lundi 29 octobre 2018

"VIEILLIR, C'EST CHIANT." UN TRÈS BEAU TEXTE DE BERNARD PIVOT

Je partage avec vous le poème de Bernard Pivot, poème dont je cautionne chaque mot et qui parfois,  évoque des situations que j'ai rencontrées, comme lui.   
Poème que ma chère fille m'a adressé :
Rassure-toi ma chérie, je ne suis pas près
de "refermer le parapluie" enfin, je l'espère ! (une expression qui a enrichi mon vocabulaire le jour où une amie aussi facétieuse que moi l'a employée !)
Certes, nous ne maîtrisons pas notre destin, notre fin de vie, mais si c'est sur la musique de Mozart, ce sera un plaisir !!! LOL 

Bernard Pivot


"VIEILLIR, C'EST CHIANT." UN TRÈS BEAU TEXTE DE BERNARD PIVOT

« J’aurais pu dire :
Vieillir, c’est désolant, c’est insupportable,
C’est douloureux, c’est horrible,
C’est déprimant, c’est mortel.
Mais j’ai préféré «chiant»
Parce que c’est un adjectif vigoureux
Qui ne fait pas triste.
Vieillir, c’est chiant parce qu’on ne sait pas quand ça a commencé et l’on sait encore moins quand ça finira.

Non, ce n’est pas vrai qu’on vieillit dès notre naissance.
On a été longtemps si frais, si jeune, si appétissant.
On était bien dans sa peau.

On se sentait conquérant. Invulnérable.
La vie devant soi. Même à cinquante ans, c’était encore très bien…. Même à soixante.

Si, si, je vous assure, j’étais encore plein de muscles, de projets, de désirs, de flamme.
Je le suis toujours, mais voilà, entre-temps j’ai vu le regard des jeunes…..
Des hommes et des femmes dans la force de l’âge qui ne me considéraient plus comme un des leurs, même apparenté, même à la marge.

J’ai lu dans leurs yeux qu’ils n’auraient plus jamais d’indulgence à mon égard.
Qu’ils seraient polis, déférents, louangeurs, mais impitoyables.

Sans m’en rendre compte, j’étais entré dans l’apartheid de l’âge.

Le plus terrible est venu des dédicaces des écrivains, surtout des débutants.
« Avec respect », « En hommage respectueux », « Avec mes sentiments très respectueux ».

Les salauds ! Ils croyaient probablement me faire plaisir en décapuchonnant leur stylo plein de respect ? Les cons !

Et du ‘cher Monsieur Pivot’ long et solennel comme une citation à l’ordre des Arts et Lettres qui vous fiche dix ans de plus !

Un jour, dans le métro, c’était la première fois, une jeune fille s’est levée pour me donner sa place…
J’ai failli la gifler. Puis la priant de se rassoir, je lui ai demandé si je faisais vraiment vieux, si je lui étais apparu fatigué. !!!… ?

— « Non, non, pas du tout, a-t-elle répondu, embarrassée. J’ai pensé que ».
— Moi aussitôt : «Vous pensiez que ?
— « Je pensais, je ne sais pas, je ne sais plus, que ça vous ferait plaisir de vous asseoir ».
– « Parce que j’ai les cheveux blancs »?
– « Non, c’est pas ça, je vous ai vu debout et comme vous êtes plus âgé que moi, çà été un réflexe, je me suis levée ».
— « Je parais beaucoup… beaucoup plus âgé que vous »?
-« Non, oui, enfin un peu, mais ce n’est pas une question d’âge ».
— « Une question de quoi, alors? »
– « Je ne sais pas, une question de politesse, enfin je crois ».»
J’ai arrêté de la taquiner, je l’ai remerciée de son geste généreux et l’ai accompagnée à la station où elle descendait pour lui offrir un verre.

Lutter contre le vieillissement c’est, dans la mesure du possible, ne renoncer à rien.
Ni au travail, ni aux voyages, ni aux spectacles, ni aux livres, ni à la gourmandise, ni à l’amour, ni au rêve.
Rêver, c’est se souvenir tant qu’à faire, des heures exquises.
C’est penser aux jolis rendez-vous qui nous attendent.
C’est laisser son esprit vagabonder entre le désir et l’utopie.

La musique est un puissant excitant du rêve. La musique est une drogue douce.
J’aimerais mourir, rêveur, dans un fauteuil en écoutant soit l’adagio du Concerto no 23 en la majeur de Mozart, soit, du même, l’andante de son Concerto no 21 en ut majeur,
musiques au bout desquelles se révèleront à mes yeux pas même étonnés les paysages sublimes de l’au-delà.
Mais Mozart et moi ne sommes pas pressés.
Nous allons prendre notre temps.
Avec l’âge le temps passe, soit trop vite, soit trop lentement.
Nous ignorons à combien se monte encore notre capital. En années ? En mois ? En jours ?
Non, il ne faut pas considérer le temps qui nous reste comme un capital.
Mais comme un usufruit dont, tant que nous en sommes capables, il faut jouir sans modération.
Après nous, le déluge ?… Non, Mozart. »

Le temps qui passe est une douleur quand on le subit mais un bonheur quand on en jouit. Surtout si les derniers instants se jouent sur quelques notes de musique. En voilà une jolie façon de considérer la vieillesse (même si c’est chiant !).

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