lundi 27 avril 2020

Vous avez dit « Génocide » ? - Denis Donikian


27 avril 2020
Vous avez dit « Génocide » ?  - Denis Donikian


Les temps sont durs et beaucoup d’hommes qui meurent aujourd’hui ignoraient que leur tour était arrivé. L’éléphant Covid 19 aura fait une entrée fracassante dans le magasin de porcelaines de nos sociétés trop lourdement engourdies par le jouir à tout prix et la joie de vivre.

Vivre ? Vivre en démocratie n’exonère pas de mourir « comme tout le monde », comme tous ceux qui meurent dans le monde. Diable, l’aurait-on oublié ?

La surprise est d’autant plus grande que le jouir irrépressible et le rire obligatoire semblaient avoir tué l’idée simple et évidente selon laquelle tout vivant est voué à la mort.

Certes, mais pas prématurément pour cause de virus, me direz-vous.
Tout le monde croyait aussi que la France faisait partie des pays riches. Et voilà que tout à coup, les Français sont invités à faire la guerre à mains nues contre un virus qui ne connaît pas de frontières, ignore les races, les classes sociales et balaie tout sur son passage.

Balaie toutes et tous, soldats de la santé, hommes politiques, chanteurs, jeunes, âgés, Blancs, Noirs, Jaunes, etc.
Tout cela fait masse. Tout cela fait nombre. Brutalement comme jamais.
Chaque vie est précieuse. Chaque individu compte. Les Français se battent pour les Français.
Pour autant, pourquoi diable oublier que la peste, au XIVe siècle, aura tué la moitié de la population en Europe ?  Que la grippe de Hong Kong aura fait un million de morts au milieu du siècle dernier. La litanie serait longue si nous parcourions l’histoire de nos pandémies. Sans parler de ceux qui meurent de la faim en nombre et qui n’intéressent pas les médias de la globalisation. Les 206 000 morts dans le monde et les 23  000 en France sont des morts qui nous attristent d’autant plus qu’elles n’auraient pas dû avoir lieu. Comme si ce n’était pas normal que cette heure de leur mort soit venue avant l’heure.

Or, il faut bien le dire, avec ce virus, nous sommes tous confrontés à la plus grande incertitude, citoyens comme hommes politiques, médecins comme qui vous voudrez. Les questions se multiplient à la vitesse d’un coronavirus. Chacun est contaminé par l’angoisse que suscitent les interrogations. L’appel du gouffre est le symétrique d’un sauve-qui-peut systématique. Et comme l’homme a besoin de se rassurer pour ne pas sombrer dans la folie, il lance des interprétations, des mots, des informations, tout le fatras d’émotions, de pensées vagues, de vœux pieux, d’indignations, qui habitait sa tête et qui en ressort comme un steak craché par la machine à hacher en une viande molle, cuisinable à merci.

Internet est cette machine à hacher le tout-venant informatif pour recracher des purées de conneries.
La dernière en date, qui intéresse les Arméniens, est de dire que nous assistons à un véritable génocide parce qu’on trierait les malades entre ceux qu’il faut laisser mourir et ceux qui méritent d’être sauvés. En d’autres termes, les hôpitaux tuent et l’incurie des politiques serait derrière tout cela. Mais pas seulement l’incurie, l’incompétence et même certains intérêts que poussent en sourdine nos chers lobbys.

Holà ! Holà !
Je dis holà car le mot génocide est inapproprié dans le cas d’une pandémie comme celle que nous vivons. Je sais bien que les Indiens d’Amérique ont été décimés entre autres à cause des couvertures contaminées qu’on leur offrait.
Mais dans tout génocide, il faut trouver et prouver l’intention. Une intention d’extermination de masse dans une perspective de nettoyage ethnique, social ou politique.
Le nombre ne fait pas un génocide.

Pour faire court, les Arméniens devraient prendre garde à ne pas utiliser ce terme dans le cas qui nous intéresse. Car ce serait la porte ouverte à d’autres exemples auxquels le mot génocide ne s’applique pas. Et donc ce mésusage donnerait à coup sûr des armes aux négationnistes qui s’empresseraient de galvauder le mot et de proclamer haut et fort qu’appliqué à tout et à n’importe quoi il ne peut convenir au cas arménien.

Or le mot génocide est un terme juridique très précis. Et le dernier livre de Taner Akçam «  Ordre de tuer » a été écrit dans le but de tirer au clair l’intention génocidaire de Jeunes-Turcs.
Je rappelle que la première fiche que j’ai rédigée pour ma Petite encyclopédie du génocide arménien ( à paraître cette année) était consacrée au mot génocide pour la raison que les jeunes Arméniens avaient tendance à en parler sans savoir précisément de quoi il retournait.

Je finirai donc par cette fiche. A chacun d’en faire l’usage qu’il voudra.

GENOCIDE
1- Inventée en 1944 par Rafaël Lemkin, juriste juif polonais réfugié aux États-Unis, pour désigner ce que Winston Churchill, à propos des crimes nazis appela « le crime sans nom », l’expression greco-latine génocide, forgée sans tenir compte des règles étymologiques, réunit la racine grecque genos (espèce, race, génération) et la racine latine –cide (de caedere, tuer, comme dans homicide). Il n’est pas anodin de savoir que Lemkin avait fait à Berlin des travaux de recherche sur le procès Tehlirian.

2 – Équivalent pour un groupe humain de l’homicide pour un individu, le génocide procède du refus d’accorder à l’autre le droit à l’existence. Si le massacre de populations est aussi ancien que l’humanité, ce n’est qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale qui a vu l’extermination des Juifs, des Tsiganes, et autres « races » considérées comme inférieures, que les hommes ont éprouvé la nécessité de qualifier ce crime pour ne plus abandonner aux folies d’un État des êtres humains qui se trouveraient en son pouvoir.

3 –Si l’extermination équivaut à une destruction complète, le judéocide au massacre systématique des Juifs, on parle à tort d’holocauste (sacrifice religieux par le feu) par référence à la Bible ou par opposition à ce terme, de shoah, mot hébreu qui veut dire catastrophe. Les nazis donnèrent le nom de « solution finale » (du problème juif) à leur plan d’extermination tandis qu’aujourd’hui on évoque l’épuration ethnique à propos notamment du Rwanda. Alors que les crimes de guerre impliquent un affrontement entre les États, les « crimes contre l’humanité » comme le génocide concernent des conflits internes aux États, deux formes extrêmes frappées d’imprescriptibilité, en 1968, par la Convention des Nations unies.

4 – Le 9 décembre 1948, la Convention pour la prévention du crime de génocide, adoptée par l’Assemblée Générale des Nations unies, définit le génocide comme l’un quelconque des actes commis dans l’intention de détruire, tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme le meurtre de membres du groupe, l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale du groupe, la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique ou totale, les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.

5 – Certains cas historiques sont encore mal perçus comme génocides : la famine en Ukraine, de 1932 à 1933, programmée par Staline pour combattre les aspirations nationales (entre 2 et 10 millions de morts), la purification ethnique au Cambodge (d’avril 1975 à janvier 1979) dirigée par les Khmers Rouges. En revanche, si la qualification de génocide a été reconnue pour désigner les crimes de 1915 perpétrés contre les Arméniens, dans une résolution de la sous-commission des Droits de l’Homme de l’ONU en août 1985, dans celle du Parlement européen du 18 juin 1987, et par certains historiens turcs, d’autres de ces historiens, répercutant la thèse officielle, mais aussi celle de tous les régimes successifs de la Turquie (admettant la déportation et les massacres des Arméniens, non leur planification) la récusent violemment, au profit d’appellations comme « mass murder », «actes génocidaires », « massacres génocidaires ».

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