EDITORIAL
Karabagh : la nouvelle bataille des idées
par Ara Toranian
Le questionnaire sur la primaire à droite publié dans le dernier numéro de Nouvelles d’Arménie l’atteste : la bataille des idées contre l’entrée de la Turquie en Europe est en passe d’être gagnée. Ce sentiment se voit par ailleurs confirmé par la tonalité générale du débat public sur ce sujet, quand bien même le gouvernement français actuel, minoritaire dans l’opinion si l’on en croit les sondages, semble toujours continuer à prôner l’inverse. La primaire à droite n’a en tout cas laissé planer aucune ambiguïté sur cette thématique. Tous ses protagonistes, même Alain Juppé et Jean-François Copé pourtant membres de l’institut du Bosphore, se sont officiellement déclarés pour l’arrêt des négociations. Une position partagée également par le Front national et la gauche de la gauche. Il n’y a donc guère plus aujourd’hui en France que la direction du PS et du gouvernement pour prétendre le contraire, avec de moins en moins d’assurance cependant. Il faut dire que la dérive fascislamiste du régime Erdogan, ne leur facilite pas la tâche. Et nous ne doutons pas qu’ils finiront bien par intégrer un jour ce que les Arméniens s’évertuent à expliquer à tous depuis des années : un État génocidaire et structurellement négationniste, n’a, du simple point de vue des valeurs, aucune vocation à entrer en Europe.
Pendant longtemps, nombre de politiques français sont restés sourds à cet argument, estimant qu’il ne les concernait en rien, voire même qu’il les dérangeait eu égard aux intérêts supposés du marché. Mal leur en a pris. L’impunité de la Turquie pour ses crimes, l’absence d’un Nuremberg pour le génocide arménien, a non seulement ouvert la voie à la Shoah, comme le pense Serge Klarsfeld, mais a aussi érigé le massacre en mode de règlement « normal » des conflits dans cette région du monde, et au-delà...Une tradition installée par le Califat ottoman et dont l’effet boomerang, favorisé par le laxisme et la cupidité de l’occident à l’époque, lui revient aujourd’hui en pleine figure avec l’État Islamique. Car le Djihadisme des temps modernes ne se contente pas de reproduire les modalités du génocide des Arméniens sur les populations non sunnites qui subissent son joug, mais il a en outre des prétentions à l’export...En témoignent les tueries qui ont ensanglanté les rues de la France en 2015 et 2016.
Si les signaux d’alarme de l’expérience arménienne commencent enfin à être entendus et assimilés en ce qui concerne la Turquie, ils se heurtent cependant encore à beaucoup d’ignorance pour la question du Haut-Karabagh. Pourtant, contrairement à ce qui est généralement perçu, le droit à l’existence de ce territoire chrétien ( ce n’est pas un gros mot) n’affecte pas seulement le pronostic vital des Arméniens. Il pourrait bien aussi impacter l’avenir des Européens. Et si ces derniers n’en ont toujours pas conscience, la présence massive des djihadistes afghans et tchétchènes au sein des forces de Bakou durant la guerre devrait au moins être de nature à les alerter. La République du Haut-Karabagh constitue en effet un véritable verrou stratégique et civilisationnel face à l’Azerbaïdjan, fer de lance actuel du panturquisme, qui proclame former avec la Turquie deux États pour un même peuple. Et si d’aventure ce cadenas venait à sauter, le risque n’est pas nul que l’Arménie soit à son tour emportée. Plus rien ne s’opposerait dès lors à la réalisation du vieux rêve panturc et panislamiste qui avait présidé au génocide de 1915 : la continuité territoriale entre la Turquie, l’Azerbaïdjan et l’ensemble du monde turco-islamiste. Dans cette perspective, la vielle Europe déclinante, qui n’ose même plus assumer ses racines cultuelles, se retrouverait de facto dans un face à face aussi directe que redoutable avec ce nouvel espace réunifié homogénéisé et redynamisé tant sur le plan ethnique que religieux. Outre qu’il ne resterait alors dans la région plus rien de ce droit à la différence que revendiquent pour eux les islamistes en Europe (tout en le déniant aux chrétiens dans les lieux où ils sont devenus majoritaires) on discerne bien les risques de télescopage inhérents à une telle reconfiguration géopolitique.
Sommes-nous là en plein délire paranoïaque, sous l’empire idéologique du choc des civilisations décrit par Samuel Huntington ? En tout cas, ces questions imprègnent de plus en plus le débat politique dans nos démocraties bourgeoises qui ne juraient que par le marché et qui se voient aujourd’hui rattrapées par des problématiques immatérielles, comme celle de l’identité, jadis brocardée.
Après avoir contribué à éclairer les lanternes de nos concitoyens sur les dangers du fascislamisme turc, le moment est donc venu de parler sérieusement de l’enjeu que représente le Haut-Karabakh, non seulement pour l’existence même de l’Arménie, dernière représentation d’un christianisme d’Orient encore debout, mais aussi, par voie de conséquence, pour la sécurité future de nos sociétés laïques et pluralistes.
dimanche 18 décembre 2016,
Ara ©armenews.com
Enfin une opinion claire et lucide sur les enjeux de la situation dans cette région, mais qui touche tout le monde occidental aussi.
RépondreSupprimerSur qui pouvons-nous compter ? Les Américains et les Européens à leur botte (jusqu'à quand) financent et arment Al Qaida en Syrie. Il font plus de dégâts qu'autre chose. La Turquie, membre de l'Otan, s'allie - dans une alliance toute intéressée pour se débarrasser des Kurdes - avec la Russie. Poutine joue un jeu dangereux en armant à la fois l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Les Nations Unies gesticulent mais sont complètement impuissantes et incompétentes pour gérer les conflits et prévenir les massacres de masse.
Je ne suis pas très optimiste pour la suite ! Peut-être aurons-nous de bonnes surprises avec l'arrivée de nouveaux dirigeants en Europe et aux Etats-Unis ?
Comme toi, mon espoir renaît avec l'arrivée de nouveaux dirigeants ... Sait-on jamais.
RépondreSupprimerMerci pour ton intérêt Monsieur ou Madame X (lol)