L’État turc a le dirigeant qu’il mérite
Le dictateur réélu incarne les rêves d’une domination ottomane retrouvée tout en permettant d’assumer avec aplomb les horreurs du passé. Analyse.
Par Ara Toranian
Ainsi l’électorat turc a-t-il reconduit le 25 juin le «dictateur» à la tête de l’État. Mieux : il lui a accordé des pouvoirs renforcés qui lui permettront d’avoir les coudées encore plus franches pour discriminer, emprisonner, massacrer. Vu de l’extérieur cette sorte de masochisme revêt une dimension surréaliste. Mais pas quand on est Français d’origine arménienne. C’est-à-dire descendant des réfugiés du génocide de 1915. Car, on sait dès lors que la réélection du dictateur s’inscrit dans le droit fil d’un État qui n’a de cesse de se retourner depuis 100 ans contre telle ou telle autre catégorie de la population, avec la bénédiction d’une «majorité» galvanisée par un tropisme nationaliste et religieux aussi brutal que tyrannique. Ainsi s’est-il toujours trouvé dans ce pays une «majorité» pour approuver le génocide des Arméniens, l’anéantissement des chrétiens (grecs, assyro-chaldéens), les massacres répétés contre les Kurdes, les Alévis, la haine des Juifs, la répression contre les syndicats, les journalistes, les fonctionnaires, les avocats. Bref, contre toute forme d’altérité à l’endroit d’une société historiquement façonnée par une succession de crimes et de spoliations, et qui ne déteste rien tant que la «minorité». Cette majorité ultra-conservatrice, qui a vécu du recel de ces abominations, s’est reconstituée le 25 juin pour donner un blanc seing au despote qui lui promet de renouer avec les bonnes vieilles traditions ancestrales. En ne reniant rien du passé, mais en faisant au contraire miroiter la possibilité d’un retour à la folie des grandeurs, Erdogan savait qu’il pouvait jouer sur un inconscient collectif d’autant plus enclin à la mégalomanie, qu’il en a toujours été récompensé. Ses boucs émissaires sont cette fois-ci plus particulièrement Kurdes. Mais la haine antiarménienne sur laquelle s’est construite la Turquie moderne n’est jamais loin. Idem pour l’antisémitisme, le panislamisme et le panturquisme. Qui se soucie de l’extermination des Arméniens quand on a déjà oublié Afrine ? Qui s’inquiète des déclarations d’Erdogan sur Israël ? De ses visées sur un islamisme mondial en quête de leader ? De ses prétentions sur l’Union européenne ? De sa propension à faire du chantage une seconde nature de l’État dans les relations internationales. Chantage à l’ouverture des «vannes de l’immigration» sur Bruxelles. Chantage permanent à changer de camp (soutien alternatif à Daech ou à Poutine), vis-à-vis de l’OTAN. Chantage politico-commercial sur les pays qui s’aventurent à reconnaître le génocide des Arméniens, dont la négation est l’ultime fierté du «patriotisme» turc. Il n’est pas jusqu’à la «diplomatie des otages» dont ne fasse usage le sultan. En atteste un rapport publié le mois dernier par l’ex-parlementaire turc Aykan Erdemirn, qui travaille désormais aux États-Unis au sein du centre de réflexion Foundation for Defense of Democracies. Selon lui, 55 ressortissants étrangers ou binationaux qui ont été arrêtés et emprisonnés depuis le coup d’État avorté de juillet 2016 ont été utilisés comme monnaie d’échange ou comme gages, souvent pour obtenir des concessions en faveur d’Ankara. Le résultat de ce scrutin le montre: la posture turque de puissance, à laquelle rien n’a résisté depuis un siècle reste éminemment flatteuse pour au moins 50% de la population qui voit dans son leader réélu celui qui incarne les rêves d’une domination ottomane retrouvée tout en lui permettant d’assumer avec aplomb toutes les horreurs du passé. De quoi largement combler les aspirations conservatrices de la partie la plus archaïque de cette société rurale et patriarcale jusqu’à l’outrance qui forme le socle électoral du président turc. Une masse qui impose jusqu’à aujourd’hui à la quasi totalité de la classe politique turque (hormis le HDP) l’essentiel de ses valeurs. À quand, pour reprendre une expression chère à Bernard-Henri Lévy, la dénazification du pays ? À cette heure, l’État turc a le dirigeant qu’il mérite.
http://armenews.com/article.php3?id_article=160935
25 juin 2018
Le dictateur réélu incarne les rêves d’une domination ottomane retrouvée tout en permettant d’assumer avec aplomb les horreurs du passé. Analyse.
Par Ara Toranian
Ainsi l’électorat turc a-t-il reconduit le 25 juin le «dictateur» à la tête de l’État. Mieux : il lui a accordé des pouvoirs renforcés qui lui permettront d’avoir les coudées encore plus franches pour discriminer, emprisonner, massacrer. Vu de l’extérieur cette sorte de masochisme revêt une dimension surréaliste. Mais pas quand on est Français d’origine arménienne. C’est-à-dire descendant des réfugiés du génocide de 1915. Car, on sait dès lors que la réélection du dictateur s’inscrit dans le droit fil d’un État qui n’a de cesse de se retourner depuis 100 ans contre telle ou telle autre catégorie de la population, avec la bénédiction d’une «majorité» galvanisée par un tropisme nationaliste et religieux aussi brutal que tyrannique. Ainsi s’est-il toujours trouvé dans ce pays une «majorité» pour approuver le génocide des Arméniens, l’anéantissement des chrétiens (grecs, assyro-chaldéens), les massacres répétés contre les Kurdes, les Alévis, la haine des Juifs, la répression contre les syndicats, les journalistes, les fonctionnaires, les avocats. Bref, contre toute forme d’altérité à l’endroit d’une société historiquement façonnée par une succession de crimes et de spoliations, et qui ne déteste rien tant que la «minorité». Cette majorité ultra-conservatrice, qui a vécu du recel de ces abominations, s’est reconstituée le 25 juin pour donner un blanc seing au despote qui lui promet de renouer avec les bonnes vieilles traditions ancestrales. En ne reniant rien du passé, mais en faisant au contraire miroiter la possibilité d’un retour à la folie des grandeurs, Erdogan savait qu’il pouvait jouer sur un inconscient collectif d’autant plus enclin à la mégalomanie, qu’il en a toujours été récompensé. Ses boucs émissaires sont cette fois-ci plus particulièrement Kurdes. Mais la haine antiarménienne sur laquelle s’est construite la Turquie moderne n’est jamais loin. Idem pour l’antisémitisme, le panislamisme et le panturquisme. Qui se soucie de l’extermination des Arméniens quand on a déjà oublié Afrine ? Qui s’inquiète des déclarations d’Erdogan sur Israël ? De ses visées sur un islamisme mondial en quête de leader ? De ses prétentions sur l’Union européenne ? De sa propension à faire du chantage une seconde nature de l’État dans les relations internationales. Chantage à l’ouverture des «vannes de l’immigration» sur Bruxelles. Chantage permanent à changer de camp (soutien alternatif à Daech ou à Poutine), vis-à-vis de l’OTAN. Chantage politico-commercial sur les pays qui s’aventurent à reconnaître le génocide des Arméniens, dont la négation est l’ultime fierté du «patriotisme» turc. Il n’est pas jusqu’à la «diplomatie des otages» dont ne fasse usage le sultan. En atteste un rapport publié le mois dernier par l’ex-parlementaire turc Aykan Erdemirn, qui travaille désormais aux États-Unis au sein du centre de réflexion Foundation for Defense of Democracies. Selon lui, 55 ressortissants étrangers ou binationaux qui ont été arrêtés et emprisonnés depuis le coup d’État avorté de juillet 2016 ont été utilisés comme monnaie d’échange ou comme gages, souvent pour obtenir des concessions en faveur d’Ankara. Le résultat de ce scrutin le montre: la posture turque de puissance, à laquelle rien n’a résisté depuis un siècle reste éminemment flatteuse pour au moins 50% de la population qui voit dans son leader réélu celui qui incarne les rêves d’une domination ottomane retrouvée tout en lui permettant d’assumer avec aplomb toutes les horreurs du passé. De quoi largement combler les aspirations conservatrices de la partie la plus archaïque de cette société rurale et patriarcale jusqu’à l’outrance qui forme le socle électoral du président turc. Une masse qui impose jusqu’à aujourd’hui à la quasi totalité de la classe politique turque (hormis le HDP) l’essentiel de ses valeurs. À quand, pour reprendre une expression chère à Bernard-Henri Lévy, la dénazification du pays ? À cette heure, l’État turc a le dirigeant qu’il mérite.
http://armenews.com/article.php3?id_article=160935
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