jeudi 10 mai 2018

Qui est Nikol Pashinian ??? Annick Cojean "Le Monde"

Nikol Pachinian, le marcheur indocile d’Arménie (Le Monde)

Qui est Nikol Pashinian ???
Sa Biographie et son parcours politique :


" Article du journal Le Monde, par Annick Cojean "
8 mai 2018

En six semaines, un homme a réveillé, secoué, uni et fait rêver l’Arménie en un avenir meilleur. Il l’a fait se dresser contre un régime décrédibilisé et haï, a mis dans la rue des dizaines de milliers de personnes, poussé à la démission un premier ministre et mené une révolution pacifique, autoqualifiée « de velours », en vue de prendre le pouvoir ou plutôt, insiste-t-il, de « le redonner au peuple ».

Sac au dos, tee-shirt camouflage et allure de baroudeur, il a mis debout et même « en marche » le pays, puisque tel est le slogan de sa campagne (littéralement « un pas en avant ») en lui redonnant confiance en sa propre puissance et l’envie de dire enfin son mot. De député d’opposition marginal, Nikol Pachinian, 42 ans, est devenu un véritable phénomène politique et a réussi l’exploit de respecter la Constitution en se faisant élire, mardi 8 mai, par un Parlement très hostile, au poste de premier ministre.

Son parcours stupéfie les politologues qui peinent encore à analyser ce que le chercheur Gevorg Melikian appelle son « abracadabra ». « C’est arrivé si vite !, dit-il. Ces foules dans la rue alors qu’elles paraissaient, il y a peu encore, léthargiques ; cette soudaine confiance du peuple en lui-même ; et cette efficacité pour faire plier le pouvoir qui croyait pouvoir agir éternellement en toute impunité. C’est tout simplement incroyable ! »

« Incontestable fibre populaire »

Ils ont tous ce mot à la bouche. Car personne n’avait vu venir M. Pachinian. Certains insistent, bien sûr, sur le choix du moment adéquat pour déclencher la rébellion, et sur la colère qui couvait depuis tant d’années contre la clique au pouvoir, les élections truquées, la corruption endémique…

Mais le rôle à la fois de déclencheur, de galvanisateur et d’unificateur joué par M. Pachinian en un temps record méduse les observateurs. « Il a une incontestable fibre populaire, explique Gevorg Melikian. Il connaît la psychologie et la logique des foules, parle leur langue, évite les termes ou idées trop sophistiqués. En deux semaines de manifs, je n’ai pas entendu une seule phrase inintelligible. Et le message était positif : si on est tous ensemble, ça marchera ! Chacun le considère comme faisant partie de son cercle. D’ailleurs, on le tutoie et on l’appelle par son prénom. »

De tout temps, l’homme né en 1975 à Idjevan, une petite ville dans le nord-est de l’Arménie, a été perçu comme un rebelle. Il n’a pas choisi d’être professeur de sports, comme son père, mais journaliste – « pour changer le monde » – et il est allé étudier à l’université d’Etat d’Erevan. Aux parlementaires conservateurs qui questionnent sa compétence pour gouverner un pays alors qu’il n’a pas de diplôme universitaire, une journaliste de la télévision arménienne a tenu à faire une mise au point sur Facebook, en tant qu’« ancienne camarade de classe ».

S’il a été viré de la fac au prétexte « d’absences », et juste avant l’examen final, c’est à cause de « ses principes et de sa droiture, écrit-elle, parce qu’il avait publié un article [sur la corruption] qui avait déplu au doyen de l’université. Tous les étudiants de la fac de journalisme de la promo 1996 témoigneront que Nikol avait les notes les plus élevées et qu’il pouvait prétendre au diplôme avec mention excellente. » D’ailleurs, ajoute-t-elle, « si l’université d’Etat veut sauver son honneur, elle doit s’empresser de le lui délivrer ». Déjà opposant. Pourfendeur du système. Et déjà « grande gueule », se souvient Haik Martirossian, politologue, qui, lui, étudiait l’histoire et se souvient du scandale soulevé par l’éviction injuste du jeune homme.

Mais Nikol Pachinian ne s’attarde pas. Il commence par travailler au journal Lragir, puis fonde avec Hayk Gergian, de huit ans son aîné, un nouveau quotidien, vite fermé après la publication d’une enquête à charge sur un oligarque. Enfin, il lance The Armenian Times avec, se souvient son ami, « un budget de 400 dollars et un ordinateur et demi ».

Enquêtes, portraits, polémiques. Le journal se vit immédiatement comme un contre-pouvoir, avec une affirmation nette de ses valeurs : liberté, démocratie, droits humains. « Le credo de Pachinian, précise M. Gergian, était que l’Arménie ne devait pas mettre ses échecs et difficultés sur le compte des pays voisins, mais sur les maux intérieurs qui la rongeaient : corruption, monopoles, rapports incestueux entre business et politiques, népotisme. Tout Pachinian est là ! »

Il veut être le meilleur. En tout. Avale des dizaines de livres, travaille de dix heures à quatre heures du matin. « Il relisait le journal de la première à la dernière page, y compris le sport. Il pouvait renvoyer dix fois un texte en exigeant une précision ou d’autres témoignages, demandant d’écouter lui-même l’enregistrement d’une interview s’il trouvait une citation étrange. » Une exigence pointilleuse qui fait dire à son ancien collègue : « Franchement, je n’envie pas les membres d’un gouvernement dirigé par Nikol ! »

Mais les lecteurs le suivent, les ventes s’envolent jusqu’à faire d’Armenian Times le plus gros tirage d’Arménie (12 000 exemplaires pour un pays de 2,9 millions d’habitants) et une affaire très rentable. « Quand j’entends dire qu’il n’a pas de compétences de gestionnaire, je m’insurge et peux vous assurer, moi qui suis journaliste économique depuis vingt ans, que je ne connais personne de plus doué en matière de management ! », soutient Hayk Gergian.

Les procès en diffamation sont multiples. Comme les pressions et les menaces. Il n’en a cure. Le 22 novembre 2004, sa voiture prend feu devant le journal. Convaincu qu’il s’agit d’un attentat, il dénonce en « une » celui qu’il pense être son commanditaire, l’oligarque milliardaire Gagik Tzarukian, lequel dément. La police parle de batterie défectueuse.

Condamné à sept ans de prison

Mais le comité pour la protection de la liberté d’expression fustige un exemple d’intimidation de la presse et accuse la police de cacher des incidents similaires. Bien sûr, Nikol Pachinian en profite pour proclamer que rien ne le fera taire et que sa liberté d’écrire est totale. On le voit sur les estrades, les meetings, à la télé. Son épouse, Anna Hakobian, journaliste, travaille à ses côtés.

A la présidentielle de 2008, il prend le parti de l’ex-président Levon Ter-Petrossian pour barrer la route à Serge Sarkissian (celui-là même qui vient de démissionner après dix ans de présidence qu’il espérait enchaîner avec des mandats de premier ministre). Des manifestants contestent les résultats, M. Pachinian en première ligne. L’état d’urgence est proclamé, et les affrontements du 1er mars font dix morts. Recherché par la police, il disparaît.

Mais son journal, tenu par son épouse, maintient la flamme et publie des articles et des chroniques en son nom. Au fil des mois, il écrit même une série improbable, Le Revers du pays, – « passionnante comme du Jules Verne » se souvient le chercheur Gevorg Melikian –, dans laquelle il fait croire qu’il voyage à l’étranger et fait passer de nombreux messages, espérant toujours une révolte du pays. Les services secrets enquêtent frénétiquement, il est même poursuivi pour avoir franchi la frontière illégalement.

En fait, il n’a révélé que très récemment s’être caché plus d’un an dans la maison d’un ami à Erevan. « Nous étions tous suivis par la police, raconte son collègue Hayk. Mais on trouvait des solutions pour acheminer ses lettres ou lui faire rencontrer sa femme. Il dessinait lui-même les itinéraires secrets. On était si forts qu’on aurait pu cacher Ben Laden ! » Il finit par se rendre à la justice, est condamné à sept ans de prison avant de bénéficier d’une amnistie après un an et dix mois.

Sur la place de la République à Erevan, un supporter de Nikol Pachinian montre son tatouage reprenant le slogan de la campagne, « Un pas en avant ». / Olga Kravets pour Le Monde

« Une détermination et un sang-froid sidérants »

Artur Sakunts, chef de l’Assemblée des citoyens d’Helsinki (un réseau international qui développe de multiples initiatives pour consolider la paix et les droits humains en Europe), est souvent allé rendre visite à Nikol Pachinian en prison. « Tout était fait pour l’empêcher d’écrire, de s’exprimer et pour le briser : encouragements aux malfrats afin qu’ils le maltraitent, téléphones publics rendus indisponibles, confiscation des lettres qu’il écrivait, dix à quinze par jour, et qui atterrissaient dans le tiroir du directeur de la prison. » M. Sakunts a donc souvent fait passer des articles hors de la prison, attendant même parfois que M. Pachinian finisse de les écrire à la main.

« Il avait une détermination et un sang-froid sidérants et c’était l’ami de tous les défenseurs des droits humains. Penser que cet ancien prisonnier politique devienne premier ministre est décidément bouleversant ! » Mais M. Sakunts s’empresse d’ajouter : « On va le garder à l’œil ! Les gouvernants ont parfois des intérêts contradictoires. Mais c’est profondément un honnête homme. Un populiste attise la haine entre factions pour gagner le pouvoir. Lui fait le contraire. Il n’a parlé que de mains tendues et ouvertes et refuse l’idée de vendetta. »

Sorti de prison, Nikol Pachinian se lance à fond dans la politique, est élu député en 2012, puis en 2017. C’est une grande voix de la petite opposition au gouvernement (son parti, Contrat civil, n’a que trois députés et l’alliance qu’il dirige, Yelk, en compte neuf). Certains le soupçonnent de n’être qu’un alibi et d’être vendu au président Serge Sarkissian. D’autres l’accusent d’être soutenu par « l’Ouest ».

Il appuie les mouvements de contestation au gouvernement. On le voit constamment dans la rue et les manifestations. Et il solidifie sa crédibilité patriotique en rejoignant, pendant la guerre d’avril 2016 avec l’Azerbaïdjan, des milliers de volontaires venus renforcer le front arménien dans le Haut-Karabakh.

Quand Serge Sarkissian, après dix ans de présidence, s’apprête à se faire élire premier ministre après un changement constitutionnel transférant le pouvoir à ce poste, c’en est trop. Mais le Parti républicain de Sarkissian tient tous les rouages du système et le peuple est amorphe, résigné à n’avoir aucune voix au chapitre. Alors M. Pachinian songe à une action « hors norme » : une marche, sac au dos, sur les routes d’Arménie, pour appeler le peuple à se bouger, « faire un pas ».

Il n’en parle qu’à un noyau de proches, les autres partis de son alliance ne comprennent rien à son geste. Mais un autre groupe, « Rejette Serge », s’associe à sa démarche. Son chef, David Sanasarian, part même marcher avec lui sur une étape, et camper près d’un lac. « On a longuement parlé pour se coordonner. Pachinian s’inspire beaucoup de Mandela, moi, c’est plutôt de Martin Luther King et de Gandhi. Actions pacifiques, tolérance, respect. » Une vingtaine de personnes partent donc de Gumri, à 120 kilomètres au nord-ouest d’Erevan, et marchent pendant deux semaines aux côtés de Nikol Pachinian. Et puis le flot grossit. Les médias accourent.

En arrivant dans la capitale, le 13 avril, il va directement à l’université, encourageant les étudiants à participer à une série d’actes de désobéissance civique. Le 14, il investit les bâtiments de la radio publique. La foule devient massive. Les rues sont bloquées, la grève des écoles et des universités s’étend, des actions pacifistes paralysent le travail des administrations. M. Pachinian insiste sur la non-violence, parle de « fraternisation » avec la police d’Erevan, prévient à chaque meeting qu’il désavouera « tout acte agressif qui jetterait de l’ombre sur [leur] victoire ».

La foule, chaque jour plus nombreuse, le suit, exigeant le départ de Serge Sarkissian. C’est chose faite le 23 avril, à la surprise générale. Il faut désormais un « candidat du peuple ». Il est devenu évident pour tous qu’il ne peut être que Pachinian. Jamais leadeur arménien n’a connu cette popularité. « Ce n’est pas moi qui importe, répète-t-il cependant. C’est vous, le peuple, qui comptez. Je peux disparaître, mourir, être chassé. Vous seuls, désormais, êtes les maîtres de ce pays. »

Mille questions se posent, bien sûr, sur son programme, qu’il n’a prévu de dévoiler que d’ici vingt jours. Il a rassuré la Russie et affirmé que la politique étrangère ne devrait pas changer en substance. L’urgence est intérieure : lancer des élections justes et transparentes, éliminer la corruption gouvernementale, séparer le monde des affaires et de la politique, le tout avec une majorité défavorable… Rude challenge.

La liesse de la foule réunie mardi 8 mai sur toutes les grandes places d’Arménie dit l’attente et l’espoir énormes suscités par son avènement. Tous ont le sentiment de vivre un moment historique.
« La marche pacifique de Pachinian l’Arménien et sa révolution de velours sont entrés à jamais dans la grande histoire mondiale des révolutions », affirme Hayk Martirossian, les yeux embués de larmes.

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