De quoi Doğu Perinçek est-il le nom ?
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé que la Suisse a violé le droit à la liberté d’expression du nationaliste et négationniste turc Doğu Perinçek en le condamnant pour discrimination raciale. En mai, juillet et septembre 2005 à diverses conférences en Suisse il avait nié publiquement l’existence de tout génocide perpétré par l’Empire ottoman contre le peuple arménien en 1915 et dans les années suivantes, en le qualifiant de « mensonge international ». Le 9 mars 2007, le Tribunal de police de Lausanne avait reconnu M. Perinçek coupable de discrimination raciale au sens de l’article 261bis, alinéa 4 du code pénal suisse, concluant que les mobiles poursuivis par le requérant s’apparentaient à des mobiles racistes et ne relevaient pas du débat historique.
La CEDH a donc cassé la décision suisse en affirmant « important de souligner que M. Perinçek n’a jamais contesté les massacres et les déportations pendant les années en cause, mais qu’il nie la qualification de « génocide » donnée à ces événements » et que « le rejet de la qualification juridique de « génocide » pour les événements de 1915 n’est pas de nature à inciter à la haine contre le peuple arménien ».
Immédiatement après le rendu public de la décision, la presse nationaliste turque s'est félicitée de la décision : « Dans le procès Perinçek, c'est toute la Turquie qui sort vainqueur » « Le Monde entier va parler de notre victoire de Lausanne » ou encore « Après la décision de la CEDH, le monde entier va pouvoir débattre des allégations sur le « génocide arménien » ». La presse azérie s'est également félicitée en titrant « Le coup historique donné aux Arméniens par Perinçek ». Le Ministre des Affaires Étrangères turc, Ahmet Davutoğlu, qui quelques jours auparavant disait regretter les souffrances des Arméniens durant les déportations, s'est exclamé : « ce jugement rendu par la plus haute autorité judiciaire sur les droits de l'homme en Europe offre également la réponse nécessaire aux initiatives législatives sur le « déni », en particulier en Europe qui visent à déformer l'histoire turque et d'empêcher les initiatives que les allégations arméniennes soient présentées comme « la vérité ». Nous espérons que désormais ces initiatives qui sont contre les droits humains et la primauté du droit prendront fin (sic!) ».
Une victoire pour les négationnistes turcs qui vont ainsi pouvoir continuer à cracher sur la mémoire des victimes du génocide arménien, au nom de la liberté d'expression, que l'on sait « si bien défendue » en Turquie !
Connaitre la nébuleuse Perinçek
Car Perinçek incarne parfaitement la matrice idéologique de l’État Profond (Derin Devleti), cet agglomérat nauséabond de kémalistes et de fascistes notoires, qui lui a d'ailleurs valu condamnation dans le procès Ergenekon.
Ancien dirigeant du Parti Révolutionnaire des Ouvriers et des Paysans de Turquie (TIIKP) dans les années 70, il est resté dirigeant du même parti sous des noms différents Parti Socialiste (SP) et Parti des Travailleurs (IP), son appellation actuelle. On pourrait penser à un parti d'extrême-gauche, mais la véritable idéologie du parti est ce qu'on appelle le « Kémalisme Eurasiatique », version moderne du Pan-Touranisme ou du Pan-Turquisme devant s'étendre du Bosphore à la Chine.
Déjà, lorsque de jeunes militants du TIIKP, rejetèrent le Kémalisme comme une « forme de fascisme », firent scission pour créer le Parti Communiste de Turquie-Marxiste-Léniniste (TKP/ML), il n'hésita pas une seconde à essayer de les détruire physiquement. Une tentative d'assassinat fût même programmée contre la personne d'Ibrahim Kaypakkaya, le jeune dirigeant maoïste du TKP/ML. Il faut dire que parmi ces jeunes maoïstes figuraient également de jeunes arméniens comme Armenak Bakirciyan (Orhan Bakir), Immanuel Demirciyan (Manuel Demir) et celui qui restera pour la postérité une référence Hrant Dink. Autre élément à noter, ce jeune parti fût fondé un 24 Avril et fût le premier parti politique en Turquie à reconnaître le génocide arménien.
Aujourd'hui, Perinçek est à la tête d'une nébuleuse qu'il est nécessaire de connaître :
Le Parti des Travailleurs (IP) : la défense de l'Armée turque car la préservation du Kémalisme, de la laïcité et de l'intégrité territoriale turque est la cause la plus sacrée, la propagande acharnée contre Chypre, la Grèce et l'Arménie qui sont des menaces contre la Turquie, les Six principes d’Atatürk synthèse entre les principes de la Révolution française, Nationalisme, République et Laïcité et ceux de la Révolution d’octobre, Populisme et Étatisme, la Turquie asiatique et l'opposition à l’Union européenne qui signifie pour la Turquie la fin de la laïcité et la division du peuple en sectes, en races, en confréries, en communautés sont le fond de commerce de la structure. Le Parti possède une chaîne de télévision Ulusal Kanal (Canal National), un hebdomadaire Aydinlik (Clarté), deux mensuels Teori (Théorie) et Bilim ve Ütopya (Science et Utopie).
Les Editions Source (Kaynak Yayınları), sous la coupe de son fils Mehmet Perinçek, universitaire, qui a fait sa spécialité la diffusion de collections niant le génocide arménien. Le mode opératoire est le suivant : la traduction de textes soviétiques des archives du Kremlin « prouvant l'inexistence du soi-disant génocide ». Il est aidé dans sa tâche par l'ancien député azéri Elövset Agalarov, directeur de la Maison d'Edition d’État de l'Azerbaïdjan. Parmi les best-sellers des Editions, le set de plusieurs ouvrages intitulé « Les mensonges du génocide arménien vu par les sources arméniennes » et « Défense et Mémoire de Talaat Pacha ».
Le Comité Talaat Pacha et l'Association pour la Pensée d'Atatürk, deux associations à caractère de masse, présentes en Turquie et en Europe dans l'immigration et organisatrices notamment en France des manifestions contre le projet de loi de pénalisation de la négation du génocide arménien. « Nous n'avons pas commis de génocide, nous avons défendu la Patrie » était leur mot d'ordre central lors de ces manifestations.
Cette nébuleuse dirigée par Perinçek, insignifiante en termes électoraux est dotée de fonds de fonctionnement impressionnants qui nous permettent de croire qu'elle bénéficie des financements d'une partie de l'appareil d’État turc ainsi que de l'aide du pouvoir azéri.
Le signe donné par la CEDH
En rendant son jugement, la CEDH donne explicitement un encouragement à la diffusion des idées négationnistes turques les plus outrancières à travers la nébuleuse Perinçek. Elle a également accepté d'être sous influence des autorités turques actuelles en lui permettant d' « éclairer les débats » ou comme l'a déclaré le Ministre des Affaires Étrangères turc Ahmet Davutoğlu : « La Turquie est devenue une intervenante dans l’ affaire, qui concerne de près notre pays dans tous les domaines et nous avons soumis nos observations à la CEDH dans ce contexte ».
Au nom de la liberté d'expression, elle a donné un blanc-seing aux partisans du Hitler turc, Talaat Pacha.
Mais bien plus grave encore, elle a asséné un coup de couteau dans le dos à tous les démocrates en Turquie qui tentent depuis des années, courageusement, de lever le voile du négationnisme d’État. Car si elle l'ignore encore, la liberté d'expression sur le génocide arménien en Turquie reste dans la plupart des cas synonyme de procès et de prison.
Enfin, la décision de la CEDH donne également un signe fort aux parlements des différents pays européens à ne pas approuver de lois de pénalisation de la négation du génocide arménien. Car quand bien même une telle loi existerait, elle trouverait la CEDH sur son chemin pour la contrer.
On le voit clairement, la nécessaire lutte contre le négationnisme pratiqué par la Turquie à quelques mois du Centenaire du Génocide de 1915, ne peut se limiter au bon vouloir des institutions étatiques et judiciaires qui travaillent par principe pour la Raison d’État. La Raison du plus fort l'emportant toujours.
Ce combat doit être militant et populaire, impliquer de larges secteurs des opinions publiques dans le monde mais surtout en Turquie, sonner le réveil des descendants des victimes du génocide pour qu'en 2015 nous soyons des millions à dire « plus jamais çà ».
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