mercredi 6 avril 2022

Boutcha? - par Henri ROURE

 

Boutcha?

L’affaire de Boutcha m’interpelle. Je regarde la stratégie russe du point de vue de Sirius n’ayant pas les éléments que mes camarades commentateurs des plateaux de télévision peuvent avoir. Aussi je me garderais bien d’assertions et de prise de partie. Je ne ferai que des suppositions…

Si j’avais eu à préparer cette « opération militaire spéciale » dans un état-major russe j’aurais d’abord fait une analyse de facteurs, une sorte de point de situation. Évidemment je simplifie grandement…Positionnons nous vers la fin du mois de janvier.



Nous, armée russe, disposons de matériel ultra performant en petite quantité et de matériel terrestre de plusieurs générations en quantité suffisante mais difficile à renouveler. Nous disposons également d’une flotte en Mer Noire que nous pouvons considérer comme une mer russe depuis que la Marine soviétique a été absorbée à plus de 80% par notre Marine et que la Crimée est revenue à la mère patrie. Nous possédons depuis toujours, une flotte en mer Baltique avec le port de Kaliningrad. Par rapport à notre adversaire nous faisons preuve d’une nette supériorité aérienne. Toutefois sur les 720 000 hommes de notre armée nous ne pouvons engager au sol qu’autour de 180 000 hommes dont de nombreux appelés, le reste de nos effectifs étant réparti sur notre territoire national et à l’étranger. Nous disposons, certes, d’une réserve de 200 000 hommes, mais le contexte la rend difficilement utilisable. L’Ukraine ayant une superficie de 603 000 km2 et une population de 44 millions d’habitants il est impensable que nous nous engagions sur l’ensemble de ce pays.


En face l’armée de terre ukrainienne compte 145 000 hommes professionnels, mais elle peut mobiliser autour de 700 000 réservistes et des forces paramilitaires extrêmement motivées et endoctrinées dont une brigade « Azov » véritablement nazie. Elle se battra sur son sol avec du matériel que nous connaissons bien puisqu’il est majoritairement de conception identique au nôtre. Les forces aériennes, trop peu nombreuses, n’ont pas la capacité de résister longtemps face à nos aéronefs et à nos missiles.


Le premier enseignement est donc que nous ne pouvons pas occuper le terrain car nous ne disposons pas des moyens et des effectifs suffisants, d’autant moins que les conditions météo (sol incertain et marécages) ne sont pas favorables aux grands déploiement de nos blindés et que l’adversaire peut se lancer dans des opérations de guérilla. Notre action devra donc viser des objectifs précis destinés à inquiéter notre adversaire au point de l’amener, sous la contrainte, à la négociation pour l’application des accords de Minsk 2 à laquelle il se refuse .


Le positionnement initial de l’adversaire, lui aussi, va déterminer notre manoeuvre. Les troupes ukrainiennes sont massivement concentrées, à l’est, le long de la limite entre le Donbas et l’Ukraine. Elles ont participé depuis 2014 à des opérations contre la population faisant plusieurs milliers de morts. Nous devrons disloquer cette masse en évitant un choc frontal trop coûteux. Le but étant de nous permettre de contrôler ultérieurement cette région. Nous serons donc amenés à faire des actions de déception et surtout, d’une part, à détruire tous les appuis logistiques, aérodromes et bases de soutien adverses et, d’autre part, à menacer d’étranglement les villes principales de l’est de l’Ukraine dont Kiev, la capitale, sans chercher à les occuper car le coût en effectifs serait disproportionné avec l’intérêt que leur occupation représenterait. Ces actions devraient amener l’adversaire, pour y faire face, à dégarnir ses positions face au Donbas. Dès ce mouvement bien établi nous pourrons récupérer une partie de nos forces engagées dans cette manoeuvre et les ré-articuler dans le Donbas et sur la côte pour créer une continuité tactique affermissant ainsi l’occupation de la zone que nous revendiquons. Dans cette manoeuvre l’ouest ukrainien ne nous intéresse évidemment pas sauf pour la destruction de tous les sites contribuant au soutien des forces ukrainiennes.


Situation temporelle:


Notre attaque doit être initiée rapidement car les troupes ukrainiennes sont sur le point d’envahir le Donbas. Par ailleurs la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, et vraisemblablement à l’UE, constitue une menace majeure qui permettrait aux Américains via l’OTAN d’encager totalement notre pays. Il s’agit de la raison de fond de notre opération.


Le contexte international, dans le cas d’une attaque de notre part, sera partagé à la condition que nous maitrisions notre action diplomatique et que nous restions respectueux des conventions de Genève. Nous pouvons compter sur la neutralité ou l’appui de la Chine, de pays arabes, de l’Iran, de pays émergents et de pays africains et asiatiques. En réalité seul l’Occident s’opposera à notre opération.


Les États-Unis et l’Union Européenne, dans le cadre de l’OTAN ne pourront pas intervenir militairement car l’Ukraine n’appartient pas à l’OTAN. De plus il sera bon de rappeler que la Russie est une puissance nucléaire et qu’elle dispose d’un siège permanent au Conseil de sécurité. Les seules actions que « l’Occident » pourra conduire seront essentiellement médiatiques et économiques ainsi qu’apporter une aide réduite en armement qui ne changera rien au rapport de forces. Les sanctions économiques ne pourront durer car notre capacité de résilience est supérieure à celle des pays européens dépourvus des produits énergétiques que nous leur vendons. Il faut s’attendre cependant à ce que ces mesures de rétorsion soient particulièrement sévères et évidemment, s’agissant des médias, mensongères. Aussi nous faudra t-il rester vigilants sur le comportement de nos armées. Ils est certain que toute opération de cette ampleur provoque ce qu’il est convenu de nommer des dégâts collatéraux; nous devrons veiller à ce qu’ils demeurent réduits. L’utilisation de nos armes de précision et les renseignements satellitaires et électromagnétiques tout comme au travers de nos réseaux dans la population locale, qui est, rappelons-le, une population soeur de notre peuple, devraient permettre de limiter ces impacts que les Occidentaux manipuleront malgré tout. Alors que nous combattrons des criminels, il nous faudra veiller au comportement de nos hommes.


Pour en arriver à l’affaire de Boutcha elle me semble donc en contradiction avec l’action des Russes dans la manoeuvre d’ensemble. Ils se retirent de positions qui ne leur sont plus utiles et non pas sous la pression des Ukrainiens; l’éclatement du front sur le Donbas ayant été obtenu. Ils ont donc le temps de prendre toutes les précautions souhaitables avant de se retirer. Elles sont, sans doute, fortement argumentées dans l’ordre d’opération général. Ils savent que la moindre entorse faite au droit de la guerre fera l’objet d’une exploitation médiatique de la part des « Occidentaux ». Ils ne tiennent pas à faire basculer une part de l’opinion européenne qui leur est favorable ni s’aliéner quelques pays neutres dans le conflit et envisagent probablement déjà un rétablissement relations pacifiées. Je note également que le nombre de victimes n’aurait pu laisser indifférents les niveaux de commandement supérieurs. En conséquence, au cas où un tel massacre aurait été commis, des mesures immédiates pour effacer les traces auraient été prises. Laisser un tel spectacle me semble en contradiction avec la prudence dont les Russes ont fait preuve jusqu’à ce jour dans le traitement des cibles et dans le choix particulièrement minutieux de leurs objectifs malgré ce qu’affirme la propagande américano-otanienne. Là nous aurions eu à faire à un acte gratuit, c’est-à-dire, sans aucune utilité, ni tactique ni psychologique, particulièrement odieux, bien éloigné du pragmatisme voulu dans l’opération. Cela posé je ne suis pas russe. Je ne pense pas russe. Mais les Russes sont des Européens d’aujourd’hui, ce qui me permet de leur prêter, malgré tout, une proximité de pensée avec la mienne. Je demeure dubitatif…


Henri ROURE


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