La lettre de fer
N. Lygeros
(Traduit du grec par A.-M. Bras)
Si j’avais vécu alors
j’aurais pu te montrer
la barbarie
mais alors, j’étais déjà
mort
et tu n’étais pas encore née.
C’est pour cela que je t’écris
afin que tu lises
le passé que tu n’as pas vécu,
l’avenir dans lequel
je ne suis pas mort
et que tu puisses devenir
juste quand tu l’apprendras.
Au commencement personne
ne prit garde à la lune.
Elle n’avait pas l’éclat
d’antan.
Personne n’écouta
le silence des dragons
et des croix nouées.
Mais les pierres devinrent corps
et les corps, arbres
qu’une hache invisible coupa.
Et les têtes blessèrent la terre.
Tu n’as pas entendu le bruit
que fait la tempe
quand elle se brise sur la pierre.
Personne ne peut le supporter
sauf si c’est la sienne.
Tu n’as pas d’enfants encore
et je ne peux pas te décrire
la mort des autres
tu ne pourrais t’en attrister.
Je sais que tu n’es pas
indifférente, mais tu es si petite.
Ne pleure pas maintenant.
Garde les yeux ouverts.
Tu ne sais pas encore
et tu ne peux être blessée
par le mensonge de la barbarie.
Tu dois d’abord apprendre
à souffrir.
C’est seulement ainsi que tu deviendras juste.
Et cela, seule l’Humanité
peut te l’enseigner
car même l’humanité a
ses limites.
Tu ne me crois pas,
je le sais.
Cela n’a pas d’importance.
C’est une question de temps
et le temps est avec nous.
Un mort
ne peut pas dire
des mensonges.
Ne regarde pas les barbares,
seules les victimes
ont besoin de toi.
Tu entends ?
*****
Tout n'était que jeux
quand, dans nos jeunes années,
assis pour une matinée d'études
sur les bancs de l'école arménienne,
nous n'écoutions le maître
que d'une oreille distraite,
sollicités que nous étions par d'impératifs,
parce que rares, échanges amicaux espérés
durant la semaine ...
Cependant, presque à notre insu,
l'apprentissage de notre langue
sa lecture, son écriture,
laissaient chaque fois quelque trace ...
Un matin, le maître soumit à notre réflexion
un thème
nous priant de coucher sur le papier
le résultat de nos cogitations.
Je ne puis dire le plaisir que je pris
à l'élaboration de mon texte en arménien :
c'était la première fois.
Je n'ai pas oublié l'expression d'étonnement
qu'arborait le visage du maître
lorsqu'il communiqua la note que méritait mon travail.
Mais j'étais encore bien loin d'imaginer
que ces lettres de notre écriture
se dressaient, majestueuses sculptures de fer,
dans cette lointaine, mythique, irréelle
plaine d'Arménie,
porteuses d'une histoire millénaire
sanglante trop souvent
comme autant de témoins, gardiens de notre mémoire.
Dzovinar
*****
Tout n'était que jeux
quand, dans nos jeunes années,
assis pour une matinée d'études
sur les bancs de l'école arménienne,
nous n'écoutions le maître
que d'une oreille distraite,
sollicités que nous étions par d'impératifs,
parce que rares, échanges amicaux espérés
durant la semaine ...
Cependant, presque à notre insu,
l'apprentissage de notre langue
sa lecture, son écriture,
laissaient chaque fois quelque trace ...
Un matin, le maître soumit à notre réflexion
un thème
nous priant de coucher sur le papier
le résultat de nos cogitations.
Je ne puis dire le plaisir que je pris
à l'élaboration de mon texte en arménien :
c'était la première fois.
Je n'ai pas oublié l'expression d'étonnement
qu'arborait le visage du maître
lorsqu'il communiqua la note que méritait mon travail.
Mais j'étais encore bien loin d'imaginer
que ces lettres de notre écriture
se dressaient, majestueuses sculptures de fer,
dans cette lointaine, mythique, irréelle
plaine d'Arménie,
porteuses d'une histoire millénaire
sanglante trop souvent
comme autant de témoins, gardiens de notre mémoire.
Dzovinar
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