dimanche 24 avril 2022

Guerre en Ukraine. Guerres en nous - Denis DONIKIAN

https://denisdonikian.wordpress.com/2022/04/24/guerre-en-ukraine-guerre-en-nous/ 

Dessin de D. Donikian ( copyright)

Le monde est ainsi fait qu’il fait mal à qui cherche à l’entendre. Depuis l’invasion de l’Ukraine, nous avons théâtre ouvert sur les valses verbales des politiques destinées à mieux jobarder les gogos que nous sommes tous. Or, dans cet exercice de style, nos comédiens fauteurs de drames ou fouteurs de merde se trouvent dans les deux camps : Européens à gueule de bois d’une part, dictateurs à gueule de monstre de l’autre. La seule différence entre les deux groupes serait peut-être que d’un côté les criminels de guerre jouissent effrontément de leurs crimes, de l’autre les criminels de paix piétinent la morale universelle en coulisses. Mais ni les uns, ni les autres ne se soucient de leurs contradictions dès lors qu’ils mettent leurs intérêts plus haut que toute considération éthique. D’où l’on voit que la défense de la patrie, de laquelle tous sont tributaires, implique forcément de n’être ni blanc ni noir, mais gris. Mettre du lait dans son café ou du café dans son lait n’a jamais été interdit à personne par personne. Sauf qu’en politique, habiller une vérité pour l’effacer d’un mensonge, travestir une réalité (la guerre) d’une expression inadéquate (opération militaire spéciale) fait qu’une telle propension à tromper conduit nécessairement à des morts d’hommes.

Parmi toutes les panoplies qui s’assimilent aux tenues de camouflage, il en est qui vous donneraient le tournis. Voilà par exemple un Poutine qui déploie des soldats de la paix dans le Haut-Karabagh tant pour éviter un génocide que pour préserver les Arméniens des poussées invasionistes d’Aliev, et qui dans le même temps envahit délibérément l’Ukraine dans le but avoué de l’effacer comme nation. Certes, ce président oxymorien, pacificateur monstrueux s’il en est, ne trompe personne, dès lors que tous les moyens lui sont bons pour mettre la main sur les républiques de l’ex-URSS. Même si c’est avec un esprit de libération qu’il assèche l’Ukraine. Mais tout de même, force de stabilité ici et force de barbarie là-bas, ça vous laisse pantois plus d’un observateur qui cherche la raison en tout et la raison de tout et qui pourrait ne plus savoir sur quel pied danser. Pour nous, au contraire, nous dirons sans barguigner de Poutine qu’il reste un dictateur plus tueur que pacificateur. Osons-le mot : un « pacificatueur ».

Dans le même ordre de ruses s’inscrit le madré Erdogan, l’homme dont la langue fait la danse du ventre au gré de ses seuls intérêts plutôt qu’à se plier aux exigences du droit, qui ne s’empêche sur rien qui ne fasse du bien à son pays. Combien de fois n’a-t-il serré la paluche de son alter ego en despotisme Poutine, sans pour autant manger dans sa main. La preuve en est qu’il vend ses drones à Zelensky, bizness oblige, et qu’il prend même sa défense autant qu’il prend ses distances avec les Occidentaux en refusant de sanctionner les oligarques russes, sous prétexte que la Turquie resterait ainsi un pont entre un Occident punitif et une Russie agressive. Bizness oblige là encore et qui s’appelle faire d’une pierre deux coups. On voit donc un président envahisseur courir au secours d’un président envahi par un autre président envahisseur. Ce qui semblerait vouloir dire qu’Erdogan défende l’intangibilité des frontières. Que nenni ! En clair, défendre Zelensky en donnant la leçon à Poutine placerait Erdogan dans le camp des Européens s’il ne s’agissait en réalité d’un président dont le pays a fait avec Chypre ce que la Russie fait avec l’Ukraine. D’ailleurs, la présidente du Parlement chypriote ne s’est pas gênée pour faire remarquer à Zelensky en direct qu’il aurait été mieux avisé de rappeler que Chypre avait perdu plus du tiers de son territoire, sous-entendu à cause d’une Turquie avec laquelle il s’allie aujourd’hui. Zelensky n’a pas apprécié l’estocade et a interrompu son intervention. C’était avouer que lui aussi n’aurait d’autre morale que celle des intérêts stratégiques de son pays et qu’il était prêt à faire la putain pour sauver l’Ukraine.

De plus, dès lors que le monde civilisé crie au génocide en voyant à l’œuvre les intentions d’effacement que subit la nation ukrainienne, le négationniste Erdogan saute sur l’occasion pour courir se placer en défenseur des victimes dans le but à peine voilé de bousculer dans nos mémoires les horreurs de 1915. On peut même imaginer Zelensky et Erdogan à une même table de conférence, le premier affirmant que l’invasion russe s’accompagnait bien d’un génocide, le second renchérissant, index pointé au ciel : «  Un authentique génocide ». Où l’on voit que pour un négationniste semer le doute dans les esprits reste une des meilleures tactiques pour s’innocenter.

Admirable Ukraine, malgré tout  ! Et qui se bat comme une lionne. Voir l’oligarque et ex-président Petro Porochenko en tenue de soldat servir sous la houlette de Zelensky, ça vous requinque une nation acculée à ses ruines. Mais l’image fait mal à l’Arménien que je suis. Elle fait mal à l’idée que l’Arménie n’a pas la conscience de ses priorités et qu’elle use et abuse du droit au désaccord démocratique dans une période de son histoire où seule l’unité dans la concertation devrait avoir force de loi. C’est qu’on voit mal nos oligarques en tenue de combat et mal nos ex-présidents avaler leur rancœur au nom de l’urgence et de la force qu’exige le péril azéri. Mais non ! Cette opposition qui fomente les pires menaces contre l’État arménien le fait pour satisfaire une soif de vengeance dont le seul but est de mettre en difficulté l’unique démocrate dont l’Arménie indépendante s’est doté depuis bientôt quarante ans. Non contents d’avoir transmis à Pachinian un état des lieux gangrené par la corruption, voici les Kotcharian, Sarkissian et autres salauds chercher à l’affaiblir pour qu’il soit le seul responsable des échecs futurs, sachant que toutes les solutions proposées pour sortir du guêpier où se trouve l’Arménie seront taxées de trahisons.

Or, il y aura forcément des « trahisons » dès que lors que toute solution à un problème aussi complexe que celui de l’Artsakh exigera nécessairement des concessions. Sinon, l’Arménie devra retourner à la guerre pour tenter de dominer les volontés ennemies par la force. Mais comme les Arméniens vindicatifs et querelleurs ne sont pas à une imbécillité près, les voici à convoiter le maximum de gains en croyant provoquer dans leurs rangs le minimum de grabuge. Comme si Aliev était assez décati pour avoir perdu ses prurits militaristes et ses érections guerrières. Mais ces Arméniens-là qui veulent tout sont en réalité des Arméniens qui ne peuvent rien. Ils oublient qu’ils seront bien obligés de déléguer à d’autres le soin d’accomplir le devoir patriotique d’aller au casse-pipe. En ce sens, les jusqu’au-boutistes de la diaspora n’ont rien à envier aux grincheux d’Arménie. Car enfin, quand on veut gagner une guerre, il faut des soldats. Or, nos soldats en ont soupé de ces revanchards et patriotards qui pérorent en distanciel faute de se battre en présentiel. N’est pas Pachinian qui veut. Car lui doit gérer les jeux pervers des fous qui composent aujourd’hui l’histoire tragi-comique de l’Arménie : Poutine, Aliev, Kotcharian, Sarkissian et tout le clan et bataclan des tordus patriotes qui forment plusieurs divisions de belliqueux impuissants. Sans parler de cette jeunesse dont il a besoin pour remonter le pays. Ni des Européens qui le poussent aux transactions.

Or, ces Européens, parlons-en ! Qui, durant la guerre de 2020, aurait pu croire qu’ils auraient acheminé des armes comme ils le font pour les Ukrainiens. D’abord, les Arméniens n’ont pas résisté aussi longtemps que les Ukrainiens. Pire, de nombreux officiers militaires et officiers n’auraient pas rempli correctement leurs missions, sans parler des violations criminelles présumées commises par nos forces armées (lesquelles restent donc à vérifier). Ensuite, Poutine n’aurait jamais accepté qu’un quelconque pays d’Europe viole son pré carré. Enfin, Aliev a trop de gaz et trop de pétrole pour que les Occidentaux cherchent à le contrarier. Et de fait, cette guerre en Ukraine qui se lit comme un théâtre inépuisable de faux-culs où les démocrates lancent ouvertement des anathèmes démocratiques et par derrière lèchent en douce le derche des autocrates. Or, c’est bien ce qui est arrivé. Le vendredi 4 février 2022, une délégation européenne s’était rendue en Azerbaïdjan en vue de diversifier les sources d’approvisionnement en gaz et réduire toute dépendance à l’égard des Russes dans un contexte de guerre éventuelle contre l’Ukraine. C’est dire que les Européens savaient qu’il fallait ménager un dictateur comme Aliev au cas où ils seraient dans l’obligation morale de sanctionner l’autre, à savoir Poutine.

Si Poutine, Erdogan et Aliev se valent en matière de violation du droit international, la petite Arménie n’aura pas droit à l’indignation que peut susciter ce dernier   pour la bonne raison que les Européens ont besoin de se chauffer et de faire marcher leurs turbines. Qu’il y ait du sang arménien dans le gaz azéri et dans l’histoire de la Turquie ne suscite que des paroles indignées, mais des paroles de théâtre.

Dans le fond, la morale de l’histoire est que la morale est une putain qu’on pousse à se faire violer dans les lits les plus vils et que le pays arménien, tout démocratique qu’il soit, se résume au rôle du pantin dont les Européens tirent les ficelles.

Pauvres Arméniens, dindons de la farce ici et dindons de la force là !

Denis Donikian


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