Histoire d’un paradoxe
« Ce qu’on oublie de dire en évoquant les déboires des traducteurs de l’arménien vers le français avec un tel éditeur qui prétend défendre la culture arménienne alors qu’il ne fait que l’exploiter, c’est que ces traducteurs ne souhaitant plus renouveler une aussi humiliante expérience décident de ne plus rien traduire. En ce sens, les pratiques de cet éditeur desservent la culture arménienne. Or, aujourd’hui, on le constate, les traducteurs littéraires de l’arménien vers le français en France sont devenus rares sinon inexistants. Et la littérature arménienne contemporaine reste confinée à l’Arménie faute d’ouverture sur le monde par le truchement de traducteurs compétents. Merci aux Éditions Parenthèses et à son directeur, fossoyeur émérite de notre culture.
J’ajoute, pour compléter le tableau, que j’ai travaillé avec trois éditeurs dits « arméniens » ( sur quatre ou cinq, la notion d’éditeur chez les Arméniens ne correspondant pas exactement à ce qui se fait ailleurs). Avec ces trois éditeurs, les déboires n’ont pas manqué, selon des modalités différentes, sachant que tous se montrent des défenseurs de la culture arménienne alors qu’ils ne défendent que leur business. Je ne jette pas la pierre sur tous uniformément. Car il leur faut défendre à la fois un bien immatériel (la culture arménienne) et un équilibre commercial dans un contexte où le lectorat arménien s’amenuise de plus en plus, n’ayant pas été porté par les maisons dites de la culture arménienne, souvent transformées en relais de la mémoire historique et rien d’autre. Or la culture, ce n’est pas que la mémoire. Mais l’importance accordée à la mémoire s’est faite au détriment de la culture. C’est d’autant plus « naturel » qu’il est plus facile de parler de la chose passée que d’inventer un avenir à la faveur de vrais débats sur les valeurs dites arméniennes, lesquelles, autre paradoxe, peuvent aussi faire souffrir les Arméniens qui en sont victimes. »
Voilà. Pas de quoi fouetter un chat, me direz-vous. Et pourtant, c’est l’agonie de la diaspora arménienne de France qui se profile ici.
La part de l’argent
D’ailleurs, il faudrait mesurer chez les éditeurs dits arméniens la part qui revient à l’argent, celle qui repose sur la mémoire et celle qui ressortit au débat culturel, à l’actualité de la culture vivante, la culture prolongeant la mémoire et souvent en la combattant, ne serait-ce qu’en rétablissant la vérité des faits contre une histoire honteusement légendée qui fourvoie forcément les hommes du présent. Dès lors on verrait que le parent pauvre de cette trilogie serait immanquablement la culture, tandis que l’argent et la mémoire s’y taillent la part la plus substantielle. Notons au passage, qu’un éditeur courageux qui oserait aller à l’encontre des idées établies ne pourrait pas tenir longtemps la route, les lecteurs arméniens n’aimant pas qu’on les brosse à contre-poil. (Dans ce sens, je dois saluer au passage la lucidité des Éditions Sigest qui ont osé publier un de mes livres iconoclastes qui ressortissent à la littérature dite gênante: Arménie, la Croix et la bannière, avec l’immense succès qu’on peut imaginer).
Concernant la part de l’argent, comme chacun ne le sait pas, nos éditeurs arméniens, de tous bords, ne prennent jamais la peine de prévoir la rémunération destinée à l’auteur ou au traducteur. Cette rémunération comprend un vaste éventail de possibles avantageux pour leurs comptes ; cela débute avec des promesses flatteuses équivalant au final à zéro euro et peut monter péniblement jusqu’à la somme symbolique de 100, les Éditions Parenthèses préférant payer ses esclaves en exemplaires tout chauds sortis du four à imprimerie comme on offirait des croissants à ses cochons. Ainsi, pour quatre années de labeur acharné sur l’Anthologie de la poésie arménienne, Stéphane Juranics aura bénéficié de 4 exemplaires reçus sans frais à son domicile. Soit un livre par année consacrée à la mise au net des traductions. D’autres auteurs et traducteurs d’origine arménienne ont fait l’amère expérience de cette rémunération humiliante devenue coutumière dans cette maison qui par ailleurs fonctionne grâce à de grasses subventions obtenues soit auprès du Centre National du Livre, soit de la Région, soit d’autres organismes. Bref que du bénef… Quand on songe, par exemple à la passion que met un traducteur arménien dans son travail pour aboutir à un livre qui soit à la hauteur de ses exigences, et à la douche froide que lui envoie l’éditeur par la poste sous la forme de ces quatre exemplaires, on se dit que le cynisme n’a d’égal que le mépris qui l’anime. Et comme le traducteur a sué sang et eau avec le devoir de servir selon sa vocation la cause culturelle de la nation arménienne, on peut affirmer que les pratiques d’un tel éditeur arménien équivalent à cracher sur tous les Arméniens. Certes, cela ne se voit pas, cela ne s’entend pas, cela n’est pas public, mais cela contribue à la dégradation de la diaspora arménienne, d’une manière ou d’une autre, de près ou de loin. Pour preuve, comme je le disais plus haut, aujourd’hui, les traducteurs qui ont eu le malheur de passer dans la machine à broyer des Éditions Parenthèses ne souhaitent plus se donner la peine de traduire des œuvres arméniennes. Et de fil en aiguille, pareil découragement finit par gagner les traducteurs en herbe, s’il en est, au point que leur rareté aujourd’hui conduit immanquablement à une forme de désertification culturelle au regard des chefs-d’œuvre de notre littérature qui mériteraient de sortir de nos frontières. De la sorte, on serait tenté de dire que les alliés conjoncturels du génocide, compte tenu des dommages collatéraux qu’il suppose, résident parmi nous les Arméniens car ils sont arméniens. Qu’on se le dise.
En 2010, les Éditions Parenthèses font paraître, sous la plume du traducteur Léon Ketchoyan, avec une préface de Krikor Beledian , un livre de Yervant Odian. La traduction exacte en français du titre original de ce livre aurait dû être Années maudites, pour restituer le titre arménien [Anidzial darinér]. Or, quelle ne fut pas la surprise du traducteur, recevant ses quatre fameux exemplaires pour tout salaire, de découvrir que l’éditeur avait pris sur lui de transformer le titre original en Journal de déportation. J’ai énuméré en son temps les réticences que m’inspirait une telle manipulation pour le moins illégitime et en tout cas saugrenue (voir ICI). De fait, il ne faut pas être très sorcier pour penser que l’éditeur a agi plus en boutiquier qu’en acteur culturel, Années maudites étant trop négativement connoté pour allécher le client, tandis que Journal de déportation permettait de ratisser large en intéressant d’autres communautés ayant subi les affres de l’exil forcé. Où l’on voit donc que la part de l’argent est venue, dans cet exemple, déborder sur la part du culturel au détriment du strict respect d’une œuvre et de son auteur. Où l’on voit aussi que cet éditeur sans scrupule n’a de respect pour rien, ni pour le traducteur, ni pour l’auteur, ni même pour le lecteur qui sera amené à penser que Yervant Odian aura écrit deux livres sur son expérience du bannissement : Années maudites et Journal de déportation. En somme, manque de respect pour la vérité et manque de respect pour le peuple arménien. Au passage, remarquons que les spécialistes de la littérature arménienne de cette période ne se sont guère insurgés contre pareille falsification de la part d’un éditeur qu’ils ne souhaitaient probablement pas froisser au point de mettre en doute son professionnalisme.
La part de la culture
A la réflexion, la culture fait peur, surtout à ceux qui en sont dépourvus. Le propre de la culture, étant de remettre en cause la culture, surtout parmi les esprits, assis dans leurs certitudes et atteints par la sclérose des coutumes ordinaires, qui ne respirent que l’air délétère d’un passé vicié dans son contenu. En ce sens, et comme je l’ai toujours dit et même martelé, les Arméniens de la diaspora, en misant sur la reconstitution et l’adoration d’une époque révolue et d’un lieu déserté dont ils ont été violemment arrachés ont plongé tête baissée dans le piège tendu aux survivants par le génocide à savoir une nostalgie teintée de passéisme revendicatif au détriment d’une recherche de refondation culturelle par les valeurs arméniennes, au risque de les passer au crible d’une analyse critique permanente. Mais non. Au contraire, les acteurs de la culture arménienne n’ont rien fait d’autre que de se complaire dans le ressassement, la commémoration et la mort respectivement par des livres rappelant le paradis perdu, par des défilés et autres anniversaires de leurs défaites, par l’érection de khatchar ici ou là.
Dans ce sens, les directeurs de nos maisons dites de la culture arménienne n’auront jamais été que les pantins du passé pour la bonne et simple raison qu’ils ont été formatés depuis leur enfance par les slogans d’une culture nationaliste, de l’ordre de celle qui s’extasie devant Geghard parce qu’elle ignore Petra et le travail des Nabatéens. De fait, l’état de la culture dans la diaspora arménienne serait du même ordre en France si par exemple le Front National avait la mainmise sur l’ensemble de la production cinématographique, depuis la réalisation des films jusqu’à la gestion des salles de projection. Ou pour prendre l’exemple de l’information radiophonique, si ce même parti gérait Radio-France. Or, ce que les Arméniens de France n’admettraient pas pour la France, ils l’autorisent chez eux. On me dira, que mieux vaut le pire que rien du tout. Et moi je dis mieux vaut le rien que le pire. Car le pire conduit à la catastrophe alors que le rien pousse à l’inventivité.
Les sauveurs improvisés
Il faut dire que l’après-génocide a fait naître nombre de « vocations » chez les Arméniens ordinaires prenant prétexte qu’il était urgent de sortir du naufrage pour en réalité se faire valoir comme sauveurs de la nation. Certains qui exerçaient des métiers de première nécessité se sont même improvisés écrivains en relatant dans des écrits hybrides des mémoires de famille mâtinées de réflexions historiques de très haute tenue. Les Arméniens se permettent tout, les Arméniens osent tout pourvu qu’ils participent, fût-ce partiellement, à la réparation des dommages causés par le génocide. C’est ainsi qu’on a vu des profanes (femmes au foyer en mal de reconversion, commerçants gestionnaires, prêtres sans formation pédagogique) se lancer dans l’administration d’une école avec une passion d’autant plus pathétique qu’elle serait même parvenue à produire des réussites aussi admirables qu’elles étaient sans lendemain. Qu’importe, me direz-vous. L’essentiel n’est-il pas de semer ? Mais semer quoi ? Là est toute la question. Dans l’urgence, ces bénévoles du SAMU national sont loin d’être arrêtés par les limites de leur incompétence étant donné qu’ils ne font rien d’autre que d’occuper une place vacante. C’est que l’Arménie, depuis le génocide, a horreur du vide. Il faut dire que dans le domaine de l’éducation, les vrais professionnels d’origine arménienne ne se sont guère attardés à servir une communauté sinistrée qui n’aurait pas eu de quoi les rémunérer à la hauteur de leurs diplômes. Ils se sont empressés de travailler dans des institutions françaises établies, raisonnées et capables de répondre au niveau d’exigence que supposait leur profil professionnel. De la sorte, les écoles dites arméniennes ont été la proie d’amateurs de bonne volonté mais que ne pouvait pas soutenir un esprit nourri de culture pédagogique et universelle. En effet, quand la culture n’alimente pas le savoir-faire, le fruit n’arrive pas à maturité. En l’occurrence, s’obstiner à privilégier exclusivement un arménien (l’arménien occidental) voué à une dégradation inéluctable en repoussant l’arménien vivant (l’arménien oriental), c’est justement miser sur la mémoire et la revanche aux dépens de ce qui existe ici et maintenant à savoir l’Arménie vivante. C’est dire que la diaspora ne s’est toujours pas réveillée du traumatisme génocidaire tant elle s’obstine depuis un siècle à vouloir réveiller ses morts. Pour ce qui est de la langue, elle oublie qu’une langue ça se vit, qu’elle permet la circulation des mots et des idées, qu’elle s’enrichit sans cesse par frottement et confrontation, et surtout qu’elle doit être ancrée sur une terre donnée. C’est alors qu’elle « prend ». Quand cette terre fait défaut, que la langue devient affaire de volonté « idéologique», qu’elle n’a pas de lieu où être mise en circulation, que lui manque l’opportunité de s’enrichir par un usage quotidien, alors cette langue se perd. Les élèves du collège de Sèvres en savent quelque chose qui sitôt entrés dans la vie active se sont empressés d’oublier « leur» langue. Car les vartabed du collège, malgré leur bonne volonté, roulaient sur la routine du salut par la langue alors que leur idéal national ne reposait sur aucun pragmatisme à long terme. Ils avaient le culte de la nation, soucieux de combler le vide produit par le mal génocidaire, ils n’avaient pas la culture qui aurait permis aux jeunes Arméniens que nous étions de recouvrer notre humanité. Aujourd’hui ceux qui s’obstinent à enseigner l’arménien occidental ne savent pas dire à leurs élèves pourquoi ils doivent apprendre une langue qu’ils ne pratiqueront jamais. Pour exemple, ces élèves n’ont qu’une idée une fois leur pensum accompli, c’est de rejeter cette chose inutile pour leur vie professionnelle. On aurait espéré que certains deviendraient des traducteurs vers le français, mais personne ne leur a fait valoir que la traduction était un moyen de donner vie à la culture arménienne. C’est que justement leurs pédagogues n’ont jamais eu d’autre souci que celui de sauver le passé alors qu’il leur fallait sauver l’avenir. Cet avenir, je l’aurais vu ainsi. Des adolescents qui savent précisément que la langue qu’ils apprennent se parlent en Arménie. Des adolescents qui parcourent à pied le pays, qui rencontrent la chair vive du peuple arménien, communiquent, partagent, festoient avec lui. Dès lors, la langue serait devenue un pont. Dès lors, elle aurait trouvé un ancrage dans une terre et un peuple, inscrite dans une culture, produisant de l’émerveillement et établissant des liens entre Arméniens d’Arménie et Arméniens de la diaspora. Quelque chose de l’avenir par la langue prendrait forme. Hélas, le Ari doun officiel du ministère de la diaspora n’est qu’une connexion artificielle, exaltée et temporaire entre l’Arménie et des adolescents qui passent ici leurs vacances comme ils les passeraient ailleurs. Pourquoi ? Parce que le ministère de la diaspora en Arménie est tenu par des technocrates que nourrit seule une culture du tape-à-l’œil, sinon de l’urgence nationale sans lien avec toute culture universelle. Programmer des adolescents pour en faire de bons Arméniens, c’est négliger d’en faire des hommes. Or la démocratie en Arménie a surtout besoin d’hommes, non de robots fascistes.
Le défaut d’humanisme
Mon lecteur commence à entrevoir des choses, mais cette notion de culture universelle, il ne la capte pas trop. Forcément. La culture universelle a du mal à pénétrer dans un esprit pétri de culture nationale. Et les Arméniens se sont bouchés les trous et autres émonctoires de peur que le ronron commémorationniste et nationaliste ne s’échappe de leur esprit au point qu’ils se trouveraient soudainement perdus dans une obscurité sans repère. La culture universelle fait peur à la culture nationale, car elle oblige à la relativisation. Elle obligerait les Arméniens, pour revenir à notre exemple plus haut, à mettre Petra au-dessus de Gerhard, probablement à réduire Barouïr Sevag à un faiseur de mots, savant et professoral, plutôt qu’à un poète inspiré, comme on le croit quand on n’ose pas le mettre en situation de confrontation avec les grands noms de la littérature universelle, si tant est que ce Tarzan des mots puisse au-delà de ses cris pathétiques « parler » à d’autres autres hommes qu’à des Arméniens.
Pour en revenir aux éditeurs, qu’ils soient d’Arménie ou de France (puisque nous sommes de France), force est de reconnaître qu’ils sont soit dans l’argent soit dans le commémoratif mais pas dans l’humanisme universel, de celui qui nourrit le livre et lui donne une vocation de vérité et de contestation. Les Arméniens qui se définissent par la haine du Turc avec l’aveugle tendance à les mettre tous dans le même sac de bourreaux devraient plutôt réviser leur jugement à l’emporte-pièce et reconnaître qu’il n’y a pas chez eux l’équivalent d’un Ragib Zarakolu, loin de là. Ragib Zarakolu publie à contre-courant des grandes haines fascistes et des puissantes falsifications de l’histoire qui parcourent le pays, au risque d’aller en prison, comme cela lui est déjà arrivé. On m’objectera que cette conduite est d’autant plus normale que les Arméniens n’ont rien à contester étant donné qu’ils sont dans le Droit alors que les Turcs sont dans le déni. Certes, mais ni durant l’époque soviétique qui a vu fleurir en Russie et ailleurs les dissidents, ni durant les mandats de Kotcharian et de Sarkissian qui se sont illustrés par des fraudes massives, on a vu naître en Arménie ou en France un éditeur arménien de la dimension d’un Ragib Zarakolu. Je veux dire que le climat délétère s’y prêtait, et s’y prête encore, d’autant que dans le domaine des droits de l’homme et de la transparence de la vie politique des figures comme celles de la regrettée Amalia Kostanian et de Hranouch Kharatian suffiraient à montrer qu’il y avait et qu’il y a toujours en Arménie matière à défendre l’homme contre l’effondrement de la raison démocratique. Est-ce à dire que les Arméniens qui n’ont que les mots ou expression « mon frère » ou « tsavet danem » (« je prends ton mal ») à la bouche sont de piètres représentants de l’humanisme universel ? Faut-il croire que les Turcs tant décriés sont meilleurs en la matière, surtout parmi les intellectuels ? D’ailleurs, les pseudo écrivains, tant d’Arménie que de la diaspora, qui ne pensent qu’à leur pomme plutôt qu’à se mêler de ce qui les regarde quant au détournement de la démocratie au profit de quelques-uns, qui affichent sans honte un désengagement d’esthète au regard des injustices qui humilient les plus oubliés des Arméniens, loin de faire le poids auprès de ces femmes admirables, constituent une caste de beaux parleurs et de trouillards patentés, incapables de mettre une once de culture compassionnelle dans leurs livres ou dans leur vie pour faire sortir de l’ombre ceux qui subissent le fléau d’une corruption généralisée. Dans ce domaine non plus, les Arméniens n’ont pas l’équivalent d’une Asli Erdogan, d’un Oran Pamuk ou autres. Voilà bien pourquoi la société civile turque donne l’impression d’être un tissu vivant en constante ébullition alors que les Arméniens croupissent dans la résignation, la complaisance et pour tout dire la complicité. Si les soubresauts d’indignation qui traversent de temps en temps le pays ne sont soutenus par aucun éditeur, c’est bien que l’édition arménienne ignore l’indignation et qu’elle s’est donnée pour toute philosophie une sorte d’éthique de la prudence, de l’attentisme et pour tout dire de la passivité. Les poèmes enflammés qui émaillent ici ou là les anthologies ont beau éclater comme des cris d’étouffement, ils ne sont qu’un assemblage de mots enfermés dans un livre, autant dire de cadavres dans un cercueil, tant que leurs auteurs n’assimileront leurs écrits à un programme de combat pour plus de liberté et de vérité.
Pour finir sur le gestionnaire de cette maison du livre arménien, on n’en pourrait dire moins sinon qu’il ne vaudra jamais d’atteindre le niveau d’engagement d’un Turc comme Ragib Zarakolu. Là où un humaniste turc risque sa vie chaque jour en milieu hostile, notre boutiquier arménien veille sur ses plans comptables. Voilà pourquoi, j’ai une bonne raison de dormir sur mes deux oreilles, heureux et fier d’être un Arménien qui attend avec impatience d’être réveillé le jour où cette maison close sera récompensée soit par les aveugles de notre diaspora, soit par les bavards de notre Arménie, pour services rendues à la nation. Chez les Arméniens tout arrive, même le pire. En l’occurrence, ce pire serait l’extinction inéluctable de la diaspora arménienne, comme acte final du génocide.
Denis Donikian
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