mardi 24 mai 2016

Poètes Henri Pichette - Pascal Marguet

POÈTES 

 Henri Pichette ...

Est-ce parce que le verbe
Vous appelle à l'orée de l'aurore
Et met en lumière vos faiblesses,
Que l'on vous dit illuminés ?
Si votre devoir remis est encore hérésie,
qu'on vous reprenne
Tant est vrai que vous avez froid
Et vous comprenne. Il y avait une intention,
Pour les pauvres diables jetés dans l'hiver
de ce siècle
Et chaud
Pour les belles âmes qui s'expliquent
la damnation éternelle

Que Pégase vous soit ce cheval de labour
Pour qui chaque sillon est une règle d'or
Et que vient la rosée adoucir de ses perles.      »

1955  
    
Henri Pichette, Dents de lait dents de loup, Gallimard, 2005

*****
Pascal Marguet














Les Ditelis du rougegorge (Henri Pichette)

  Inspirés du chant discret du rougegorge, ces « ditelis », courts mais intenses poèmes, entre comptines et dictons, tressent une couronne de tendresse à cet oiseau de l'âme. Fruits d'une longue alchimie, ils sont l'aboutissement des recherches langagières du poète, mais aussi d'une quête spirituelle.
   

« De Jésus qui priait au jardin des Pardons, un petit oiseau s'approcha. Haut sur pattes fines comme aiguilles, la plume brunette un peu olive, l'œil rond comme un cassis, il s'en venait frisant le sol, sautillant et parfois s'arrêtant pour faire une révérence. Une brise lui avait dit que cet Homme-là était le cœur fait homme. Que voulait-il bien, ce petit passereau du monde ? Il désirait visiter le cœur du Fils. Alors souriant, Jésus lui ouvrit son cœur, et le petit oiseau entra dans la cage des côtes : il y fut pris d'amour, et battit des ailes au rythme des pulsations divines. En souvenir de cette visite, Jésus lui empreignit la lumière de son sang sur la poitrine. Désormais, l'oiseau était baptisé rougegorge.
  Chaque jour, un rougegorge témoigne discètement de cette sorte de légende sur la branche du temps.
  Qu'il en tire profit, celui qui a des oreilles pour
entendre.»

Henri Pichette, Les Ditelis du rougegorge, Gallimard, 2005 

  Ce petit livre, qu'Henri Pichette (1924-2000) a laissé avant de mourir sur sa table de travail comme un testament poétique, est issu d'un vaste projet qui occupa plus de vingt ans le poète. Il avait choisi d'entrer en silence pour « faire un grand livre avec un petit oiseau » : Le Livre populaire et savant du Rougegorge familier. Au terme d'une longue enquête bibliographique, littéraire, linguistique, éthologique ou ethnographique, lecteur assidu à la Bibliothèque nationale ou collecteur au fond des provinces de France, il accumula plusieurs mètres de dossiers passionnants sur le rougegorge. Si l'ambitieux ouvrage n'a pu voir le jour, un diamant est né, comme d'une longue alchimie poétique, dans le dépouillement et la simplicité : formes brèves que ces ditelis, à l'imitation du chant discret du rougegorge, qui tiennent souvent du dicton ou de la comptine, ciselés par un amoureux du lexique populaire. C'est aussi l'aboutissement d'une quête spirituelle qui s'exprime par la médiation de cet oiseau de l'âme, dont la gorge est tachée du sang du Christ. Comme dans la pièce de Schumann, en quelques notes rares et des silences, « le poète parle ».


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