Ma tribune aujourd’hui dans le journal La Croix
Elise Boghossian
Appelons la Dounia.
Elle vit dans le camp de Djadda, non loin de Mossoul, en bordure de la plaine de Ninive. Je l’ai rencontrée dans l’abri surchauffé qui lui sert à la fois de maison, d’univers et d’horizon. Coincée entre les rangées interminables de tentes qui abritent les familles irakiennes soupçonnées d’avoir eu un lien avec l’Etat Islamique, et dont les maris sont disparus, tués ou emprisonnés, Dounia m’attend, entourée de ses enfants.
Ses traits sont marqués, renforcés par la noirceur de ses vêtements, le voile est discret et la parole convenue. De son parcours, je ne vais apprendre que l’essentiel : son mari a rejoint l’Etat Islamique mais « pas comme combattant, il était juste chauffeur, ou livreur ou comptable ». Elle ne sait plus trop.
Elle n’était pas forcément religieuse mais elle l’a suivi. Au début, le Califat, c’était le paradis sur Terre, même avec les enfants jouant dans la poussière de Mossoul. Les imprécations de la police religieuse rythmaient la journée des nouveaux sujets du Calife, avec le sentiment de revanche contre la tyrannie chiite qui avait écrasé de sa large botte les velléités de pouvoir de cette partie sunnite de l’Irak.
Dounia s’arrête et essuie une larme. Son mari s’est rapidement opposé à la violence débridée des séides d’Abou Bakr al Baghdadi, mais « c’était difficile de s’enfuir… ». Donc, en bon collaborateur, une espèce humaine universelle générée par la guerre, le mari de Dounia va au boulot le matin comme un bon soldat zélé. Et tanpis pour les charniers, tanpis pour les viols, tanpis pour les autres.
La guerre, ça lève toutes les inhibitions, ça permet tout. Il suffit d’avoir des armes et d’être le dominant, le reste vient tout seul.
Seulement voilà, il y a le temps de la victoire et celui de la défaite. Et après la défaite, vient le temps de rendre des comptes. Le mari de Dounia est tué dans la reprise de Mossoul, les armes à la main. Avec ses enfants, elle revient dans son village natal, à quelques kilomètres du camp. Elle n’aura pas le temps de s’insurger contre la vindicte de ses anciens voisins que ses deux plus grands enfants, de 17 et 18 ans, seront saisis et exécutés séance tenante par la population martyrisée.
Et la voilà réfugiée dans ce camp, dans cette immense prison à ciel ouvert. Rangée d’un coup au statut de chef de famille, avec ses 5 enfants restants, responsable légale, et…femme et mère de djihadiste. Elle va connaître un sort identique aux centaines de femmes qui, prises dans les rigueurs de la guerre, endossent les costumes mal taillés de la responsabilité. A la différence près que les femmes yézidies, les femmes chrétiennes et certaines femmes musulmanes ont été les victimes expiatoires de la Haine, désignées comme des cibles idéales face à la fureur des djihadistes, torturées, avilies, massacrées. L’orage de feu, de haine et d’acier brisera non seulement ces femmes mais également leur destin et leur descendance.
J’ai parlé à Dounia, j’ai essayé de la comprendre, de la suivre dans ses confessions. J’observais ses autres enfants, ceux que nos équipes de soins accompagnent au quotidien, tous porteurs des symptômes de la violence à laquelle ils ont été surexposés. Privés de croissance normale, confrontés à une déconstruction morale, leurs regards de pierre, sans fond, me saisit. Au contact de ces enfants, la seule question qui me poursuit est la suivante : comment ces enfants pourront-ils devenir des adultes cohérents et structurés, acteurs de leur société, alors que leur enfance a été bafouée ?
Le traumatisme est-il héréditaire ? On a longtemps pensé que les enfants de moins de deux ans avaient un cerveau trop immature pour ressentir les émotions ou la douleur. Nous savons aujourd’hui que c’est faux, les enfants sentent bien la douleur, mais ils ne peuvent pas l’intégrer ou la comprendre. Elle s’inscrit dans des circuits archaïques qui échappent à la conscience. L’enfant conserve au plus profond de son expérience corporelle, une cicatrice psychique, aussi minuscule soit-elle. Nos études médicales et physiologiques ne nous permettent pas d’atteindre les profondeurs de nos archaïsmes. C’est là, me semble t il que s’inscrit l’histoire secrète de l’être, dans les tréfonds de la personnalité, et là que se fabrique le matériel des pulsions et des tendances, de la violence. Pour s’édifier, le corps a besoin de sentir son enveloppe : ce qui le construit mais aussi ce qui le limite.
Dounia me regarde droit dans les yeux, c’est décidé depuis longtemps, elle ne pardonnera jamais. Et attend patiemment le renouveau du Califat pour prendre sa revanche. Pas un mot de regret, je n’ose dire de repentance pour toutes ces femmes qui, comme elles, ont traversé la guerre. Pas un mot pour ses propres enfants, pas un mot pour les Nadia Murad, pas un mot pour les autres Dounia.
Ses traits sont marqués, renforcés par la noirceur de ses vêtements, le voile est discret et la parole convenue. De son parcours, je ne vais apprendre que l’essentiel : son mari a rejoint l’Etat Islamique mais « pas comme combattant, il était juste chauffeur, ou livreur ou comptable ». Elle ne sait plus trop.
Elle n’était pas forcément religieuse mais elle l’a suivi. Au début, le Califat, c’était le paradis sur Terre, même avec les enfants jouant dans la poussière de Mossoul. Les imprécations de la police religieuse rythmaient la journée des nouveaux sujets du Calife, avec le sentiment de revanche contre la tyrannie chiite qui avait écrasé de sa large botte les velléités de pouvoir de cette partie sunnite de l’Irak.
Dounia s’arrête et essuie une larme. Son mari s’est rapidement opposé à la violence débridée des séides d’Abou Bakr al Baghdadi, mais « c’était difficile de s’enfuir… ». Donc, en bon collaborateur, une espèce humaine universelle générée par la guerre, le mari de Dounia va au boulot le matin comme un bon soldat zélé. Et tanpis pour les charniers, tanpis pour les viols, tanpis pour les autres.
La guerre, ça lève toutes les inhibitions, ça permet tout. Il suffit d’avoir des armes et d’être le dominant, le reste vient tout seul.
Seulement voilà, il y a le temps de la victoire et celui de la défaite. Et après la défaite, vient le temps de rendre des comptes. Le mari de Dounia est tué dans la reprise de Mossoul, les armes à la main. Avec ses enfants, elle revient dans son village natal, à quelques kilomètres du camp. Elle n’aura pas le temps de s’insurger contre la vindicte de ses anciens voisins que ses deux plus grands enfants, de 17 et 18 ans, seront saisis et exécutés séance tenante par la population martyrisée.
Et la voilà réfugiée dans ce camp, dans cette immense prison à ciel ouvert. Rangée d’un coup au statut de chef de famille, avec ses 5 enfants restants, responsable légale, et…femme et mère de djihadiste. Elle va connaître un sort identique aux centaines de femmes qui, prises dans les rigueurs de la guerre, endossent les costumes mal taillés de la responsabilité. A la différence près que les femmes yézidies, les femmes chrétiennes et certaines femmes musulmanes ont été les victimes expiatoires de la Haine, désignées comme des cibles idéales face à la fureur des djihadistes, torturées, avilies, massacrées. L’orage de feu, de haine et d’acier brisera non seulement ces femmes mais également leur destin et leur descendance.
J’ai parlé à Dounia, j’ai essayé de la comprendre, de la suivre dans ses confessions. J’observais ses autres enfants, ceux que nos équipes de soins accompagnent au quotidien, tous porteurs des symptômes de la violence à laquelle ils ont été surexposés. Privés de croissance normale, confrontés à une déconstruction morale, leurs regards de pierre, sans fond, me saisit. Au contact de ces enfants, la seule question qui me poursuit est la suivante : comment ces enfants pourront-ils devenir des adultes cohérents et structurés, acteurs de leur société, alors que leur enfance a été bafouée ?
Le traumatisme est-il héréditaire ? On a longtemps pensé que les enfants de moins de deux ans avaient un cerveau trop immature pour ressentir les émotions ou la douleur. Nous savons aujourd’hui que c’est faux, les enfants sentent bien la douleur, mais ils ne peuvent pas l’intégrer ou la comprendre. Elle s’inscrit dans des circuits archaïques qui échappent à la conscience. L’enfant conserve au plus profond de son expérience corporelle, une cicatrice psychique, aussi minuscule soit-elle. Nos études médicales et physiologiques ne nous permettent pas d’atteindre les profondeurs de nos archaïsmes. C’est là, me semble t il que s’inscrit l’histoire secrète de l’être, dans les tréfonds de la personnalité, et là que se fabrique le matériel des pulsions et des tendances, de la violence. Pour s’édifier, le corps a besoin de sentir son enveloppe : ce qui le construit mais aussi ce qui le limite.
Dounia me regarde droit dans les yeux, c’est décidé depuis longtemps, elle ne pardonnera jamais. Et attend patiemment le renouveau du Califat pour prendre sa revanche. Pas un mot de regret, je n’ose dire de repentance pour toutes ces femmes qui, comme elles, ont traversé la guerre. Pas un mot pour ses propres enfants, pas un mot pour les Nadia Murad, pas un mot pour les autres Dounia.
la-croix.com
En Irak, des destins brisés
Élise Boghossian, de nationalité française, est la fondatrice de l'organisation non gouvernementale Shennong & Avicenne fondée en 20021 et rebaptisée EliseCare en 2016. Docteur en médecine chinoise, elle se définit elle-même comme « acupunctrice en zone de guerre ».
Née en banlieue parisienne, fille de couturiers, Élise Boghossian est la petite-fille de déportés arméniens, ce qui jouera un rôle dans sa vocation humanitaire.
Spécialisée en neurosciences, Élise Boghossian s'est formée à la médecine traditionnelle chinoise en Chine et a soutenu sa thèse à Nankin. Elle a également étudié l’anesthésie par l’acupuncture au Viêt Nam auprès du professeur Nguyễn Tài Thu (vi), directeur de l’Institut national d’acupuncture de Hanoï.
Activités
Son activité humanitaire débute en Arménie en 2002 lors du conflit du Haut-Karabakh. Depuis 2013, la zone d'action de Elisecare s'est élargie à la Syrie et au Kurdistan irakien, lors de la chute des monts Sinjar et l'exil des Yézidis et de la grande offensive de Daech sur Mossoul en juin 2014. Elisecare a également envoyé un camion médical à Dunkerque et à Calais, dans les mois qui ont précédé le démantèlement de la « Jungle ».
Elle est ambassadrice de Fraternité générale, association créée par Abdennour Bidar après les attentats du 15 novembre. Elise Boghossian réalise une publication au sujet de l'association sur son blog du Huffington Post en octobre 20177.
EliseCare
Un premier dispensaire mobile au Kurdistan irakien, puis un second en janvier 2017, sont mis en place. EliseCare dispose de cinq bus équipés en matériel médical et deux dispensaires, à Erbil, Duhok, Zakho et Karacoch. En collaboration avec des médecins, les bus et les dispensaires d'EliseCare proposent des soins médicaux, de l'acupuncture aux traitements des blessures et des infections.
L'acupuncture est à la base de sa pratique médicale, à La Croix, elle déclare que « l’acupuncture n’est pas la première thérapie à laquelle on pense dans ces situations [...] mais lorsqu’il n’y a même plus d’antidouleur, on nous laisse faire. Et comme les résultats sont visibles, tout le monde est demandeur. ». Mais dès le départ, Élise Boghossian s'associe à des médecins traditionnels qui prodiguent soins et médicaments. Elle réunit autour d'elle une équipe médicale qui s'étoffe au fur et à mesure des opérations.
D'après EliseCare0, les chiffres de l'activité sont les suivants :
Dispensaires mobiles
5
Dispensaires fixes
3
Controverses
D'après Libération, des audits commandés par le Centre de crise et de soutien (CDCS) du Ministère des Affaires étrangères, l’un des bailleurs de fonds de l’ONG, à deux cabinets indépendants (Frontview et Donnadieu & Associés) font apparaitre de « graves anomalies" dans la gestion financière de l’ONG EliseCare et de ses activités.
Selon les rapports d'audits, que s'est procurés le journal, des dépenses « irrégulières » de plus de 273 000 euros dont 23 700 euros de dépenses inéligibles, notamment des soins et formations d’acupuncture. Le Centre de crise et de soutien (CDCS) aurait exigé le remboursement de plus de la moitié des 400 000 euros de subventions versés en 2017 à l’ONG. Interrogée par Libération, Élise Boghossian concède de possibles erreurs de gestion liées au contexte des activités de l'ONG et se déclare prête a rembourser les sommes demandées.
Publication
En 2015, Élise Boghossian a publié un livre aux éditions Robert Laffont intitulé " Au royaume de l'espoir, il n'y a pas d'hiver", qui relate son engagement et sa philosophie.
(Sources Wikipédia)
Élise Boghossian, de nationalité française, est la fondatrice de l'organisation non gouvernementale Shennong & Avicenne fondée en 20021 et rebaptisée EliseCare en 2016. Docteur en médecine chinoise, elle se définit elle-même comme « acupunctrice en zone de guerre ».
Née en banlieue parisienne, fille de couturiers, Élise Boghossian est la petite-fille de déportés arméniens, ce qui jouera un rôle dans sa vocation humanitaire.
Spécialisée en neurosciences, Élise Boghossian s'est formée à la médecine traditionnelle chinoise en Chine et a soutenu sa thèse à Nankin. Elle a également étudié l’anesthésie par l’acupuncture au Viêt Nam auprès du professeur Nguyễn Tài Thu (vi), directeur de l’Institut national d’acupuncture de Hanoï.
Activités
Son activité humanitaire débute en Arménie en 2002 lors du conflit du Haut-Karabakh. Depuis 2013, la zone d'action de Elisecare s'est élargie à la Syrie et au Kurdistan irakien, lors de la chute des monts Sinjar et l'exil des Yézidis et de la grande offensive de Daech sur Mossoul en juin 2014. Elisecare a également envoyé un camion médical à Dunkerque et à Calais, dans les mois qui ont précédé le démantèlement de la « Jungle ».
Elle est ambassadrice de Fraternité générale, association créée par Abdennour Bidar après les attentats du 15 novembre. Elise Boghossian réalise une publication au sujet de l'association sur son blog du Huffington Post en octobre 20177.
EliseCare
Un premier dispensaire mobile au Kurdistan irakien, puis un second en janvier 2017, sont mis en place. EliseCare dispose de cinq bus équipés en matériel médical et deux dispensaires, à Erbil, Duhok, Zakho et Karacoch. En collaboration avec des médecins, les bus et les dispensaires d'EliseCare proposent des soins médicaux, de l'acupuncture aux traitements des blessures et des infections.
L'acupuncture est à la base de sa pratique médicale, à La Croix, elle déclare que « l’acupuncture n’est pas la première thérapie à laquelle on pense dans ces situations [...] mais lorsqu’il n’y a même plus d’antidouleur, on nous laisse faire. Et comme les résultats sont visibles, tout le monde est demandeur. ». Mais dès le départ, Élise Boghossian s'associe à des médecins traditionnels qui prodiguent soins et médicaments. Elle réunit autour d'elle une équipe médicale qui s'étoffe au fur et à mesure des opérations.
D'après EliseCare0, les chiffres de l'activité sont les suivants :
Dispensaires mobiles
5
Dispensaires fixes
3
Controverses
D'après Libération, des audits commandés par le Centre de crise et de soutien (CDCS) du Ministère des Affaires étrangères, l’un des bailleurs de fonds de l’ONG, à deux cabinets indépendants (Frontview et Donnadieu & Associés) font apparaitre de « graves anomalies" dans la gestion financière de l’ONG EliseCare et de ses activités.
Selon les rapports d'audits, que s'est procurés le journal, des dépenses « irrégulières » de plus de 273 000 euros dont 23 700 euros de dépenses inéligibles, notamment des soins et formations d’acupuncture. Le Centre de crise et de soutien (CDCS) aurait exigé le remboursement de plus de la moitié des 400 000 euros de subventions versés en 2017 à l’ONG. Interrogée par Libération, Élise Boghossian concède de possibles erreurs de gestion liées au contexte des activités de l'ONG et se déclare prête a rembourser les sommes demandées.
Publication
En 2015, Élise Boghossian a publié un livre aux éditions Robert Laffont intitulé " Au royaume de l'espoir, il n'y a pas d'hiver", qui relate son engagement et sa philosophie.
(Sources Wikipédia)
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