lundi 24 septembre 2018

MA DECOUVERTE DU JOUR : Alain Prochiantz - neurobiologiste

Alain Prochiantz, un drôle de zèbre !

Alain Prochiantz lors du forum « L’année vue par les sciences » organisé par France Culture le 13 février 2016
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Prochiantz#/media/File:Alain_Prochiantz_Forum_France_Culture_Sciences_2016.JPG)

Libération
PORTRAIT
  
Evolution      permanente

Par Pascale Nivelle — 8 décembre 2004        

 **Dans son melting-pot familial, il y a deux grands-parents juifs, un autre arménien et un autre catholique. «Des individus», dit Prochiantz, hostile à l'introspection.** 
Alain Prochiantz étire des doigts nerveux, dont l'un porte une chevalière de femme. Cette main n'existait pas il y a dix ans, toutes ses cellules se sont renouvelées, et pourtant c'était déjà la sienne, ornée du même bijou. La matière meurt, la forme subsiste. Cette «morphogénèse silencieuse», n'est-ce pas de l'art ? Ce neurobiologiste est aussi écrivain de théâtre. Un mutant, roi de laboratoire qui se meurt sous les néons et voudrait devenir papillon.

Car la science, la sienne, fondamentale et élitiste, est au cachot médiatique. Alain Prochiantz ne travaille ni sur le Sras, ni sur le clonage. Qui a lu ses livres chez Odile Jacob ? Et ses nombreuses publications dans Nature ? Qui se souvient de l'étudiant brillant, auteur d'une thèse sur le virus de la mosaïque jaune du navet ? Quelques sapiens de son espèce, Parisiens des environs du Panthéon. L'horloge administrative du chercheur est programmée pour quarante-cinq ans. Il lui en reste neuf avant sa retraite de patron du département développement et évolution du système nerveux, Ecole normale supérieure. «Peau de chagrin», dit cet admirateur de Balzac. Restera l'habit vert d'immortel de l'Académie des sciences qu'il vient d'endosser avec délice, et de savantes trouvailles sur la protéine pénétratine. Des succès universitaires, microcosmiques, mais rien qui marquera l'ère cathodique.

Il y a quelques années Alain Prochiantz s'est lancé dans l'écriture de théâtre, «pour sortir du quotidien dévorant», dans le sillage de son aîné Jean-Didier Vincent, Faust médiatique qui avait changé en hormone le bon vieux philtre d'amour et fait de l'or avec sa science. C'est Jean-François Peyret, metteur en scène, qui leur avait tendu la main, jetant la passerelle entre planches et paillasses. Une pièce, puis deux, puis trois, voilà Prochiantz dans la troupe. Quelle jouissance d'entendre ses mots énoncés par Mathieu Amalric et Irène Jacob. Ils hésitent, le texte est difficile. Le public flotte. Mais c'est la preuve que le jargon peut se faire poésie. «La science invente avec des mots et des rêveries en plus des expériences», avance Alain Prochiantz. Darwin, l'homme qui a vu l'homme descendre du singe avait «cette part inventive». Parti en explorateur sur le navire de la Royale, le Beagle, ce notable de la société victorienne «savait qu'il allait commettre un meurtre» avec l'Origine des espèces. C'est le livre de chevet de Prochiantz. Le théâtre est son Beagle. Son crime à lui ? Ouvrir la porte du temple et butiner le théâtre. Pour nourrir la science.

Silhouette mince, vêtue de noir jusqu'au chapeau de cuir, il a un crâne déplumé, aux rondeurs de nouveau-né. Dessous cogite un cerveau farci de formules, de littérature et des gènes de sa lignée. Deux parents, un frère et une grand-mère médecins, il a échappé au déterminisme familial avec l'Ecole normale supérieure. Parcours d'excellence, Collège de France, passage à New York et retour comme patron à Normale sup. Nécessité plus que hasard : «Je ne voulais pas être ingénieur, pas entrer dans le carcan industriel.» En sachant qu'il ne deviendrait jamais riche. Directeur dernier échelon, il gagne aujourd'hui 4 700 euros et ne s'en plaint pas. Il voulait chercher, produire de la connaissance, «sinon j'aurais été banquier».

Mais le monde a changé : «La recherche fondamentale est devenue comme la haute couture. Nous sommes une espèce menacée. En France, on fait de la veille technologique.» Pour les politiques, «la science est un corps étranger. A gauche, ils ont une vision soviétique de la recherche, c'est le progrès scientifique et technique pour le peuple. A droite, c'est pire. Il n'y a même pas de dimension humaniste». L'Europe a ajouté une touche kafkaïenne : «On ne nous demande plus des programmes de recherche, mais des business plan qui prennent deux mois de boulot.» Il continue de choisir la gauche, par défaut, sans s'engager. Ce n'est pas Bové, «cet allumé», qui le réconciliera avec la politique.

Timide et orgueilleux derrière ses lunettes de myope, Prochiantz renâcle à se livrer. Il se dit «élitiste» et a séparé le monde en deux parties : «Ceux qui ont le niveau et ceux qui ne l'ont pas.» Il admet l'inégalité mais cherche à s'améliorer, qu'il coure au Luxembourg ou s'arrache les yeux sur son ordinateur. Poussé à une époque où «les scientifiques avaient une autre idée d'eux-mêmes», il vit son quotidien, difficulté à recruter dans son labo et paperasse envahissante, comme une épreuve. «Aujourd'hui, s'investir dans un projet artistique ou existentiel, c'est difficile. Les gens misent sur le privé.» Sa vie amoureuse a été expérimentale. Hommes, femmes, grandes passions et satisfactions hormonales. Il ne s'est pas reproduit. «J'aurai pu, sans y songer. Mais l'idée de faire une famille n'est pas érotique.» Il lui arrive de regretter l'absence d'un petit d'homme au crâne rond. Mais il chasse la nostalgie. «Je n'aime pas toutes ces idées de filiation, de racines. Cela a un côté pétainiste.» Dans son melting-pot familial, il y a deux grands-parents juifs, un autre arménien et un autre catholique. «Des individus», dit Prochiantz, hostile à l'introspection. Seuls ses cigares sont freudiens. Et comme Freud, il dit qu'une vie vaut d'avoir aimé et travaillé. «Athée absolu», il croit aux amitiés entre êtres singuliers. «Il n'y a rien avant et rien après. Seulement des individus, qui évoluent toute leur vie, souvent au hasard des rencontres. J'ai de grandes angoisses existentielles. Mais il faut savoir affronter ça sans béquilles. Le retour du religieux me déprime.» S'il a choisi la science, somme de vérités évolutives, c'est qu'il accepte de douter. «Le Discours de la vérité me fait peur. Il a toujours quelque chose en commun avec une vision religieuse et sans humour du monde.» Les variations Darwin, sa pièce imaginée la nuit, «les yeux collés au plafond», parle d'évolution, «contre le ressassement du passé». Les avancées de la génétique ne l'effraient pas, un scientifique n'a pas les fantasmes du commun des mortels. «Avec l'accès aux gènes, on a les moyens de fabriquer des êtres qui ont des formes qui n'existent pas. C'est magique.» Les clones n'existent pas, tant la vie façonne différemment les êtres : «Les grandes manipulations ne se font pas au niveau génétique mais social.»

Vieillir ? «La bonne nouvelle, c'est que tant qu'on est vivant, on est immortel», dit Prochiantz. L'âge, pour lui, est «intéressant, au-delà de la question du collagène. C'est inscrire l'expérience d'une vie en soi. Le prix à payer pour l'individuation». Il se voit «de plus en plus tolérant, distant». Ses pairs décrivent cependant d'immenses et irrationnelles colères. «Au-delà de l'intelligence étonnante du grand chercheur, c'est un homme d'une ambition folle, à l'ego surdimensionné», témoigne Jean-Didier Vincent, qui fut son ami. Jean-François Peyret qui a remplacé l'un par l'autre dans son théâtre, a choisi le lecteur de Sade et de Céline, autant que le chercheur. Pour lui, c'est «un vertueux, un janséniste. Le travail dévore tout chez lui. Il aime se mettre en danger». Les mues sont toujours douloureuses. Mais dit Prochiantz, «on ne fait pas de choix, on accomplit son destin».

Alain Prochiantz en 6 dates
17 décembre 1948: Naissance à Paris.
1969: Ecole normale supérieure.
1976: Thèse, études de neurobiologie.
1990: Directeur du département biologie à l'ENS.
1997: Rencontre avec Jean-François Peyret.

Alain Prochiantz est un chercheur en neurobiologie et professeur au Collège de France dont il devient l'administrateur en 2015.

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