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Jacques Aslanian, peintre phare d’une diaspora muette, exposé à Paris
Un étonnement toujours, un sourire ensuite, et l’on se rapproche pour mieux voir. Cette accroche advient souvent quand on découvre les œuvres de Jacques Aslanian. Car bien souvent, même si on ne sait pas dire quoi, quelque chose se passe.
Tentative d’explication
Le « Jacquot ! » (son surnom alors) était un homme discret mais bien connu d’Alfortville où il naît en 1929. Enfant il y fait les 400 coups autour du Pont à l’Anglais ou sur les voies ferrées, tandis que ses parents besogneux et les Arméniens lui montrent une diaspora à la peine. Plus tard les expéditions où le mènent son attrait pour les gens qui lui semblaient différents, lui font cultiver une attitude frisant la joyeuse inconscience, au grand étonnement de tous. Aujourd’hui encore il y a comme une légende urbaine autour de ce personnage attachant, atypique, d’une bonhommie à la marge et observateur attentif de son monde.
Nombreux sont en effet ceux qui en gardent le souvenir, une vision ou une anecdote curieuse. Cet héritier de l’exil avait en tous cas le don de représenter comme personne, la nostalgie endeuillée des siens, avec une pointe d’humour ou d’innocence bienvenue.
Une mise en lumière heureuse
Plus de dix ans après sa mort en 2003, un site internet lui est enfin dédié, d’autant plus appréciable qu’on y découvre un portrait vidéo de l’artiste, très révélateur, et certains articles qu’il a inspirés. Les rares interviews de ce personnage peu bavard sont en effet un régal.
Sans doute parce qu’il « cherche à exprimer ce qui [lui] semble à la fois rare et important : la douceur, l’intemporalité, la tendresse. » comme il le confiait en 1993 dans la Revue de la Céramique et du Verre. Tout autant peintre que sculpteur, Aslanian compensait par le côté physique de la terre, qu’il travaillait de tous ses muscles, le côté plus intellectuel qu’il attribue à la peinture. Ses sculptures se sont exposées récemment aux journées de la céramique à Paris (place St Sulpice), et ses toiles le seront en septembre prochain en galerie.
Plus de dix ans après sa mort en 2003, un site internet lui est enfin dédié, d’autant plus appréciable qu’on y découvre un portrait vidéo de l’artiste, très révélateur, et certains articles qu’il a inspirés. Les rares interviews de ce personnage peu bavard sont en effet un régal.
Sans doute parce qu’il « cherche à exprimer ce qui [lui] semble à la fois rare et important : la douceur, l’intemporalité, la tendresse. » comme il le confiait en 1993 dans la Revue de la Céramique et du Verre. Tout autant peintre que sculpteur, Aslanian compensait par le côté physique de la terre, qu’il travaillait de tous ses muscles, le côté plus intellectuel qu’il attribue à la peinture. Ses sculptures se sont exposées récemment aux journées de la céramique à Paris (place St Sulpice), et ses toiles le seront en septembre prochain en galerie.
En peinture comme en sculpture, sa simplicité touche du doigt comme un remède, une humanité en éternelle errance. Parmi ses sujets récurrents : les reflets familiers d’une diaspora durement murée dans son effort de survie, triste, étrangère et mal ajustée dans sa banlieue de France. Mais dans ses œuvres à la technique solide, où le matériau est tout autant travaillé que les traits, apparaît aussi une beauté aussi dense que la peine, née dans le doux regard d’Aslanian.
Lui qui pouvait passer pour un fou était en réalité l’observateur étonné de ce monde de fous. Peut-être tentait-il une consolation mutuelle, en lui tendant ses miroirs étranges. En ce centenaire du drame originel de la diaspora, l’exposition à venir est donc bienvenue pour contempler ce reflet, et s’apaiser.
Jilda Hacikoglu
Du 14 au 27 septembre 2015 à la Galerie ARTES / 11 rue Frédéric Sauton 75005 Paris
Article à paraître dans le magazine France-Arménie de septembre 2015
Article édité dans la revue FRANCE-ARMENIE
du 27 juin 2011
27 juin 2011
Quel lien entre de jeunes judokas aujourd’hui et un peintre d’hier méconnu ? A priori pas grand-chose, si ce n’est leur actualité quasi concomitante qui donne beaucoup à penser.
Sculpture (maternité) et toile (joueurs de tavlous) - Jacques Aslanian
Il y a vingt ans, le peintre-sculpteur Jacques Aslanian décidait avec son ami graveur Jules Bonome, d’illustrer 24 fables d’Ésope. Écrivain grec de l’Antiquité à qui l’on attribue la paternité du genre de la fable, Ésope est l’auteur d’une multitude d’histoires courtes autour d’animaux, conclues par des moralités sur le monde des hommes. Jean de la Fontaine s’est inspiré de ces histoires universelles pour ses célèbres fables en vers.
Le lion, le loup et le renard / Gravure Jules Bonome
Initialement l’idée d’Aslanian et de Bonome devait être prise en charge par l’Imprimerie nationale, mais le projet avait disparu aux oubliettes avec le rachat de l’immeuble parisien de cette institution nationale en 2003 par le groupe américain Carlyle (les bourdes de l’Imprimerie nationale).
Finalement le livre d’artiste, illustré en noir et blanc par les deux amis artistes et réalisé en linogravure à 120 exemplaires, voit enfin le jour aujourd’hui, mais à titre posthume pour Aslanian, décédé entre temps (1929-2003). Étrange histoire que celle de ce peintre et sculpteur autodidacte, faussement basique et créateur d’un style unique en son genre.
Ses œuvres avaient très vite fait mouche auprès des professionnels dans les années 60, peu après ses premières expositions. Le célèbre marchand d’art Hervé Odermatt avait même pris sa production sous contrat un temps, jusqu’à sa rupture par l’artiste (découvrant que ses toiles n’étaient jamais exposées, il s’était fâché avec Odermatt).
Aslanian ne s’entendra d’ailleurs jamais beaucoup avec ce milieu, décidément pas le sien, et préférera rester dans son environnement modeste, pour se concentrer sur ses œuvres, puissantes et emplies d’une atmosphère dense… Il n’aura connu qu’une reconnaissance confidentielle de son vivant.
Son don résidait dans sa capacité à capter une ambiance, un vécu, puis à les restituer d’une manière telle qu’elle rendait la vérité profonde de ses personnages.
En un minimum d’éléments, souvent focalisés sur un ou une poignée de personnages, on ressent comme une évidence ce qui se joue sur la toile. Le plus souvent c’est un monde arménien caractérisé par une vie laborieuse, en errance et déconnectée du présent, dans l’exil post-génocide. C’est l’alliage de ses traits et son travail inédit sur les matières qui rendent tout cela.
Dans un autre genre ses sculptures, généralement autour des maternités ou des animaux, semblent directement nées d’une terre nourricière bienveillante, et ont un effet apaisant.
Si Aslanian avait décidé d’illustrer les œuvres d’Ésope, c’est que ses fables toutes simples mais pleines de sens, tenaient lieu, pour lui qui avait quitté l’école à 12 ans, d’éternel maître d’école pour comprendre le monde. Un monde dans lequel il vivait, au milieu des petites gens d’Alfortville où il était né, mais dont il se mettait aussi à la marge, pour l’observer et le raconter, lui qui ne savait pas l’expliquer en mots. « Je sais pas expliquer, alors je fais ça. »
(présentation du 9 juin 2011)
Mais souvent au détour des quelques mots qu’il a consenti à lâcher devant une caméra, pointe l’originalité de son regard : l’école il la quitte très tôt par rejet du « monde de fou des adultes », « Parler ? Je ne sais vraiment pas ce que je peux dire… y a tellement de bavards. ».
De sa vie mystérieuse, à la fois recluse et présente au monde, une chose est sûre, c’est que l’exil de ses parents rescapés du génocide aura scellé le destin de cet artiste pas bavard.
Ses parents ? « Ils venaient des montagnes d’Anatolie, ils avaient les pieds sur terre et la tête au ciel. Quand ils sont arrivés en France ils ont perdu la tête… ».
Après la mort de sa mère dans les années soixante, Aslanian vivra d’ailleurs avec son père, qui n’a jamais appris le français, ne savait rien faire tout seul dans sa maison, et qui sera toute sa vie inadapté à la vie ‘moderne’ en France.
La compagne qui a partagé son quotidien durant les quinze dernières années de sa vie, s’attache aujourd’hui à mettre en avant l’œuvre de cet artiste. L’objectif peut sembler quelque peu dérisoire quand le principal intéressé n’est plus. Et pourtant tout le monde s’arrête devant les œuvres d’Aslanian.
Tout simplement parce qu’au fond elles renvoient à ce que l’humanité a d’universel : par exemple ce qu’il advient quand elle a perdu ses repères, et ne sait comment composer avec son présent.
Dans les dernières années de sa vie les toiles d’Aslanian sont plus lumineuses, plus porteuses d’espoir. Les vieilles grands-mères arméniennes qu’il savait rendre dans leur moindre ride significative, font place à des jeunes filles debout qui font face de toute leur vigueur tranquille, au peintre, au monde, et à nous qui les observons.
Bref c’est un exemple frappant parmi d’autres, de ce qu’il advient ici, de ces Arméniens exilés, ou descendants de ces exilés.
Et là-bas, au pays, qu’en est-il alors ?
Ce qu’on devient ici, ce qu’on est là-bas...
Là-bas on se bat, et on connaît les défaites ou les victoires qui vont avec.
Cette opposition entre ce vécu ici et celui de là-bas est frappante quand après Aslanian, on s’intéresse au séjour d’un groupe de jeunes judokas du Karabakh.
Venus en région parisienne à l’invitation du club sportif municipal de Clamart section judo, ils se sont entraînés avec les Français et ont participé au tournoi de l’Athlétique club de Boulogne-Billancourt et à celui du Kabuto 2011 de Clamart, l’un des plus importants tournois de judo en région parisienne.
également originaire du Karabakh
Photo Stepan Eolmezian / Comité de jumelage Clamart-Artachat
Quelques chiffres pour resituer leur visite : le Karabakh, cette République autoproclamée qui n’a jamais été reconnue sur la scène internationale, compte un peu plus de 140 000 habitants selon le bureau de la représentation du Karabakh aux Etats-Unis. C’est peu ou prou un tiers du nombre actuel de licenciés de judo/jujitsu de la Fédération Française de Judo (saison 2010-2011).
Pour rappel, la République du Karabakh est une région que ses habitants arméniens, soutenus par les forces armées de l’Arménie, ont arrachée de haute lutte à l’Azerbaïdjan après une guerre déclenchée par les exactions azerbaïdjanaises à l’encontre des populations civiles arméniennes.
Sans prétendre reprendre ici l’histoire de ce territoire et ses impacts complexes encore très importants actuellement, il faut surtout savoir qu’y vivre aujourd’hui est en soi un acte de résistance à l’annihilation à laquelle on a voulu condamner les Arméniens.
Faire venir des judokas de cette République dont l’avenir ne présente aucune garantie, et qui compte 250 licenciés à peine, est donc une entreprise audacieuse, généreuse mais aussi pleine de sens.
au milieu de ceux des autres pays au tournoi de Clamart
Agés de 11 à 21 ans, ces sportifs qui pour la plupart n’avaient même jamais vu la capitale de l’Arménie, sont venus grâce au comité de jumelage de la ville de Clamart (jumelée avec la ville arménienne d’Artachat), mais aussi et surtout grâce à des passionnés de judo qui n’attendaient que de les accueillir.
(où évolue Thierry Fabre, numéro 3 mondial)
Photo Stepan Eolmezian
C’est ainsi que les Français ont découvert une équipe, peut-être pas de très haute taille comparée à leur partenaires français du même âge, mais brillante de ténacité et d’efficacité sur les tatamis. « Ba vonts ! Un sportif qui ne vient pas pour gagner est déjà dans l’erreur » rappelle leur entraîneur, interrogé sur la teneur de ce séjour d’échange, de sport et de respect intense, code moral du judo oblige.
De l’avis général, Philippe Tedo en tête (Président du CSM Clamart Judo qui compte 545 licenciés à lui seul) : des judokas redoutables. Une équipe de choc qui attend d'ailleurs impatiemment d'accueillir désormais ses homologues français au Karabakh même.
Qu’en conclure ? A chacun de voir.
En tous les cas, continuer ici ou rester là-bas, aucun destin n’est paisible : partout la vie est un combat qu’on perd ou qu’on gagne parfois, mais où l’espoir d'une éclaircie semble souvent venir de l’échange avec l’autre.
Sans l'amitié de Jules Bonome, les fables qu'il a illustrées avec Jacques Aslanian n'auraient jamais vu le jour. Et en région parisienne, les judokas français et arméniens n’avaient pas forcément besoin de traducteurs pour se comprendre : sur le tatami les termes techniques du judo sont les même pour tous.
Philippe Tedo (Président du CSM Clamart judo) et Ivan Azizbekyan (entraîneur de l'équipe du Karabakh)
24 Fables d’Ésope, illustrées par Jacques Aslanian et Jules Bonome, a été présenté en avril et juin dernier. Ce livre d’artiste est disponible auprès de Jules Bonome (julesbonome@free.fr 150 €).
Les judokas du Karabakh étaient en région parisienne du 27 mai au 6 juin dernier.
Deux sujets à paraître dans le prochain numéro de France-Arménie (juillet 2011)
« Jacques Aslanian, entre les mots et l’art ».
« Judokas du Karabakh, des graines de champion à Paris ».
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Article de Nicole Crestou
(Revue de la céramique et du verre) janvier-février 2016
Article de Nicole Crestou
(Revue de la céramique et du verre) janvier-février 2016
Un espace aux Journées de la céramique de Paris puis une exposition dans une galerie ont permis de découvrir ou revoir les peintures, illustrations et céramiques de Jacques Aslanian, artiste français d’origine arménienne.
L’association des amis de Jacques Aslanian cherche à faire reconnaître son œuvre et démontrer son originale inscription dans l’art du xxe siècle, un objectif difficile sans le recours au marché et sans moyens. En 1966, Jacques Aslanian décide de consacrer sa vie à l’art après avoir découvert la vie de Van Gogh. Autodidacte, électron libre hors mouvement artistique, il a trouvé suffisamment de collectionneurs pour vivre de son art.
L’artiste a toujours étonné ses amis qui ne s’expliquent pas comment subitement un homme sans éducation artistique – il a quitté l’école primaire pour travailler – issu d’un milieu pauvre qui n’a ni accompagné, ni apprécié son œuvre, a trouvé l’énergie, la volonté tenace, les ressources culturelles pour apprendre d’abord, puis créer une œuvre très cohérente. Chargé de toute l’histoire familiale, de l’exil après le génocide, de toute la tristesse d’une communauté déracinée mais porteuse des traditions fortes, Jacques Aslanian appartient à une première génération, née en France mais regroupée dans une communauté à Alfortville au sein de laquelle il a exercé divers métiers dans la confection et la chaussure pendant presque trente ans. Il a pu se libérer de toutes les souffrances subies, grâce à l’art, la chanson et la musique apprises dès l’enfance, la fréquentation de poètes, d’écrivains et de cinéastes qui l’engagent pour des figurations, puis la peinture et la sculpture qui lui permettent de montrer, de conserver l’image de ses compatriotes, acteurs de l’Histoire.
Cette mémoire artistique de la diaspora arménienne inscrit une part d’ethnologie dans une esthétique qui trouve une parenté avec la peinture des icônes. Sans doute tout aussi thérapeutiques que militantes, les peintures et les céramiques représentent des portraits statiques ou des scènes de la vie quotidienne, le travail, le repos, les moments de réflexion ou de tristesse comme les enterrements. Sa manière de peindre évolue, la touche pointilliste légère se transforme en matière presque rugueuse unifiant sujet et fond par la dominante colorée d’une lumière irradiant la totalité du tableau, puis les aplats de couleurs monochromes supplantent peu à peu les touches épaisses alors que la lumière est concentrée sur les visages et les mains pour les rendre blafardes et de plus en plus les effacer. La vision toujours frontale, sans perspective, renforcée par les plans colorés est animée par le mouvement des silhouettes et la mise en scène du sujet, parfois de manière humoristique.
Son besoin de traduire ses personnages en volume s’est concrétisé dans la terre. Là aussi autodidacte, Jacques Aslanian a été facilement intégré dans le milieu des céramistes parisiens en rencontrant d’abord Jean et Alain Girel et, présenté par ce dernier, il exposera (voir la suite plus bas, après le "credo" de Jacques) et participera...
« J’ai commencé à peindre et puis j’ai sculpté la terre :
pour échapper à la lourdeur de la vie
c
24 I la revue de la céramique et du verre
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