dimanche 29 avril 2018

Marche et rêve…- Denis Donikian


Marche et rêve…

Tandis qu’en Arménie une fièvre démocratique s’est emparée des foules, certains parmi les « intellectuels » de notre diaspora, qui fréquentent les cafés du commerce cybernétiques, commentent les évènements avec l’ironie du scepticisme pour prophétiser que l’aventurisme des leaders conduira forcément le pays à la catastrophe.

Il se trouve que ces « intellectuels » de l’immobilisme qui ne vivent pas au pays viennent faire la leçon à des légions d’Arméniens qui subissaient depuis des années le mépris d’un parti habile à bourrer les urnes pour son avantage. Qui savait écouter les gens en Arménie n’entendait que force récriminations, dégoût et envie de fuir le pays.

Car c’était ça l’Arménie pendant de nombreuses, trop nombreuses années, un écrasement des âmes au quotidien. On ne le dira jamais assez. Un écrasement qui obligeait tant à la résignation qu’à l’exil soit physique soit intérieur. Un écrasement comme une véritable catastrophe culturelle et qui empêchait le potentiel intellectuel de la jeunesse de donner toute sa mesure. En ce sens, la perte de la démocratie conduit nécessairement à une perte des esprits, constamment détournés vers des soucis de survie matérielle ou de sauve-qui-peut politique.
Ce désordre démocratique a engendré des modèles de vie proche de la prédation et de l’affairisme mafieux. En effet, les jeunes n’avaient pas d’autre idéal que celui de calquer leur vie sur la réussite des oligarques. Gros business, grosses voitures, grosses fiestas. Le tout enrobé par un réseau d’amitiés fondé sur le renvoi d’ascenseur ou le retour sur investissement. Telle était la culture dite du « aghperoutyoun ».

A la longue, ce système, si l’on ne s’en préservait pas, pouvait engendrer des pathologies sociales tirées par des valeurs exclusivement matérialistes. La société arménienne a banni l’altruisme réel au profit d’un altruisme de parole où chacun « prend le mal » de l’autre à chaque détour de conversation. Mais dans le fond, c’était un monde de lutte serrée où le souci de l’autre n’existait plus. Cela veut dire que dans un tel contexte, les droits de l’homme ne peuvent avoir aucune consistance réelle faute d’ancrage dans une culture de fraternité.

Or, aujourd’hui, il semble que la société arménienne se réveille brusquement de son sommeil dogmatique et suicidaire. Ce qui se passe dans les têtes, c’est l’ouverture des esprits à tous les possibles. En effet, ce qui se passe dans la rue arménienne équivaut à l’explosion d’un bouchon de champagne. C’est que l’Arménie était vécue comme une société bouchée qui s’agitait en vase clos et n’aspirait qu’à prendre l’air.

Mais contrairement à un processus naturel irrépressible, les Arméniens se sont comportés jusque-là en personnes responsables. En premier lieu, ils ont voulu mener une révolution pacifique d’autant que des consignes ont été données pour éviter toute chasse aux sorcières. Pour autant, il ne s’agira certainement pas d’une révolution susceptible de répéter le passé honni en gardant en place ne serait-ce que des parties du système. Si révolution il y a, ce sera au sens strict, un retour à la case départ de la démocratie où les éléments d’une politique équitable et transparente seront remis au peuple pour qu’il accomplisse le chemin de son bonheur collectif.

En d’autres termes, les Arméniens viennent d’ouvrir la boite de leur rêve politique, celle-la même que le régime républicain s’était acharné à fermer hermétiquement en les privant du droit légitime de choisir celui qui doit incarner leurs aspirations. En effet, l’erreur de Sarkissian a été d’instaurer un régime parlementaire pour se faire élire par ses propres sbires plutôt que par le peuple. Cette dépolitisation à laquelle il a soumis le peuple arménien a fini par jouer contre lui. Mauvais calcul. On peut imaginer ce premier ministre nouvelle manière mesurer l’abîme qu’il aura ainsi creusé entre lui et son peuple au seul spectacle du dégout qu’il a dû lire sur les visages d’une jeunesse débordant de vie dans les rues de la capitale.

Aujourd’hui, tout est permis au peuple arménien, à commencer par le droit de rêver. Rêver d’une Arménie librement choisie. Rêver de travailler pour soi et pour son pays. Rêver de pouvoir donner un avenir à ses enfants.

Bref, rêver au bonheur de vivre. 

Denis Donikian

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