eau et un cabinet d’aisance par étage. Là aussi se trouvent les hôtels miteux, de véritables taudis. L’écrivain Emile Témine, d’origine juive, grand ami des Arméniens, relate dans son livre la vie de ces hôtels miteux où puces, souris cohabitent avec les êtres humains. Pour cuisiner, un réchaud à pétrole sur lequel la ménagère arménienne confectionnait les repas familiaux. Je ne vous parle pas de la promiscuité…

Parmi le flot des nouveaux arrivants, il y avait des personnes mieux loties financièrement et d’autres d’un grand niveau d’instruction. Ces personnes vont participer à l’organisation des associations, créer des écoles pour apprendre le français, bâtir des églises apostoliques arméniennes et participer à la parution d’une presse arménienne locale de 1923 à 1939. Tous ces journaux vont disparaitre avec le début de la Seconde Guerre Mondiale.

Mes parents ont passé les premières années (3 ou 4 ans) dans l’hôtel Victoire, 1 rue de Saule- Marseille. C’est dans cet hôtel que naitront ma sœur Elise et ma cousine Marie.

>Le Camp Oddo

Les premiers groupes de réfugiés, arrivés dans le plus grand dénuement, vont s’installer dans un ancien camp militaire. Les baraquements devaient accueillir temporairement quelques centaines de familles…il a accueilli au final près de 5 500 réfugiés auxquels il faut ajouter les 405 enfants nés au camp.

Ce camp a accueilli une population meurtrie dans des conditions très difficiles. Très vite cependant, les arméniens firent de ce lieu un véritable espace de vie communautaire avec son église, ses écoles, Le camp Oddo n'est pas seulement la fin d'un parcours mais au contraire un point de départ pour la nouvelle vie de ces réfugiés arméniens ayant tout perdu.

La direction du camp sera assistée par des médecins Mrs Semerdjian et Rakédjian (qui fut notre médecin de famille à Saint Jérôme) accomplirent leur mission avec la plus grande conscience. Le camp eut aussi son pharmacien en la personne de M. Thomas Ménévichian .

>Santé

Les conditions d’habitation malsaines, jointes à la sous-alimentation due à la pauvreté de toute une classe de gens qui, de surcroit, travaillait dans des conditions inhumaines, furent la cause, au cours de ces premières années, de la tuberculose qui fit des ravages dans les rangs des réfugiés arméniens.

 Médecins et médicaments n’étaient pas gratuits, il n’y avait pas de « Sécurité-Sociale » ni la carte vitale. Au début d’une maladie, les gens avaient l’habitude de recourir aux remèdes de grand-mère. Et lorsqu’on s’adressait enfin au médecin, le mal était déjà fait. N’oublions pas que les antibiotiques n’existaient pas encore.

>L’entraide du voisinage

Dans ces quartiers où se sont regroupés les réfugiés arméniens, que l’on serait tenté de qualifier de « petite Arménie », le compatriote n’était jamais loin : dans la chambre d’à côté ou dans l’immeuble d’en face. Comme le dit un proverbe arménien : « Le voisin proche est mieux que le parent lointain ». Ces gens pris dans la même tourmente, partageant le même quotidien, font de leur mieux pour se comprendre et s’entraider.

>Les Associations Compatriotiques 

Les réfugiés se constituèrent rapidement des « Unions compatriotiques » » pour aider d’abord des gens de même région. Ces associations porteront aide aux vieillards, aux orphelins, aux veuves, aux infirmes et aux malades. 

>La Croix Bleue des Arméniens de France

Dès 1920, des femmes, bénévoles, se rassemblent et s’organisent pour venir en aide et soulager la détresse des réfugiés. Leur première initiative est la création d’un centre d’action sanitaire et sociale pour enfants.

>Les « écoles arméniennes » pour apprendre le français.
 
Dès 1924, une école sera ouverte dans le camp Oddo et une autre école primaire dans les murs de la chapelle arménienne, rue Stanislas Torrents. Les élèves apprenaient la langue française. Pour ces deux écoles les directeurs furent l’écrivain Léon Chanth et Hovhannès Varjabédian, diplômé du Collège Central de Constantinople (comme le fut mon père qui maîtrisait correctement la langue française). 
D’autres, comme mes parents vont se cotiser et payer une jeune fille arménienne connaissant la langue française pour donner des cours à leurs enfants. Ils sont regroupés par « classe » d'une dizaine d'enfants de tout âge pour apprendre les rudiments de la langue française.
Peu de temps après, les enfants fréquenteront les écoles publiques de la République. Pour que les enfants puissent apprendre à lire et écrire l’arménien et l’histoire arménienne furent créées, à leur place, souvent dans les salles polyvalentes des églises arméniennes, les écoles du jeudi (le jour de relâche).

>Le sport

Pour éviter que les jeunes errent sans but, il fallait canaliser les énergies à travers le sport et surtout le football. Des sections sportives furent fondées à Marseille dès 1924 : Jeunesse Sportive Arménienne, JSA Saint Antoine, Ardziv, UGA, …

>Les Scouts 

En 1929 fut fondé les scouts arméniens Hay Ari et une section féminine Hay Arinouch

>La presse arménienne

En 1922, une soixantaine d'écrivains, intellectuels, journalistes et poètes arrivent à Paris ainsi que de nombreux jeunes gens ayant fréquenté les écoles arméniennes en particulier de Constantinople. Ces lettrés fondent des petites imprimeries indépendantes.

Ces journaux servent d'information politique de la diaspora mais aussi du « savoir se comporter » dans ce pays d’accueil pour des rescapés souvent perdus, ne parlant pas la langue du pays, et ne connaissant aucune de ses coutumes.

Conclusion 

Tout ceci démontre encore une fois l’aptitude des Arméniens à s’organiser et à faire face à l’adversité, partout où elle se manifeste.
Bénissons nos anciens et surtout nos grands-mères qui ont tout fait pour que nous ayons une vie meilleure. Ils n’ont connu qu’une vie faite d’économie et de sacrifices.
Ils ont eu un grand respect de la France qui les a accueillis.

Antoine Bedrossian -  2022

7 commentaires:

  1. France, vous avez reçu des émigrés exemplaires, exceptionnels qui ont oeuvré pour leur survie, certes, mais aussi pour votre plus grand bien ! N'oubliez pas ...!

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  2. Bravo bel article.

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    1. Merci pour votre intérêt - J'essaie de partager des articles intéressants qui apportent des informations que nous espérons avoir un jour ...

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  3. Very interesting, my grandparents went to Grenoble in 1922 from Smyrna.

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    1. Oui nos parents ont quitté les lieux qu'ils aimaient par nécessité ! Ce fut un déchirement pour tous !

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  4. Très bon post ! Qui nous rappelle d ou nous venons ..et qui nous sommes ! Pour ma part mes origines sont grecques du côté de ma mère .. et ils ont eu les histoires similaires en quittant leur village en feu a smirne.!

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  5. Oui nos deux peuples ont été très malmenés ! Mais nous avons réussi à surmonter tant bien que mal notre destin commun !

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